Cette année-là
La prédication de Jean le Baptiste
: Luc
3, 1-6
Autres lectures : Baruc
5, 1-9; Psaume
125(126); Philippiens
1, 4-6.8-11
Luc aime bien associer les personnages du monde
juif ou romain à lhistoire de Jésus. Cest
une manière pour lui de montrer que toute lhistoire
humaine converge vers un événement central :
la venue dans le monde du Fils de Dieu. Sont ainsi mis à
contribution Hérode le Grand (Luc
1,5), Auguste (Luc
2,1), Hérode Antipas (Luc
23,8-12), Gamaliel (Actes
5,34-39) etc
; dune manière ou dune
autre, ils apportent, souvent sans le savoir, leur contribution
à la réalisation du projet de Dieu. Au moment où
Jésus va commencer son ministère public, Luc fait
appel à pas moins de sept dirigeants politiques et religieux
pour bien ancrer les événements quil raconte
dans lhistoire de son temps (v.
1).
Cette année-là Dieu prend linitiative dadresser
sa Parole à Jean, fils de Zacharie (v.
2). Luc aurait tout aussi bien pu écrire : «
Jean, fils de Zacharie, commença à prêcher ».
Sur le plan historique, linformation était aussi exacte.
Mais lévangéliste veut souligner linitiative
de Dieu. Jean ne simprovise pas prédicateur mais Dieu
sadresse à lui et lui confie un message de salut.
Toute chair verra le salut (v. 6)
Le thème du salut est caractéristique
de luvre de Luc (et de Paul) (voir, par exemple :
Luc
2,11.30; 19,9;
Actes
28,28). Dans lAncien Testament le vocabulaire relié
au salut semploie pour désigner soit les grandes interventions
de Dieu dans lhistoire, soit, plus fréquemment, linitiative
divine venant délivrer le fidèle de tel danger qui
le menace (par exemple : Psaume
9,14; 11(12),5;
12(13),5
etc
). Dans la deuxième partie du livre dIsaïe
(chapitres
40 à 55), le salut concerne dabord la délivrance
des exilés à Babylone. La décision de Cyrus
de permettre aux descendants des déportés des guerres
dautrefois de rentrer chez eux, en 538 avant notre ère,
apparaît au prophète comme un geste sauveur de Dieu
lui-même qui va permettre à son peuple de revivre (voir
Is
51, 5.6.8). La citation faite par Luc aux
versets 4-6 est tirée de cette partie du livre dIsaïe
(40, 3-5); le prophète entrevoit le retour des exilés
vers leur patrie comme une procession à travers le désert
transformé, pour loccasion, en terre fertile et dont
les pistes cahoteuses deviendraient une allée triomphale.
Il est bien évident que le retour
des exilés vers Jérusalem ne sest pas réalisé
dans ces conditions idylliques. Dès lors, la promesse transmise
par Isaïe restait encore à accomplir; on était
en droit dattendre une nouvelle intervention de Dieu qui porterait
à sa pleine réalisation ce qui navait été
quamorcé lors de la restauration de Jérusalem.
Les quatre évangiles associent Is
40, 3a (grec) à la prédication de Jean le Baptiste
(cf. Mt
3,3; Mc
1,3; Jn
1,23) mais Luc est le seul à citer le texte presque au
complet jusquau verset 5. À première vue il
ny a pas beaucoup de ressemblances entre la situation envisagée
par le prophète du 6ième siècle et celle de
Jean. Le point dattache est sans doute le lieu où la
Parole de Dieu est adressée à Jean : au désert
(v. 2). Le rapprochement était facile à faire avec
la voix criant dans le désert selon la version grecque du
livre dIsaïe. Plus encore, le texte commande de préparer
une route pour accueillir quelquun qui vient (le texte dIsaïe
précise, au verset
5a, quil sagira dune manifestation de la
gloire de Dieu mais Luc omet ce membre de phrase). La
citation telle que faite par Luc laisse ouverte la question de lidentité
de ce mystérieux visiteur. Enfin Luc introduit, grâce
à cette citation, le thème du salut. Jean annonce
rien de moins que laccomplissement de la promesse faite autrefois
aux ancêtres et dont on attendait toujours la pleine réalisation.
Il proclamait un baptême de conversion (v. 3)
Jean est universellement connu comme le
Baptiste, cest-à-dire celui qui pratiquait un rite
de plongée dans leau (cf. Lc
3,16). Pourtant, dans lévangile de Luc,
il apparaît surtout comme un prédicateur et un prophète.
Son activité baptismale est réduite au minimum (il
nest même pas clair que ce soit lui qui baptise Jésus
cf. Lc
3,21). Comme les prophètes dautrefois il prend
la parole après avoir reçu un message de Dieu (voir,
par exemple : Jérémie
1, 2.4.11.13; 2,1
etc
Ézéchiel
1,3; 3,16;
6,1
etc
). Son message en est un de conversion, ce qui rejoint
encore la prédication des grands prophètes (cf. Éz
18, 30-32). Son originalité, si on peut employer un tel
terme, consiste dans lintroduction du rite baptismal. Jean
na pas inventé cette pratique qui est attestée,
vers la même époque, dans différents courants
du judaïsme. La nouveauté réside dans le fait
que ce rite est lié, dans lenseignement de Jean, au
pardon des péchés. Les sacrifices expiatoires prévus
par la Loi (cf. Lévitique
6,17-7,6) et qui constituaient une part importante de lactivité
du Temple de Jérusalem sont remplacés par un geste
simple : plonger dans leau, et surtout par une attitude
personnelle de renouveau intérieur. Après la Pentecôte,
Pierre reprendra presque mot à mot la prédication
de Jean mais en y ajoutant une note spécifiquement chrétienne :
convertissez-vous dit-il et que chacun de vous
soit baptisé au nom de Jésus Christ pour le
pardon de vos péchés (Actes
2,38).
Vous marcherez vers le jour du Christ (Philippiens 1,10)
Lattente de Paul diffère radicalement
de celle de Jean Baptiste. Celui-ci espérait la venue de
quelquun qui allait inaugurer le Règne de Dieu; Paul
attend la manifestation glorieuse du Christ mort et ressuscité.
Entre les deux, ont pris place les événements de Pâques
qui ont créé une situation nouvelle. Pourtant on peut
dire que, dun certain point de vue, Jean Baptiste, Paul et
les chrétiens de toutes les époques se rejoignent
dans une même espérance. La venue dans notre histoire
du Fils de Dieu fait homme a accompli et dépassé toutes
les attentes des croyants de lAncienne Alliance; elle a démontré
de manière définitive la fidélité de
Dieu et son engagement envers lhumanité; elle garantit
que notre espérance nest pas vaine. Même si les
chrétiens de Philippes nont pas vu leur attente se
réaliser aussi vite quils le croyaient, nous continuons
à espérer avec eux la venue du jour du Christ
(v. 10).
«Avez-vous lu Baruc ?»
On raconte que le poète et fabuliste
Jean de la Fontaine, qui avait mené une vie assez désordonnée,
se convertit à la lecture du livre de Baruc. Après
sa conversion, il abordait ses amis et connaissances en leur posant
toujours cette question : « Avez-vous lu Baruc? »
Je suppose que bien peu de chrétiens pourraient répondre
oui car ce livre, transmis uniquement en grec, nest certainement
pas le plus connu de la Bible. En reprenant des thêmes et
des images des livres antérieurs, il exprime bien la piété
juive de la période appelée hellénistique
(cest-à-dire, marquée par linfluence de
la culture grecque, du 4ième au 1er siècle avant notre
ère).
Le passage retenu par la liturgie
sinspire assez directement du livre dIsaïe.
Il annonce le regroupement à Jérusalem de tous les
Juifs expatriés ici et là (cf. vv.
5-6). Ce rassemblement prend lallure dune nouvelle
création; la nature entière collaborera à la
réalisation du projet de salut de Dieu (cf. vv.
7-8). Cette espérance, exprimée dune génération
à lautre malgré les échecs et les déceptions,
trouvera sa pleine réalisation au jour où viendra
le Christ Jésus (Philippiens 1,6) dans la gloire
de son Royaume.
Source: Le Feuillet biblique,
no 2078. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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