Le temps de l'épreuve
La tentation de Jésus : Luc
4, 1-13
Autres lectures : Deutéronome
26, 4-10; Psaume
90(91) ; Romains
10, 8-13
« Épreuve : opération
par laquelle on juge les qualités, la valeur dune chose.
Spécialement : Épreuves destinées à
juger quelquun, à lui conférer une qualité,
une dignité, à le classer» (Le Petit Robert,
1). Parmi tous les sens du mot épreuve, celui-ci convient
le mieux à la situation vécue par Jésus. Avant
dentreprendre son ministère public il est soumis à
un véritable test : est-il capable, oui ou non, de résister
aux tentations de la facilité et daller jusquau
bout dans la mission que Dieu son Père lui confie?
Si tu es Fils de Dieu
(vv. 3.9)
Deux des trois tentations commencent de cette manière :
Si tu es Fils de Dieu. Lors de son baptême Jésus
a entendu la voix venue du ciel lui dire : Tu es mon Fils
bien-aimé (Luc 3, 22); dans sa généalogie
on trouve aussi Dieu à lorigine de la longue lignée
de ses ancêtres (Lc
3,38). Jésus est fils de Dieu parce quil appartient
à lhumanité et que celle-ci est créée
par Dieu; il lest aussi dune manière tout à
fait unique,comme le Bien-aimé en qui Dieu trouve
son bonheur (Lc 3, 22).
Le statut de fils de Dieu implique une protection spéciale :
Si le juste est fils de Dieu, Dieu lassistera et le délivrera
des mains de ses adversaires (Sagesse 2,18). Mais cela
nexempte pas de lépreuve : Comprends
donc que Yahvé, ton Dieu te corrigeait comme un père
corrige son enfant (Deutéronome 8,5). La stratégie
du tentateur est double. En attirant lattention sur la filiation
divine de Jésus, il justifie, en quelque sorte, sa mise à
lépreuve et il le met au défi de faire ses preuves
en obtenant de Dieu la protection promise. Jésus est remis
en question dans ce qui fait lessentiel de sa relation à
Dieu et dans la confiance totale à son égard. Si Jésus
refuse de relever le défi, cela pourrait être interprété
comme un manque de confiance; si, au contraire, il cède à
la tentation, il met Dieu à son service plutôt que
dêtre lui-même au service de Dieu; cela équivaut
à une démission par rapport à la raison dêtre
de son existence. Jésus se sort de ce dilemme en situant
le débat à un autre niveau, celui du projet de salut
de Dieu pour lhumanité. Il nest plus seul en
cause mais, en lui, cest toute lhumanité qui
doit faire des choix décisifs.
Ordonne à cette pierre de devenir du pain (v. 3)
En visitant autrefois le monastère grec de la Quarantaine,
près de Jéricho, jai eu loccasion de voir
cette pierre. Elle a la dimension, et vaguement la forme, dune
grosse miche. Évidemment personne nest obligé
de croire en son authenticité!
La première épreuve de Jésus concerne
la nourriture, un des besoins les plus fondamentaux. Cela rappelle
la situation des Israélites dans le désert :
Souviens-toi de tout le chemin que Yahvé ton Dieu ta
fait parcourir pendant quarante ans dans le désert, afin
de thumilier, de téprouver et de connaître
le fond de ton cur : allais-tu, oui ou non, garder ses
commandements? Il ta fait connaître la faim
(Dt
8, 2-3a).
Le Fils de Dieu souffre de la faim; voilà bien
le paradoxe de lIncarnation. Il résiste en citant la
Parole de Dieu : Ce nest pas seulement de pain que
lhomme doit vivre (v. 4 cf. Dt
8, 3b). On pense à cette autre parole de Jésus :
Jai à manger un aliment que vous ne connaissez pas
(
) Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui
ma envoyé et de mener son uvre à bonne
fin (Jn 4, 32.34). Jésus choisit le chemin difficile de lobéissance
plutôt que la voie de la facilité.
Je te donnerai tout ce pouvoir
(v. 6)
Dans lÉvangile de Luc le seul autre
personnage à exercer son autorité sur toute loikouméné,
la terre habitée, est Auguste, lempereur régnant
au moment de la naissance de Jésus (Lc
2,1). On sait que les empereurs romains avaient des prétentions
à la divinité; on leur élevait des temples
et ils recevaient un culte, surtout dans les provinces orientales
de lEmpire ( par exemple les temples dAuguste construits
sous le règne dHérode le Grand à Samarie
et à Césarée). La prétention du diable
à exercer le pouvoir sur toute la terre habitée (oikouméné)
pourrait bien cacher, en fait, une allusion au culte impérial.
Pour un Juif pieux, la participation à ces démonstrations
est inacceptable. Certains, pourtant, étaient tentés
de faire des compromis, ne voyant en cela que des cérémonies
civiques, sans portée religieuse. Le même problème
allait se poser dans le christianisme des premiers siècles.
La manière dont Luc raconte la tentation de
Jésus évoque le problème toujours actuel des
compromis avec le «monde». Dieu seul est digne dadoration;
céder à lattrait des «idoles», sous
nimporte quelle forme, cest sengager sur un chemin
qui éloigne de Dieu. Jésus rejette toute compromission;
il est venu servir Dieu et Dieu seul.
Tu ne mettras pas à lépreuve le Seigneur
(v. 12)
Le diable fait étalage de ses connaissances
bibliques. Il invite Jésus à exiger pour lui-même
la protection promise par Dieu à ses fils (v.
9). La réponse de Jésus est tirée du Deutéronome
(6,6) comme dailleurs les deux précédentes(vv.
4.8) mettant en contraste le Fils de Dieu mis à
lépreuve par le diable (v. 2) et son refus de mettre
à lépreuve Dieu son Père. Jadis le peuple
dIsraël avait mis Dieu à lépreuve
(Exode
17, 1-7). Si Jésus refuse de se jeter du haut du temple,
ce nest pas par manque de confiance en son Père mais,
au contraire, pour renouer, par sa fidélité, ce lien
de confiance que ses ancêtres avaient brisé. Il na
pas besoin dexiger de Dieu des signes spectaculaires car il
est sûr de sa présence et de son amour.
La Parole est près de toi
(Rm 10, 8)
Puisquil sagit des relations entre le judaïsme
et la foi chrétienne, Paul émaille son texte de citations
bibliques (cf. les chapitres 9,10
et 11 de Romains). Dans le court extrait retenu par la liturgie
le texte de départ provient du Deutéronome (30,14).
Paul interprète la Parole comme le message de foi que
nous proclamons (v. 8). Cest une manière de dire
que toute lÉcriture converge vers le Christ. Tout lhéritage
spirituel de lAncienne Alliance trouve son accomplissement
dans la personne de Jésus, mort et ressuscité (v.
9). La foi en lui est le chemin du salut (vv.
10.13) et la Parole, spécialement la Parole écrite,
est le chemin de la foi. Les Juifs du temps de Paul ne seraient
pas infidèles à leur identité sils reconnaissaient
le salut apporté par Jésus; bien au contraire, ils
porteraient à leur achèvement les promesses transmises
par Moïse et les prophètes.
Mon père était un Araméen errant
(Dt
26,5)
La liturgie de ce premier dimanche du carême
baigne dans une atmosphère deutéronomique. La deuxième
lecture et lévangile citent explicitement ce livre
et la première lecture nous en présente un des sommets,
un passage appelé par les spécialistes : le credo
historique. Ces quelques versets résument toute lhistoire
dIsraël depuis Jacob, lAraméen errant, jusquà
létablissement dans la Terre promise, un pays ruisselant
de lait et de miel (v. 9). Lorsque lIsraélite veut
proclamer sa foi, il nénonce pas une série de
vérités abstraites mais il raconte les merveilles
accomplies par Dieu pour libérer son peuple.
Le chrétien qui entend ce texte aujourdhui se rappelle
que la libération définitive a été réalisée
par Jésus qui, dans sa fidélité totale à
Dieu, a fait entrer toute lhumanité, Juifs et païens
(cf. Rm
10,12), dans la Terre promise définitive, le Royaume
de Dieu.
Source: Le Feuillet biblique,
no 2089. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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biblique de Montréal.
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