Garder
sa place ou la perdre
En
route pour Jérusalem.
Mauvais
accueil en Samarie. (Luc 9, 51-62)
Autres lectures : 1
Rois 19, 16b.19-21; Ps 15 (16);
Galates
5, 1.13-18
Lors d'une première lecture, on a facilement l'impression
que cette page d'évangile est une collection plutôt
décousue de fragments indépendants. De fait, il est
probable que la situation a été telle à l'origine;
il n'est pas nécessaire de croire que ces épisodes
ont eu lieu à la suite. Pourtant, Luc n'a pas procédé
au hasard en regroupant les éléments qui forment cette
séquence. Le lien qui unit ces petits récits en apparence
disparates me semble être la figure d'une place ou d'un lieu
à occuper.
Dès le point de départ,
l'évangéliste annonce que bientôt Jésus
sera enlevé (de ce monde) (v.
51); donc, Jésus va perdre la place qu'il occupe, il
ne sera plus là où il avait l'habitude d'être,
c'est-à-dire présent au milieu de ses disciples, parcourant
les routes de son pays. Ce déplacement de Jésus a
son écho très concret dans l'incident qui suit : le
refus des Samaritains de lui accorder l'hospitalité (v.
53), ce qui oblige Jésus à changer d'itinéraire
(v.
56). Rejeté par les Samaritains, le Fils de l'homme
n'a pas d'endroit où reposer sa tête (v. 58). Cette
affirmation de Jésus s'enracine sans doute dans l'expérience
vécue; le maître et ses disciples, durant leurs déplacements,
ne sont jamais assurés de trouver un toit ni même un
lieu accueillant pour passer la prochaine nuit. À un autre
niveau, elle exprime le mystère de celui qui, tout en partageant
pleinement notre humanité, n'appartient pas à ce monde.
L'image est moins évidente
dans les deux autres sections, mais elle est quand même sous-jacente.
Enterrer un mort, c'est lui donner un lieu, une place.
Jésus, en refusant à quelqu'un d'aller donner une
sépulture à son père, l'envoie aussitôt
sur les routes : Toi, va annoncer le règne de Dieu
(v. 60); non pas le lieu fixe et permanent d'un tombeau mais le
mouvement constant du missionnaire, toujours en déplacement.
Enfin, celui qui regarde en arrière n'est pas fait pour
le royaume de Dieu (v. 62), autrement dit, il n'y a pas sa place;
son attachement au passé et à tous ses liens antérieurs
le disqualifie pour trouver place dans le Royaume.
Ces multiples variations sur un même
thème ont chacune son caractère propre. Essayons de
les écouter plus attentivement.
La route de Jérusalem
Le verset
51 constitue une charnière importante dans l'évangile
de Luc. Jésus, conscient des dangers qui planent sur lui
(cf. Lc
9, 22 - l'évangile du 12ième dimanche - et 9,
44-45), prend avec courage la route de Jérusalem.
Le ministère galiléen est terminé; commence
la longue route vers la Ville sainte, où la Pâque de
Jésus doit se réaliser car il ne convient pas qu'un
prophète meure hors de Jérusalem (Lc 13, 33).
Cette ville n'est pas seulement la capitale religieuse du monde
juif, mais le lieu par excellence où doit s'accomplir le
salut. Jésus n'aura pas d'endroit où reposer sa
tête (cf. v. 58) tant qu'il n'aura pas accompli totalement
sa mission au lieu même où Dieu s'est rendu présent
dans son Temple.
L'épisode du refus des Samaritains
d'accueillir Jésus (vv.52ss)
se comprend bien dans le contexte des relations conflictuelles entre
Juifs et Samaritains. Par ailleurs, il est assez surprenant dans
l'uvre de Luc où les habitants de la Samarie
sont présentés sous un jour plutôt favorable
(voir Luc
10, 29-37: le bon Samaritain; 17,
11-19 : le lépreux guéri et reconnaissant; Actes
8, 4-8.14-17.25 : la conversion des premiers Samaritains). À
ce moment-ci du récit, il n'y a pas de place pour Jésus
en Samarie mais il refuse de détruire ceux qui ne l'ont pas
accueilli, gardant ouverte la possibilité de la conversion.
La Samarie pourra alors devenir, elle aussi, lieu du salut.
Les exigences de la condition de disciple
Être disciple suppose être
prêt à suivre le Maître partout où il
ira (cf. v.
57), donc, se détacher de ses racines, de ses liens familiaux,
des biens auxquels on peut être, par ailleurs, légitimement
attaché. Le vrai disciple est en mouvement; rester sur place
équivaut à mourir et à être mis au tombeau
(v.
60). Bien sûr, nous ne savons pas si la demande adressée
à Jésus concernait un père déjà
décédé qu'il s'agissait d'enterrer dans un
délai très court ou si l'homme en question envisageait
de rejoindre Jésus plus tard, après la mort de son
père.
Dans les trois cas, la réponse
de Jésus semble très dure, voire inhumaine, mais elle
s'inscrit bien dans la perspective du détachement radical
attendu de la part des disciples, spécialement dans l'évangile
de Luc (voir, par exemple : Lc
12, 33; 14,
7-33; 18,
8-30 etc.). Celui qui se met au service du Christ et de l'Évangile
n'a pas d'autre lieu permanent, d'autre port d'attache que le Royaume
de Dieu.
Jérôme Longtin, ptre, bibliste
Saint-Jean-Longueuil
Source: Le Feuillet biblique,
no 1977. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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biblique de Montréal.
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