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31e dimanche ordinaire A - 30 octobre 2011

 

 

Un appel à la cohérence

Jésus juge les scribes et les pharisiens : Matthieu 23, 1-12
Autres lectures : Malachie 1, 14b - 2, 2b.8-10; Psaume 130(131); 1 Thessaloniciens 2, 7b-9.13

 

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’au chapitre 23 de l’Évangile de Matthieu, les scribes et les pharisiens passent un mauvais quart d’heure! Heureusement que la liturgie dominicale nous épargnera le reste du chapitre où Jésus y va d’une série de sept invectives contre ces mêmes opposants, car à l’écoute de cette partie de l’évangile, d’aucuns pourraient être « troublés » par cette violence de Jésus. Mais justement comment expliquer cette virulence soudaine de Jésus - par ailleurs doux et humble de cœur (Mt 11,29) - à leur endroit? Elle peut s’expliquer en partie par le contexte historique entourant l’écriture de cet évangile et par la composition même de la communauté à laquelle Matthieu s’adresse. Non que Matthieu ait inventé les paroles ou les attitudes de Jésus 1, mais peut-être pousse-t-il un peu plus loin que les autres évangélistes la note anti scribe et pharisienne de son Jésus.

Contexte de la composition de l’évangile

     Matthieu écrit sûrement son Évangile après la chute de Jérusalem et la destruction du Temple (en 70) 2. Amputé d’une part importante de son identité (le culte du temple), c’est en cette période que le judaïsme pharisien se réorganisera et se durcira à l’égard de ceux de ses frères juifs « hérétiques », qui osent professer que le crucifié Jésus a été, par sa résurrection, manifesté comme messie d’Israël. C’est à partir de cette époque que juifs et chrétiens se distingueront, les juifs excluant définitivement les judéo-chrétiens - jusque-là tolérés – et des synagogues et du peuple élu. C’est dans ce contexte où scribes et pharisiens exercent condamnation et persécutions envers les judéo-chrétiens - groupe composant en majorité la communauté matthéenne - que l’évangile est produit. On comprendra alors que cette charge de Jésus contre scribes et pharisiens du chapitre 23 soit dirigée peut-être davantage vers les opposants aux judéo-chrétiens des années 80 plutôt que vers les contemporains mêmes de Jésus 3.

Composition de la communauté matthéenne

     Mais un deuxième élément joue : la composition de la communauté de Matthieu, à laquelle son écrit est adressé, contraint peut-être ce dernier à surligner, dans l’enseignement du Christ, les mises en garde entendues dans l’évangile de ce dimanche. Expliquons-nous. La communauté de Matthieu, tel que mentionné plus haut, est sans doute composée en majorité de juifs devenus chrétiens. Or, au plan religieux, les juifs possédaient des structures hiérarchiques bien définies. La communauté matthéenne, dans sa frange dirigeante, avait-elle importé ces réflexes hiérarchiques dans la communauté chrétienne? Ses responsables faisaient-ils sentir leur pouvoir aux dépens des plus petits de la communauté, notamment les chrétiens provenant du paganisme, formant l’autre partie, minoritaire, de la communauté? Assiste-t-on à un début de cléricalisme au sein de la communauté matthéenne? De nombreuses insistances du 1er évangile nous le laissent croire (Mt 18,1-5; 19,13-14; 20,20-28), dont l’évangile de ce dimanche : appels à ne pas répéter, dans la communauté de la nouvelle alliance, ce que Jésus pouvait reprocher aux dirigeants du judaïsme de son temps.

     En même temps, cette minorité pagano-chrétienne, composant l’autre partie de la communauté matthéenne, avait-elle tendance à vouloir balancer par la fenêtre, la tradition venant de la première alliance, au profit de la nouveauté apportée par le Christ? On sent, chez Matthieu, cette tendance à vouloir « honorer » la tradition des pères d’Israël, ce qui vient de la chaire de Moïse, notamment par ce passage de l’évangile de ce dimanche : Pratiquez donc et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire.

Appels de tous les temps

     Exercer une autorité en matière religieuse est inhérente à toute communauté liée à une règle de foi, soumise à l’autorité des Écritures. Tous ne connaissent pas suffisamment les Écritures, tous n’ont pas cette vocation à exercer un leadership pour l’organisation de la communauté. Entendons que l’exercice de l’autorité est nécessaire, dans le judaïsme comme dans l’Église. Même Jésus dota son Église d’une certaine structure hiérarchique par le choix de Pierre et des Douze. Mais dans quel esprit exercer cette « autorité »? Dans l’esprit du Christ, lui-même venu pour servir et non pour être servi. Dans l’esprit du Père également, n’ayant rien épargné pour nous dire son amour, jusqu’à nous donner son Fils! Dans l’humble esprit du don de soi, considérant que tous sont frères et sœurs, égaux en dignité, quelle que soit leur origine : juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, riches ou pauvres.

     Les interpellations du Christ en ce dimanche ressemblent fort à celles que le lecteur de Matthieu aura déjà entendues à plusieurs reprises à ce point-ci de sa lecture. La différence étant qu’il se sert ici des scribes et des pharisiens comme « prototypes de l’exemple à ne pas suivre ». Pratiquer soi-même ce que l’on prêche aux autres, cultiver intérieurement sa foi en Dieu au lieu d’en afficher un semblant ostentatoire, ne pas rechercher la gloire qui vient des hommes et les titres honorifiques… Ne sont-ce pas là des appels à la vérité et à l’humilité à partir desquels l’Église, en ses responsables, doit exercer un perpétuel examen de conscience?

___________

1Après tout, les dénonciations de Jésus contre les scribes et pharisiens, au chapitre 23 de Mt, trouvent des parallèles en Marc (12,38-40) et Luc (11,39-52; 20,45-47), mais beaucoup plus sobres et laconiques chez ces derniers.

2 On situe généralement la composition de l’Évangile de Matthieu vers l’an 80.

3 Ce qui n’exclut pas que Jésus, comme les prophètes de l’Ancien Testament ou comme Jean Baptiste, ait aussi été critique des autorités religieuses de son temps.

Patrice Bergeron, ptre

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2288. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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