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Dimanche du Saint-Sacrement - 10 juin 2007

 

Un signe du salut

Multiplication des pains : Luc 9, 11-17
Autres lectures : Genèse 14, 18-20; Psaume 109(110); 1 Corinthiens 11, 23-26

Dans l’évangile de Luc, le récit de la multiplication des pains et des poissons appartient à la conclusion du ministère en Galilée (Lc 9, 1-50); en 9,51 Jésus prend la route de Jérusalem. Cette conclusion comprend plusieurs épisodes qui peuvent paraître disparates, mais Luc a su tisser entre ces éléments des liens auxquels le lecteur doit se montrer attentif.

     
Un coup d'œil sur le contexte

     Le récit de la multiplication est encadré par deux sections qui présentent entre elles beaucoup d’affinités : les interrogations d’Hérode au sujet de Jésus (vv. 7-9) et les questions de Jésus à ses disciples sur sa propre identité (vv. 18-22). Dans le premier cas, le questionnement reste sans réponse; Hérode est perplexe et voudrait voir Jésus (Lc 9,9). Dans le second, Pierre reconnaît en Jésus le messie de Dieu (Lc 9, 20) et Jésus s’empresse de préciser comment il va réaliser sa vocation de Messie : la passion et la résurrection (Lc 9,22).

      La scène des pains et des poissons permet de faire le passage de l’une à l’autre, de la curiosité un peu inquiète d’Hérode à la confession de Pierre.

Jésus parlait du règne de Dieu (Lc 9, 11)

      La rencontre de Jésus avec la foule a lieu près de Bethsaïde (Lc 9,10). Luc note que les gens suivent Jésus – ce qui est caractéristique des disciples – et que celui-ci leur fait bon accueil (Lc 9,11a). Il se livre alors aux activités qui ont été les plus caractéristiques de son ministère, l’enseignement et la guérison des malades (v. 11b). Dans les deux cas, il s’agit d’une annonce du règne de Dieu, en paroles et aussi en gestes. Les miracles sont la mise en œuvre de ce qui est proclamé dans le discours : le Règne de Dieu arrive, le monde nouveau est déjà là. Luc établit un lien entre la mission de Jésus et celle de ses disciples, envoyés proclamer le Royaume de Dieu et faire des guérisons (Lc 9,2). Cette association de Jésus avec les disciples va se poursuivre dans la scène principale, celle du repas.

Donnez-leur vous-mêmes à manger

      Cette injonction, au cœur du récit, oriente la compréhension de toute la scène. Si les disciples ne peuvent rien faire sans Jésus, lui-même ne veut rien faire sans eux. Sans doute, il aurait pu dire : « Inutile qu’ils s’en aillent, je m’occupe de les nourrir » mais il dit plutôt : Donnez-leur vous-mêmes à manger. À travers les disciples, c’est déjà l’Église de tous les temps qui reçoit la charge de donner au monde la nourriture qui vient du Christ..

Jésus prit les cinq pains... (v. 16)

      On l’a remarqué depuis longtemps, Jésus ne crée pas de nourriture à partir de rien mais il compte sur ce que les disciples lui apportent; il prend les pains et les poissons qui sont offerts. Le repas provient donc véritablement des disciples et il est aussi servi par eux : Jésus … donna (les pains et les poissons) à ses disciples pour qu’ils les distribuent à tout le monde (v. 16).

      Il était tout à fait habituel, dans le monde juif, de prier avant un repas. La bénédiction prononcée par Jésus doit d’abord se comprendre dans ce contexte. Cependant, il est clair que les récits du dernier repas et ceux de la multiplication des pains se sont influencés mutuellement. Luc fait en sorte que les lecteurs de cet épisode pensent tout naturellement à la dernière cène. Même s’il ne s’agit pas d’un repas eucharistique, la structure du texte évoque les célébrations des premières communautés, telles que nous pouvons les connaître par ailleurs (par exemple, par le témoignage de saint Justin, au deuxième siècle) : liturgie de la Parole (v. 11) et partage du pain (vv. 16-17). L’écoute de la Parole et la fraction du Pain deviennent le chemin qui permet de passer de l’inquiétude à la foi.

On ramassa les morceaux... (v. 17)

      Ce détail, qui se trouve dans toutes les versions du récit de la multiplication des pains et des poissons, m’a toujours paru bizarre; pourquoi Jésus n’a-t-il pas fait en sorte « d’arriver juste » pour qu’il n’y ait pas de restes?

      L’Ancien Testament offre un précédent : Élisée nourrit cent hommes avec vingt pains et il y a des restes (2 R 4, 42-44). La tradition évangélique veut montrer que Jésus est un prophète bien supérieur à Élisée. Par ailleurs l’abondance de nourriture fournie gratuitement par Dieu est un signe du salut. Cela est vrai au passé, lors du séjour au désert (Ps 78, 24-25.29; Sa 16, 20-21) et au futur, lors des temps messianiques (Ps 22,27; Is 55,2). La nourriture est surabondante car Dieu ne donne jamais chichement, qu’il s’agisse des biens spirituels ou de ceux qui sont nécessaires à la vie quotidienne. Mais ses dons ne doivent pas être gaspillés, c’est pourquoi on prend soin de ramasser les restes.


     Ce qui est vrai dans l’ordre symbolique l’est aussi dans l’ordre naturel. Notre terre peut produire ce qu’il faut pour nourrir convenablement ses habitants à la condition que ses ressources ne soient pas gaspillées ni accaparées par quelques-uns au détriment des autres.

Je vous ai transmis ce que j’ai reçu... (1 Corinthiens 11, 23)

     Paul écrit aux Corinthiens vers 57, c’est-à-dire moins de trente ans après les événements qui, à Jérusalem, ont marqué le début de l’histoire chrétienne. Lui-même n’était pas présent lors de ce repas que Jésus partagea avec ses disciples la nuit où il était livré (v. 23). Mais il en a entendu le récit et il l’a transmis, pas seulement en le racontant comme une histoire du passé mais en le vivant avec les communautés qu’il avait fondées, réalisant ainsi le commandement : faites cela en mémoire de moi (vv. 24.25). Il devient ainsi le premier témoin de l’eucharistie dans l’Église naissante, au moins une dizaine d’années avant la publication de l’évangile le plus ancien, celui de Marc.

     Lorsque Paul écrit, la pratique du Repas du Seigneur (cf. 1 Co 11,21) est déjà connue; même des abus et des déviations ont eu le temps d’apparaître. C’est pour y mettre fin que Paul intervient. Ces abus nous ont valu ce témoignage irremplaçable : dès les origines, avant même la mise par écrit des paroles et des gestes du Seigneur, les premiers disciples se sont réunis pour faire ce qu’il leur avait ordonné : manger son corps et boire son sang en proclamant sa mort jusqu’à ce qu’il vienne (v. 26). L’eucharistie est donc bien, depuis toujours, au cœur de l’existence chrétienne.

Melkisédek, prêtre du Dieu très-haut... (Gn 14, 18)

      Melkisédek n’apparaît qu’en deux endroits de l’Ancien Testament : Gn 14, 18-20 et Ps 110 (109), 4. À cause du mystère qui l’entoure, il a connu une célébrité considérable dans la littérature extra-biblique (Qumran, 2ième livre d’Hénoch, etc.) et l’auteur de l’Épître aux Hébreux en fait une figure du Messie, prêtre et roi (cf. He 7, 1-17). Les Pères de l’Église ont vu dans le pain et le vin une figure de l’eucharistie. La victoire d’Abraham sur ses ennemis annonce celle du Christ sur la mort et les puissances du mal, célébrée chaque fois qu’est renouvelé son sacrifice en mémorial.

Source: Le Feuillet biblique, no 2104. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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