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5e dimanche de Pâques A - 22 mai 2011

 

 

« Tarassô ! »

Jésus, chemin vers le Père pour ceux qui croient en lui : Jean 14, 1-12
Autres lectures : Actes 6, 1-7; Ps 32(33); 1 Pierre 2, 4-9

 

« Tarassô ! », selon le texte original grec, est le verbe qui ouvre le chapitre 14 de l’Évangile selon saint Jean proclamé dans les églises en ce 5e dimanche de Pâques. Traduit au Lectionnaire par « bouleverser », la majorité des bibles rendent ce verbe par « troubler ». Le dictionnaire grec français Bailly citant Euripide « faire bouillonner la mer, soulever les vagues », lui donne comme premier sens « remuer, agiter », et comme deuxième sens « mettre dans un état d’agitation intérieure (de l’âme), troubler, inquiéter ».1 D’âges en âges, de siècles en siècles, les mêmes conditions humaines reviennent, et si les écrits bibliques les ont captées ce n’est pas pour faire œuvre d’histoire ou d’anthropologie mais d’abord pour nous aider à mettre des mots sur notre condition humaine pour ensuite tenter de donner un sens, de proposer une direction à cette existence qu’est la nôtre.

     « Tarassô ! », on croirait entendre « terrasser » ! En ouvrant son chapitre par ce mot, le quatrième et dernier rédacteur de l’Évangile de Jean rend en écho la pénible situation des communautés chrétiennes au tournant du deuxième siècle. Ce mot qui a traversé les âges a malheureusement encore aujourd’hui toute sa pertinence. Rassemblées autour de la table eucharistique, les communautés chrétiennes répandues à travers le monde liront le même mot mais chacune avec des résonances qui leur seront propres selon leurs situations. Les communautés chrétiennes du Japon, d’Iran, d’Irak ou d’Égypte pour ne nommer que celles-là accueilleront sûrement ce passage d’évangile d’une façon différente que nos communautés nord-américaines

« Croyez ! » ou « Vous croyez »

     Partant des troubles qui accablent les disciples, Jésus, par l’intermédiaire de Jean, les lancent en avant, les invitant à rebondir, à ne pas se laisser charrier comme le seraient par exemple des embarcations emportées au gré des eaux tumultueuses. « Croyez ! » leur lance-t-il ! Ce verbe vient immédiatement après « tarassô ». Alors que ce dernier est à l’impératif présent, le verbe « croire » peut être lu autant à l’impératif, qu’à l’indicatif présent, et la conjonction peut se traduire autant par « et » que par « aussi ». La sémantique grecque ne permettant pas de trancher, les traducteurs sont alors forcés d’y aller de leur propre interprétation comme en témoignent les différentes traductions, les unes traduisant les deux verbes à l’impératif : Croyez en Dieu, et (aussi) croyez en moi, les autres les traduisant à l’indicatif présent : Vous croyez en Dieu et (aussi) vous croyez en moi, les autres jouant avec les deux temps : Vous croyez en Dieu aussi croyez en moi. Cette intéressante particularité permet au lecteur d’identifier en toute liberté et d’une façon personnelle où se situe sa foi. Invitation impérative à croire ou simple constat de sa foi ? S’agissant de sa relation à Dieu et à Jésus, le verbe sera-t-il lu à l’impératif  ou  à l’indicatif pour les deux ou pour l’un des deux ? À l’impératif pour l’un et à l’indicatif pour l’autre ou vice et versa ?

Le « croire » antidote au « trouble »

     À ceux qui sont menacés par les eaux tumultueuses des « troubles », une double bouée est lancée : croire en Dieu et croire au Ressuscité. Plus qu’un contrepoids contrebalançant le « trouble », le « croire » permet à ceux qui y adhèrent de basculer dans une zone, un terrain où ils trouveront la sécurité. Car il ne suffit pas de dire à l’impératif et à la forme négative : Ne soyez pas troublés, il faut pouvoir fournir le nécessaire pour parer les coups. Un lecteur de langue grecque attentif à la composition de la phrase remarquera que le verbe « croire » ouvre et ferme la phrase, tenant en étau les mots « Dieu » et « moi » (Jésus), le texte original se lisant littéralement comme suit : Croyez en le Dieu et en moi croyez . Placé au début et à la fin de la phrase le verbe « croire » encadre les deux personnes divines, le tout constituant une nouvelle « Arche de Noé » permettant à ceux qui voudront bien y embarquer de naviguer en toute sécurité au milieu des eaux tumultueuses.

De « Dieu » à « Père »

     Dans ce quatorzième chapitre de son œuvre, l’auteur interpelle directement ses lecteurs. Les uns liront l’impératif les enjoignant à croire, les autres liront l’indicatif présent qui leur rappellera qu’ils sont déjà dans le « croire » (v. 1). Dès la phrase suivante, l’objet de leur foi leur sera présenté. Le mot « Dieu » deviendra « Père » et le pronom « moi » représentant le Ressuscité se rattachera à « Père », « le Père de moi », en français « mon Père ». Quant on sait que pour le Juif, Dieu est l’inatteignable, celui dont on ne peut même pas prononcer le nom, l’identifier comme un père constitue une importante révélation. Plus encore, non content de proposer une telle affirmation, l’auteur rajoute que Jésus de Nazareth, est aussi le fils de Dieu. Ainsi, non seulement ce Dieu proposé à la foi des lecteurs est-il présenté comme un père, mais plus encore, Jésus en qui les mêmes lecteurs sont invités à mettre leur foi est présenté comme le fils de ce père. Quand on parle de Dieu avec une expression aussi peu céleste que celle de « père », il faut savoir rester dans le même ton. C’est donc avec un vocabulaire aussi simple et terrestre que « maison », « demeures » et « place » que l’auteur continuera de développer sa pensée.

« Maison », « demeures » et « place »

     « Maison », « demeures » et « place », ces trois termes se retrouvent dans une seule et même phrase (v. 2). Selon le dictionnaire Bailly cité plus haut, le mot grec « oikia » qu’on traduit habituellement par « maison » s’applique par extension à « habitants de la maison, c’est-à-dire la famille et les domestiques ». Séparé du verbe « croire » par la préposition « dans », ce mot ouvre la nouvelle phrase. À celui qui accède au « croire », c’est plus qu’un toit, c’est une fratrie qui lui est offerte, une famille dont le père est nul autre que Dieu.

     De « maison » nous passons à « demeures », les deux mots étant reliés l’un à l’autre par « mon Père ». « Demeures », en grec « monè » a comme premier sens « action de s’arrêter », d’où « halte, séjour » et comme deuxième sens : « Lieu où l’on réside ». Ainsi le croyant bénéficie-t-il d’un lieu sécuritaire où il peut s’arrêter, se reposer. Un lieu où il est vraiment chez lui.

     Suivi de l’adjectif « nombreuses »,  « demeures » est au pluriel. Dans cette maison aux nombreuses demeures, il faut un hôte qui reçoit et assigne une « place » aux nombreux invités. Avec des verbes aussi terre à terre et actifs comme « aller », « préparer », « revenir », « prendre », on comprendra que le fils du Père saura déployer une intense activité.

     Oui, ceux qui accèdent au « croire » n’ont pas à être troublés. Ils sont déjà entre bonnes mains !

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1 A. Bailly, Dictionnaire grec français, Hachette, 1950, p.1897

 

Claude Julien, F.CH.

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2274. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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