Sur cette photo, on voit bien comment la basilique et le complexe qui l’entourent sont construits à flanc de colline. Les études ont montré que la grotte s’ouvrait au nord, soit vers la droite du cliqué (© Nadim Asfour / CTS).

Bethléem avec toute l’Église

Claire BurkelClaire Burkel | 2 décembre 2019

C’est une étape obligée du pèlerinage: la halte à la crèche, le lieu de naissance de Jésus. C’est tellement simple de contempler un enfant. Mais il convient de prendre le temps de s’arrêter sur ce que nous dit l’histoire de ce lieu de la naissance du Christ à nos jours.

Le pèlerin qui vient à Bethléem ne se pose pas la question du pourquoi de son déplacement, il vient naturellement voir le lieu de la naissance de Jésus, où selon les Évangiles… Au fil de notre visite dans la basilique, qui est la plus ancienne de Terre Sainte, reprenons cependant ces récits pour en comprendre toute la portée.

Consacrée le 31 mai 339, la basilique est à peu près orientée, mais surtout son chœur repose au-dessus de la grotte de la Nativité ; un petit réseau, maintenant souterrain, de plusieurs cavités représente une partie du village, depuis David sans doute, jusqu’au début de notre ère. Comme on le voit à Nazareth et en bien d’autres lieux les cavités naturelles servaient de logement, souvent précédées de constructions qui augmentaient la surface habitable. Selon la tradition c’est dans une de ces grottes qu’est né Jésus. « Elle le coucha dans une crèche car il n’y avait pas assez de place dans la pièce. » (Lc 2,7) Il s’agit pour la crèche de la rawieh, pièce basse et souvent réchauffée par la chèvre ou le mouton que possèdent les habitants. On n’imagine pas en effet d’accoucher dans la pièce principale, mais plutôt dans le retrait d’une arrière-salle. De grotte il n’est donc pas vraiment question dans l’Évangile, mais selon saint Justin au IIe siècle, un autochtone puisque natif de Naplouse, c’est une forme d’habitat tellement répandue dans ces régions de roches calcaires qu’elle est la plus plausible. Les icônes de la Nativité ont su travailler l’image de la cavité pour révéler le mystère du Christ.

Bethléem

L’aspect massif de la façade, exposée à l’ouest, résulte d’une série de transformations. Elle date pour l’essentiel du VIe siècle, mais a été remodelée à l’époque croisée. Le contrefort au centre date. Lui, du XVIe siècle (© Mauro Gottardo / CTS).

Le bâtiment est massif et lorsqu’on arrive sur la place de la Crèche on voit surtout un bloc de pierres qui n’autorise en sa façade qu’une toute petite entrée. L’Histoire nous apprend pourquoi elle est si modeste – il fallait contraindre les cavaliers à descendre de leur monture pour se rendre dans la basilique ! Cette porte nous invitera à relire Mt 18,3 : « Si vous ne retournez à l’état des enfants vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. » Il faut donc s’abaisser pour pénétrer en ce lieu où notre Dieu s’est fait petit enfant.

Un fait rare : la basilique est le seul bâtiment du pays que les Perses n’ont pas détruit en 614 car une mosaïque constantinienne au-dessus de la porte représentait les mages en vêtements de chez eux ; ils ont respecté l’édifice, mais la mosaïque a pour nous hélas disparu.

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Depuis l’église latine Sainte-Catherine, on a accès à un ensemble de grottes. Ici la grotte dite de saint Joseph. C’est la même grotte que celle de la Nativité qui a été divisée par le mur construit derrière l’autel (© Ahed Iziman / CTS).

Quatre rangées de dix colonnes structurent la vaste nef en une allée centrale et deux travées de chaque côté qui se dirigent vers une estrade, située précisément au-dessus du lieu saint, qui est aujourd’hui le chœur des grecs. Dans la première construction byzantine il était de forme octogonale comme celui de la basilique de la Résurrection. Les remaniements de Justinien dès le début du VIe siècle agrandirent le chœur qui perdit sa forme à huit pans au profit d’une triple abside tréflée. On emprunte un escalier de 15 marches pour descendre vénérer le lieu de la Nativité, mais il faut prendre un autre escalier depuis un bas-côté de l’église latine Sainte-Catherine pour gagner l’enfilade des grottes, puisque des portes et rideaux en obstruent la circulation normale. Transformées en petites chapelles, où il est possible de réserver pour une célébration, ces pièces taillées dans le roc sont consacrées aux saints Innocents, à saint Jérôme et Eusèbe – c’est l’occasion d’évoquer les débuts du christianisme en cette terre où tout s’est écrit.

Une charpente en bois de cèdre récemment restaurée, assure la couverture dès le haut des murs, eux-mêmes percés de grandes fenêtres ; autrefois entièrement mosaïqués, certains espaces de murs sont maintenant nus. À mesure que l’Église se débarrasse des échafaudages qui la masquaient ces dernières années, on apprend à redécouvrir le lieu avec ses mosaïques murales représentant des scènes de la vie du Christ et des conciles, les bustes des ancêtres du Christ d’après Mt 1,1-17, les saints d’Orient et d’Occident peints sur les colonnes.

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(© MAB / CTS)

Au sol, des trappes de bois permettent de voir les restes du pavement constantinien en bon état, 80 cm plus bas. Une équipe italienne travaille à son dégagement complet, ce qui laisse augurer de nouvelles merveilles à admirer.

C’est donc l’Église entière qui est ici présente. Nous sommes invités à relire le choix que fait Dieu de David, précédé de son aïeule étrangère, Ruth la Moabite ; et puis toute une lignée jusqu’à l’enfant dans sa mangeoire vénéré par de lointains païens. Après eux des moines, des rois, des empereurs, des saintes femmes, des soldats et des théologiens qui « ont vu son étoile et sont venus lui rendre hommage ».

Les grandes dates de la ville

XIVe siècle av. J.-C. Première mention dans un courrier du roi de Jérusalem au monarque égyptien au sujet de Bit ilu Lahama = maison du dieu/déesse Lahama, protestant qu’on lui ait ravi cette bourgade [Lettres d’El Amarna]. Ce nom serait la première étymologie, relue ensuite en beit lehem = maison du pain. Mais l’hébreu lhm dit avant tout « combattre » ; aussi bien le pain ne s’obtient pas sans peine, comme nous le rappelle la liturgie sur le pain, « fruit de la terre et du travail des hommes ».

  • À l’époque du règne du roi David (vers 1000-970) : Citation dans les annales égyptiennes, autour du XIe siècle.
  • 135 : Hadrien transforme la grotte déjà vénérée en lieu de culte à Tammuz-Adonis et reboise le terrain.
  • 348 : Installation de saint Jérôme qui doit, à la demande du pape Damase, traduire la Bible en une seule version pour toute la chrétienté ; ce sera la Vulgate. Il y fut enterré en 420.
  • 529 : Mise à sac par les Samaritains en révolte contre Byzance.
  • 531 : L’empereur Justinien 527-565 reconstruit et agrandit la basilique ajoutant une travée et un narthex.
  • 1100 : Le roi Baudoin, successeur de Godefroy de Bouillon, y est sacré roi le jour de Noël.
  • 1110 : La ville est érigée en siège épiscopal quelques années après la naissance de la paroisse latine. Les communautés locales grec-orthodoxes et arméniennes avaient alors le droit d’officier ensemble avec les latins, et de 1165 à 1169, Francs et Byzantins entreprirent en commun des travaux de décoration intérieure et toiture.
  • 1187 : Victoire de Saladin ; Bethléem rendue aux chrétiens entre 1229 et 1244 (traité entre le sultan al-Malik al-Kamil et l’empereur Frédéric II).
  • XIVe siècle : Installation des Franciscains.
  • 2012 : Classée au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Claire Burkel est professeure d’Écriture sainte à l’École cathédrale de Paris.

Source : Terre Sainte magazine 658 (2018) 6-11 (reproduit avec autorisation).

Caravane

Caravane

Initiée par Chrystian Boyer, cette chronique a été ensuite partagée par plusieurs chroniqueurs. Messieurs Boyer et Doane livrent leur carnet de voyage en Terre Sainte. Ensuite, une série d’articles met en scène un personnage fictif du premier siècle qui raconte ses voyages dans les villes où saint Paul a entrepris ses voyages missionnaires. Et plus récemment, la rubrique est alimentée grâce à une collaboration de Terre Sainte magazine.

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(© MAB / CTS)