Malgré tout, soyons fiers de Jésus
Le complot contre Jésus : Marc 14, 1 - 15, 47
Autres lectures : Isaïe 50, 4-7 ; Psaume 21(22) ; Philippiens 2, 6-11
En ce dimanche des Rameaux et de la Passion, il est facile de négliger l'étude des textes bibliques. Le prétexte? nous prenons pour acquis qu'il ne s'y trouve ni surprise ni piste d'actualisation pertinente. Le discours explicatif se limite souvent à rappeler au premier degré la mort de Jésus. Est-ce le seul propos du récit de la Passion? N'y aurait-il pas d'autres thèmes insérés au fil de ces lignes que nous proclamons avec solennité?
Le récit de l'Évangile selon Marc comporte un autre danger. Puisque ce texte est la base des récits plus élaborés de Matthieu et de Luc, on s'imagine alors aisément que le texte de Marc est un récit brut, collé sur les faits, sans saveur particulière. Pourtant, il contient de petites originalités.
Un récit original : Marc 14, 1 - 15,47
Comment s'établit l'originalité de ce long récit? Par son recours aux textes du Premier Testament? Comme les autres évangélistes, Marc recourt au langage biblique pour décrire le sens des malheurs subis par Jésus. Il est ainsi fidèle à la manière de faire des premières générations chrétiennes. Il utilise les Psaumes 22, 69 et les chants du Serviteur tirés du prophète Isaïe. Rien de bien surprenant là-dedans...
• Un premier exemple d'originalité est fourni par la puissante mise en scène d'une parfaite inconnue (14, 3-9). Elle verse du parfum très pur sur la tête de Jésus. Ce parfum est conservé dans un vase de grande valeur. Ce geste crée une commotion économique chez certains disciples. Selon les dires de Jésus, le geste anticipe sa mort prochaine. Mais surtout, comme le démontrera la suite de notre exploration, la valeur phénoménale du parfum employé dans cet embaumement anticipé a une fonction précise. Elle vient dissiper comme par avance la honte rattachée à l'inhumation d'un crucifié, donc d'un criminel. Cet épisode fonctionne comme un avertissement : « Méfiez-vous des apparences. La mort de Jésus ne l'enferme pas à jamais dans la honte. Son honneur lui sera rendu, et de puissante façon ». En littérature, on nomme « prolepse » un tel procédé d'anticipation. Le récit nous instruit d'avance d'un élément important du dénouement encore lointain.
• À l'opposé de cette gloire anticipée du Seigneur, le jeune homme qui abandonne son vêtement à ses poursuivants (14, 51-52) indique le risque encouru par toute personne qui entend suivre Jésus. La honte pourrait être au rendez-vous pour quiconque refuse de voir au-delà des tristes apparences accolées à Jésus prisonnier. Cette thématique du vêtement reviendra en négatif puis en positif plus loin dans le récit. Le manteau pourpre dont on affuble Jésus pour le couvrir de honte (15, 16-20) est en fait un symbole impérial. Au jour de la Résurrection, le messager du ciel sera vêtu de blanc, comme en signe de royauté retrouvée et d'honneur redonné. L'épisode du jeune fuyard inconnu reflète alors la stérilité de la fuite devant la mort et son linceul. L'acceptation de la mort est le chemin obligé pour renouer avec la vie et l'honneur.
• Une troisième piste originale est fournie dans le contraste des rôles tenus par deux Romains. Pilate donne l'impression d'avoir pouvoir sur Jésus. Devant Pilate, le silence de Jésus anticipe pendant un bref moment le contrôle qui a caractérisé Jésus depuis le début de l'Évangile selon Marc, et donc dans l'épisode proclamé avant la procession. C'est un autre Romain, un officier centurion, qui consacrera pour le statut de Jésus le retour à la normalité de l'Évangile selon Marc. Finalement, le regard de cet étranger nous fait dépasser la honte normale devant le spectacle de la mort d'un criminel. Le centurion rétablit l'honneur de Jésus : il est déclaré inséré dans la relation avec son Père du ciel.
Nous voici plus sensibles à quelques éléments du contenu biblique original du dimanche des Rameaux 2009. Nous avons découvert que l'évangile maintient le cap sur la présentation d'un Jésus en plein contrôle de la situation. Au moment où ce contrôle et l'honneur qui en découle semblent échapper à Jésus, des personnages anonymes prennent le relais de la victime. Une femme, un officier sans nom mais avec un rôle essentiel interviennent. Ils nous rappellent que le regard porté sur Jésus aboutit tôt ou tard à reconnaître sa valeur exceptionnelle aux yeux de Dieu. Somme toute, la mésaventure du crucifié est positive et génère un statut honorable de haut niveau.
Un antidote à notre honte latente
Avons-nous encore besoin de lire et de proclamer ce parcours entre honte imposée et honneur retrouvé? Oui, et plus que jamais. Nous subissons actuellement comme personnes croyantes un bombardement médiatique constant. Certains médias dénigrent les réalisations concrètes des fidèles des générations précédentes. Ils contribuent ainsi à la dilution de la réputation du christianisme. En mettant en doute la légitimité, voire la légalité des œuvres du passé, ces médias transforment le statut honorable des institutions chrétiennes en scories de l'histoire vouées à la disparition des mémoires et des paysages. Les faits et gestes chrétiens sont entachés de non-dit honteux dans les médias, même si « toutes les religions se valent ». Pourquoi la société devrait-elle accorder aujourd'hui et dans l'avenir un quelconque statut honorifique aux travaux des personnes qui entendent continuer l'œuvre de quelqu'un qui a jadis été gratifié du statut honorable d'envoyé de Dieu, voire de Fils de Dieu?
Actuellement, Jésus est à nouveau dénigré, déshonoré. Le syncrétisme de bon ton des médias et de la politique le dépouille de toute portée salvifique. Niant toute valeur à une tradition de foi bimillénaire, on le rétrograde au rang d'un personnage religieux comme tant d'autres, comme tous les autres. Allons-nous condamner à nouveau Jésus à la solitude déshonorante de l'abandon vécu jadis au seuil de la grande nuit? Nous avons été plongés dans cette mort pour être intégrés par le baptême à sa vie de Ressuscité et de Fils. Allons-nous contribuer par notre silence à son déshonneur? Ou, au contraire, continuerons-nous à participer au relèvement de sa réputation, de sa gloire? Nous qui proclamons le récit de sa mort, nous sommes placés dans la position de l'étranger au pied de la croix, ce centurion qui voit au-delà des apparences et qui saisit ce qui est en train de se jouer.
Cette réflexion est très importante pour la suite de la mission en ce pays que nous aimons, en cette époque dont nous apprécions les progrès et les succès. La communauté chrétienne qui se met à l'écoute de la Parole, en ce dimanche des Rameaux et de la Passion, pourrait donc renouer avec la fierté.
Fierté face au divin crucifié. Fierté pour son message et ses accomplissements. Fierté aussi pour les succès des générations de personnes croyantes qui ont emprunté le même chemin d'anéantissement par les hommes et de relèvement par Dieu. Fierté enfin pour notre appartenance à l'immense famille des enfants de Dieu, famille répandue sur toute la terre.
Au-delà de la honte dont des forces obscures mais bien réelles essaient d'entacher le beau nom d'enfants de Dieu, voici venue pour nous la Grande Semaine. Moment d'humilité et de réalisme. Non, l'humiliation n'est pas le dernier mot de Dieu ou de la société.
Au Québec, ces premiers Jours saints de l'ère « post-enseignement religieux scolaire » prennent une force de témoignage qui n'a rien d'anodin. C'est une occasion historique pour affirmer la contribution unique de Jésus à notre dignité de membres de la famille humaine et de la famille divine. Rien de moins!
Source: Le Feuillet biblique, no 2181. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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