L'ami des petits et des pauvres?
Conversion de Zachée : Luc 19, 1-10
Autres lectures : Sagesse 11, 23 - 12, 2; Psaume 144(145); 2 Thessaloniciens 1, 11 - 2,2
L’évangile de ce dimanche rappellera à plusieurs des souvenirs d’enfance. Parce qu’il était petit de taille (Luc 19,3), Zachée est souvent le héros des catéchèses pour jeunes. Les catéchètes insistent sur le regard d’amour de Jésus envers ceux qui, comme eux, sont petits de taille et aiment monter aux arbres. La « conversion » de Zachée invite les jeunes au partage et à l’honnêteté. Certes, il fait bon redécouvrir les catéchèses de notre enfance. Mais il importe aussi de relire le récit de Zachée avec des yeux d’adulte.
Qui est Zachée ? Que cherche-t-il ?
Depuis près de dix chapitres (voir Luc 9,51), Jésus est en route vers Jérusalem et il en est à la dernière étape de sa montée : Jéricho. Avant d’y entrer, il a guéri un aveugle mendiant qui l’avait supplié par deux fois : Fils de David, aie pitié de moi (18,38-39). Jésus lui dit : Vois. Ta foi t’a sauvé. À l’instant même, l’homme se mit à voir, et il suivait Jésus en rendant gloire à Dieu. Et tout le peuple, voyant cela, adressa ses louanges à Dieu (18,42-43). Jésus reprend sa route et, tandis qu’il traverse Jéricho, Luc nous présente un homme du nom de Zachée ; il était le chef des collecteurs d’impôts, et c’était quelqu’un de riche (19,2). Il a tout contre lui. Les collecteurs d’impôts ou publicains travaillaient pour les Romains. C’étaient souvent des gens malhonnêtes qui exigaient plus que leur dû et empochaient la différence. Heureusement pour Zachée, Jésus fait bon accueil aux publicains (Lc 15,1-2). Mais la richesse de Zachée risque de jouer contre lui. Rappelons deux paroles de Jésus : Malheureux, vous les riches : vous avez votre consolation ! (6,24). Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses de pénétrer dans le royaume de Dieu ! Car il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu (18,24-25). Mais Zachée persiste. Il cherchait à voir qui était Jésus, mais il n’y arrivait pas à cause de la foule, car il était de petite taille. Il courut donc en avant et grimpa sur un sycomore pour voir Jésus qui devait passer par là (19,3-4). Zachée ne voulait pas seulement voir la célébrité de passage, il cherchait à voir qui était Jésus (19,3). Son désir profond était de connaître l’identité de celui qui devait passer par là (19,4).
Celui qui cherche à voir est vu
Une surprise attend Zachée perché sur le sycomore pour voir Jésus. Arrivé à cet endroit, Jésus leva les yeux et l’interpella : « Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison » (19,5). Il veut voir Jésus, mais c’est Jésus qui le voit. Il veut voir qui est Jésus, mais Jésus sait déjà qui est Zachée : il l’appelle par son nom. Or Zachée n’est pas le seul à être surpris. Non seulement Jésus connaît Zachée, mais il s’invite chez lui : Aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison (19,5). L’initiative choque les gens qui marchent avec Jésus. Voyant cela, tous récriminaient : « Il est allé loger chez un pécheur » (19,7). On se croirait revenu quatre chapitres plus haut. Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! » (15,1-2).
Fidèle à lui-même, Jésus ne se laisse pas arrêter par ce genre de réaction. Pour lui, aller demeurer chez Zachée signifie accomplir la volonté de Dieu : Il faut…, en grec dei, l’expression qui pour Luc exprime la volonté de Dieu (voir 2,49; 4,43; 13,14.16.33; 17,25).
Désirer, voir, accueillir, se réjouir, se convertir
Zachée avait un désir profond : Voir qui était Jésus (19,3). Ce désir l’avait mis en mouvement. Il courut donc en avant et grimpa sur un sycomore pour voir Jésus qui devait passer par là (19,4). Un regard et une parole de Jésus allaient renverser le mouvement. Après avoir couru loin de chez lui et être monté dans un arbre, vite, il descendit, et reçut Jésus avec joie (19,6) dans sa maison. Ce renversement du mouvement de Zachée en symbolise un autre, celui de son cœur. Au début du récit, pour être à la hauteur, Zachée doit monter sur un sycomore. Une fois Jésus entré chez lui, Zachée, debout 1, dit au Seigneur… (19,8). L’interpellation de Jésus a provoqué ce changement. Zachée y a répondu avec joie et cela lui a permis de voir qui est Jésus. Bien plus qu’un homme et qu’un prophète, Jésus est le Seigneur (19,8). Et Zachée, quand il prend la parole pour la première fois du récit, le reconnaît d’emblée : Voilà, Seigneur… (19,8).
Reconnaître Jésus comme Seigneur, le laisser demeurer chez lui, voilà qui change tout chez Zachée. Lui ne pouvait que se voir comme un homme de petite taille (19,3). Les autres ne voyaient en lui qu’un homme pécheur (19,7) 2. Jésus n’a pas vu en lui le chef des collecteurs d’impôts, mais il l’a appelé par son nom, « Zachée », et il s’est invité chez lui. Cela a permis à Zachée de faire preuve de bonté : Je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres (19,8), et aussi de reconnaître son péché : Si j’ai fait du tort à quelqu’un. « Mais n’oublions pas qu’en grec la condition est supposée réalisée et doit se traduire : “du moment que j’ai fait du tort” » 3. Zachée s’engage donc dans un avenir rempli de bonté (il donne aux pauvres la moitié de ses biens) et de réparation du passé (il compense au quadruple les méfaits du passé).
Et Jésus dans tout cela ?
Tout cela est bien beau, mais comment comprendre l’initiative de Jésus et surtout la conclusion à laquelle il arrive : Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham (19,9). Nous sommes habitués de voir Jésus laisser les pécheurs s’approcher de lui. Mais ici il prend les devants : Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison (19,5). Plus tôt, Jésus s’était montré fort exigeant : Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple (14,33). Ici, Zachée ne donne pas « tout ce qui lui appartient », mais bien la moitié de ses biens. Pourtant, Jésus déclare que sa maison est sauvée ! « S’agirait-il d’une demi-conversion ? Et le Seigneur se contenterait-il désormais d’une demi-mesure ? Certes non. Mais si notre percepteur avait annoncé qu’il donnait toute sa fortune, son immense fortune, aux pauvres, comment aurait-il pu rembourser au quadruple les gens qu’il avait lésés ? » 4.
La Bonne Nouvelle de ce dimanche est donc du côté de Jésus. Par son regard sur Zachée, en s’invitant chez lui pour obéir à la volonté de Dieu, il a rendu à l’homme pécheur son identité de fils d’Abraham (19,9). En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu (19,10). Aujourd’hui, le Seigneur Jésus s’invite chez nous. Descendons de nos arbres, accueillons Jésus dans la joie pour que chez nous aussi le salut fasse sa demeure.
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1 Nous préférons ici la traduction de la Bible de Jérusalem, « debout », à celle de la TOB et de la Bible de la liturgie, « s’avançant ». La BJ est ici plus fidèle au texte grec.
2 Ici aussi, nous préférons la traduction de la BJ qui est plus proche du grec.
3 Jean-Noël Aletti, L’art de raconter Jésus Christ. L’écriture narrative de l’évangile de Luc (Parole de Dieu), Paris, Seuil, 1989, p. 27.
4 Aletti, L’art de raconter Jésus Christ, p. 36-37.
Source: Le Feuillet biblique, no 2245. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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