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1er dimanche de Carême C - 25 février 2007

 

 

Le temps de l'épreuve

La tentation de Jésus : Luc 4, 1-13
Autres lectures : Deutéronome 26, 4-10; Psaume 90(91) ; Romains 10, 8-13

« Épreuve : opération par laquelle on juge les qualités, la valeur d’une chose. Spécialement : Épreuves destinées à juger quelqu’un, à lui conférer une qualité, une dignité, à le classer» (Le Petit Robert, 1). Parmi tous les sens du mot épreuve, celui-ci convient le mieux à la situation vécue par Jésus. Avant d’entreprendre son ministère public il est soumis à un véritable test : est-il capable, oui ou non, de résister aux tentations de la facilité et d’aller jusqu’au bout dans la mission que Dieu son Père lui confie?

     
Si tu es Fils de Dieu… (vv. 3.9)

 Deux des trois tentations commencent de cette manière : Si tu es Fils de Dieu. Lors de son baptême Jésus a entendu la voix venue du ciel lui dire : Tu es mon Fils bien-aimé (Luc 3, 22); dans sa généalogie on trouve aussi Dieu à l’origine de la longue lignée de ses ancêtres (Lc 3,38). Jésus est fils de Dieu parce qu’il appartient à l’humanité et que celle-ci est créée par Dieu; il l’est aussi d’une manière tout à fait unique,comme le Bien-aimé en qui Dieu trouve son bonheur (Lc 3, 22).

  Le statut de fils de Dieu implique une protection spéciale : Si le juste est fils de Dieu, Dieu l’assistera et le délivrera des mains de ses adversaires (Sagesse 2,18). Mais cela n’exempte pas de l’épreuve : Comprends donc que Yahvé, ton Dieu te corrigeait comme un père corrige son enfant (Deutéronome 8,5). La stratégie du tentateur est double. En attirant l’attention sur la filiation divine de Jésus, il justifie, en quelque sorte, sa mise à l’épreuve et il le met au défi de faire ses preuves en obtenant de Dieu la protection promise. Jésus est remis en question dans ce qui fait l’essentiel de sa relation à Dieu et dans la confiance totale à son égard. Si Jésus refuse de relever le défi, cela pourrait être interprété comme un manque de confiance; si, au contraire, il cède à la tentation, il met Dieu à son service plutôt que d’être lui-même au service de Dieu; cela équivaut à une démission par rapport à la raison d’être de son existence. Jésus se sort de ce dilemme en situant le débat à un autre niveau, celui du projet de salut de Dieu pour l’humanité. Il n’est plus seul en cause mais, en lui, c’est toute l’humanité qui doit faire des choix décisifs.

Ordonne à cette pierre de devenir du pain (v. 3)

 En visitant autrefois le monastère grec de la Quarantaine, près de Jéricho, j’ai eu l’occasion de voir cette pierre. Elle a la dimension, et vaguement la forme, d’une grosse miche. Évidemment personne n’est obligé de croire en son authenticité!

  La première épreuve de Jésus concerne la nourriture, un des besoins les plus fondamentaux. Cela rappelle la situation des Israélites dans le désert : Souviens-toi de tout le chemin que Yahvé ton Dieu t’a fait parcourir pendant quarante ans dans le désert, afin de t’humilier, de t’éprouver et de connaître le fond de ton cœur : allais-tu, oui ou non, garder ses commandements? Il t’a fait connaître la faim … (Dt 8, 2-3a).

  Le Fils de Dieu souffre de la faim; voilà bien le paradoxe de l’Incarnation. Il résiste en citant la Parole de Dieu : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre (v. 4 cf. Dt 8, 3b). On pense à cette autre parole de Jésus : J’ai à manger un aliment que vous ne connaissez pas (…) Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et de mener son œuvre à bonne fin (Jn 4, 32.34). Jésus choisit le chemin difficile de l’obéissance plutôt que la voie de la facilité.

Je te donnerai tout ce pouvoir … (v. 6)

  Dans l’Évangile de Luc le seul autre personnage à exercer son autorité sur toute l’oikouméné, la terre habitée, est Auguste, l’empereur régnant au moment de la naissance de Jésus (Lc 2,1). On sait que les empereurs romains avaient des prétentions à la divinité; on leur élevait des temples et ils recevaient un culte, surtout dans les provinces orientales de l’Empire ( par exemple les temples d’Auguste construits sous le règne d’Hérode le Grand à Samarie et à Césarée). La prétention du diable à exercer le pouvoir sur toute la terre habitée (oikouméné) pourrait bien cacher, en fait, une allusion au culte impérial. Pour un Juif pieux, la participation à ces démonstrations est inacceptable. Certains, pourtant, étaient tentés de faire des compromis, ne voyant en cela que des cérémonies civiques, sans portée religieuse. Le même problème allait se poser dans le christianisme des premiers siècles.

  La manière dont Luc raconte la tentation de Jésus évoque le problème toujours actuel des compromis avec le «monde». Dieu seul est digne d’adoration; céder à l’attrait des «idoles», sous n’importe quelle forme, c’est s’engager sur un chemin qui éloigne de Dieu. Jésus rejette toute compromission; il est venu servir Dieu et Dieu seul.

Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur … (v. 12)

  Le diable fait étalage de ses connaissances bibliques. Il invite Jésus à exiger pour lui-même la protection promise par Dieu à ses fils (v. 9). La réponse de Jésus est tirée du Deutéronome (6,6) – comme d’ailleurs les deux précédentes(vv. 4.8) – mettant en contraste le Fils de Dieu mis à l’épreuve par le diable (v. 2) et son refus de mettre à l’épreuve Dieu son Père. Jadis le peuple d’Israël avait mis Dieu à l’épreuve (Exode 17, 1-7). Si Jésus refuse de se jeter du haut du temple, ce n’est pas par manque de confiance en son Père mais, au contraire, pour renouer, par sa fidélité, ce lien de confiance que ses ancêtres avaient brisé. Il n’a pas besoin d’exiger de Dieu des signes spectaculaires car il est sûr de sa présence et de son amour.

La Parole est près de toi … (Rm 10, 8)

  Puisqu’il s’agit des relations entre le judaïsme et la foi chrétienne, Paul émaille son texte de citations bibliques (cf. les chapitres 9,10 et 11 de Romains). Dans le court extrait retenu par la liturgie le texte de départ provient du Deutéronome (30,14). Paul interprète la Parole comme le message de foi que nous proclamons (v. 8). C’est une manière de dire que toute l’Écriture converge vers le Christ. Tout l’héritage spirituel de l’Ancienne Alliance trouve son accomplissement dans la personne de Jésus, mort et ressuscité (v. 9). La foi en lui est le chemin du salut (vv. 10.13) et la Parole, spécialement la Parole écrite, est le chemin de la foi. Les Juifs du temps de Paul ne seraient pas infidèles à leur identité s’ils reconnaissaient le salut apporté par Jésus; bien au contraire, ils porteraient à leur achèvement les promesses transmises par Moïse et les prophètes.

Mon père était un Araméen errant … (Dt 26,5)

  La liturgie de ce premier dimanche du carême baigne dans une atmosphère deutéronomique. La deuxième lecture et l’évangile citent explicitement ce livre et la première lecture nous en présente un des sommets, un passage appelé par les spécialistes : le credo historique. Ces quelques versets résument toute l’histoire d’Israël depuis Jacob, l’Araméen errant, jusqu’à l’établissement dans la Terre promise, un pays ruisselant de lait et de miel (v. 9). Lorsque l’Israélite veut proclamer sa foi, il n’énonce pas une série de vérités abstraites mais il raconte les merveilles accomplies par Dieu pour libérer son peuple.
Le chrétien qui entend ce texte aujourd’hui se rappelle que la libération définitive a été réalisée par Jésus qui, dans sa fidélité totale à Dieu, a fait entrer toute l’humanité, Juifs et païens (cf. Rm 10,12), dans la Terre promise définitive, le Royaume de Dieu.

 

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2089. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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