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12e dimanche ordinaire C - 20 juin 2010

 

 

Perdre et sauver sa vie

Profession de foi de Pierre : Luc 9, 18-24
Autres lectures : Zacharie 12, 10-11; 13, 1; Psaume 62(63); Galates 3, 26-29

 

Perdre pour gagner : en économie, on dirait un investissement; en jargon militaire, ce serait un repli stratégique; en politique, ce peut être une concession au parti de l’opposition qui vous assure de conserver le pouvoir. La survie appelle à consentir des efforts, à encaisser certaines pertes, en vue d’un gain plus important. Mais une chose est de perdre «quelque chose» à soi et une toute autre est de perdre sa propre vie… Lorsqu’on perd sa propre vie, tout gain éventuel devient futile, puisqu’on ne sera pas là pour en profiter. Or, le Christ m’invite à perdre ma vie pour la sauver. Comment est-ce possible?

Un pari sur la vie dans l’au-delà?

     Sans doute le premier indice à suivre est-il la promesse d’une autre vie que celle-ci. Si je perds ma vie en ce monde « pour lui », il me redonnera une vie meilleure dans l’au-delà, à la résurrection des morts. De ce point de vue-là, la résurrection du Christ devient la « garantie » qui m’est offerte d’une vie nouvelle, une vie qui m’échappe autrement et qui se présente comme une vie enviable, désirable : sans souffrance, sans perte, sans fin… Suivre les pas du Christ en ce monde, porter ma croix chaque jour et « renoncer » à moi-même ici-bas seraient le prix à payer pour jouir de la vie meilleure après. Il s’agit pourtant d’un pari risqué : je renonce au bonheur ici et maintenant dans l’espoir d’un bonheur demain et ailleurs, un demain et un ailleurs que je ne connais pas. Le jeu en vaut-il la chandelle?

La vie nouvelle est commencée

     La bonne nouvelle que Jésus annonçait ne saurait se réduire à ce genre de pari. Il y avait certes des gens souffrants, dont les conditions de vie pouvaient difficilement s’améliorer et pour qui la possibilité d’une toute autre vie était source d’espoir. Nous-mêmes aujourd’hui, lorsque nous sommes confrontés à la mort, nous espérons la vie, envers et contre tout. Néanmoins, le message de Jésus n’était pas de nous consoler de nos malheurs parce que Dieu allait nous récompenser après notre mort. Jésus n’aurait guère suscité d’enthousiasme autour de lui avec pareil enseignement. Ce n’est pas une sagesse cynique que Jésus prêchait, où chacun devait retourner chez-soi et se contenter de ce qu’il avait, sans trop s’y attacher. Le prophète de Nazareth ouvrait plutôt la porte du bonheur dès ici-bas et maintenant, sans plus attendre. Les foules accouraient et les gens tissaient des nouveaux liens entre eux, tous joyeux de pouvoir vivre autrement leur présent, quel qu’il fût.

La fidélité de Jésus à lui-même

     Comment tisser des liens nouveaux avec ceux et celles que nous côtoyons depuis un certain temps? En renouvelant notre regard sur ces personnes que nous croyons déjà connaître. En acceptant de les voir sous un autre jour. En les libérant du joug de nos étiquettes. Jésus apprenait à ses disciples à se déprendre des idées toutes faites, surtout au sujet des gens! La foule le prenait pour Jean Baptiste, ou Élie, ou un autre prophète revenu à la vie. Ses propres disciples croyaient qu’il était le Messie de Dieu. Jésus, lui, assumait consciemment et courageusement le rejet qu’il allait subir de tous, parce qu’il ne se reconnaissait pas dans ces voies toutes tracées à l’avance et parce qu’il voulait demeurer fidèle à lui-même, à l’appel qu’il avait reçu de Dieu, à sa propre destinée.

     Se conformer au regard des autres, c’est courir le danger de se perdre de vue, de se perdre soi-même dans le regard et les attentes d’autrui. Le Messie de Dieu était sensé libérer le peuple et régner victorieusement, à la manière des grands de ce monde. Jésus n’aurait jamais voulu devenir un tel Messie, lui qui se mettait au service des petites gens, des plus pauvres et des malades des régions, loin de la vie des grands de ce monde. Lorsqu’il fera son entrée à Jérusalem, ce sera à dos d’âne, pas monté sur le cheval des rois.

Sauver sa vie

     À bien y réfléchir, finalement, Jésus nous invite à oser vivre notre vie, pas celle que les autres attendent de nous. Il ne s’agit donc pas de renoncer à qui nous sommes, en vue d’être acceptés de Dieu, loin de là. Il s’agit plutôt de renoncer aux titres, aux étiquettes et aux idées toutes faites, pour risquer de vivre l’inédit : la vie unique que nous n’avons pas encore vécue et que personne ne peut deviner ou choisir à notre place. Vouloir sauver sa vie, n’est-ce pas protéger l’illusion d’une vie toute faite, que l’on n’a pas encore vécue? Prendre sa croix chaque jour et suivre Jésus, n’est-ce pas renoncer aux acquis et se mettre en route vers demain, s’appuyant seulement sur le Seigneur? La vie nouvelle commence maintenant; elle vient de Dieu et nous conduit à lui. La souffrance fait partie du parcours; elle ne saurait être évitée, même par le Messie. À la suite de Jésus, être sauvé, c’est ne plus ressentir l’urgence de se sauver. À la suite de Jésus, celle ou celui qui perd sa vie toute faite s’ouvre à la vie sans fin de Dieu.

Une figue du Christ souffrant

Ils feront une lamentation sur lui comme sur un fils unique (Zacharie 12,10)

     Le prophète Zacharie espérait lui aussi un changement de regard de la part de son peuple. Un jour les habitants de Jérusalem lèveraient enfin les yeux vers celui qu’ils auraient transpercé. Au lieu de voir en lui une personne maudite par Dieu, les gens pleureraient amèrement comme s’ils avaient perdu un premier-né, comme s’il s’agissait de leur fils unique. Les premiers chrétiens ont relu cette prophétie à la lumière de la crucifixion de Jésus et y ont vu son accomplissement. Jésus a été perçu premièrement comme le Messie attendu. Cloué sur la croix, il a été bafoué comme un criminel maudit. L’Esprit que Dieu a répandu sur ses disciples aura permis de changer de regard sur lui et de le percevoir plutôt comme le Fils unique offert par amour pour réconcilier le monde.

Appeler à l’unité dans le Christ            

C’est vous qui êtes la descendance d’Abraham (Galates 3,29)

     Ce changement de regard sur soi et sur l’autre devant soi permet aussi de renouveler sa compréhension du plan de Dieu. Saint Paul a profondément vécu cette conversion du regard. Si celui qu’on croyait maudit par Dieu sur la croix est en fait le Fils de Dieu envoyé pour le salut du monde, alors tous ceux et celles qui l’imitent deviennent ses frères et sœurs, descendants d’Abraham et héritiers des promesses divines. Si un homme crucifié peut être le Messie des juifs, alors des païens au regard converti ne sont plus des païens. Ils deviennent eux aussi des enfants d’Abraham! Aux yeux dessillés de Paul, toutes les étiquettes et les catégories tombent : Esclave? Homme libre? Femme? Tous deviennent les enfants chéris d’un Dieu qui veut nous ouvrir les yeux, pour que nous vivions la vraie vie « sans étiquette », « sans fin », la vie belle et authentique, celle qui ne déçoit pas.

 

Rodolfo Felices Luna, bibliste

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2235. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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