Que toute la terre se réjouisse!
La naissance de Jésus : Luc 2, 1-14
Autres lectures : Isaïe 9, 1-6; Psaume 95(96); Tite 2, 11-14
Le récit de la naissance de Jésus d’après l’Évangile selon saint Luc nous est tellement familier que les éléments insolites ou même dramatiques nous échappent parfois. Un couple est forcé de se déplacer à plusieurs jours de marche de son domicile pour un recensement. La jeune femme, enceinte, doit accoucher dans des conditions inhabituelles pour ne pas dire précaires. Le nourrisson est déposé dans une mangeoire, un frappant contraste avec ce que les anges diront de lui aux bergers; on s’attendrait bien plutôt à ce que le Sauveur, Messie et Seigneur, repose dans un berceau décoré de dentelles, quelque part dans un palais royal… Bref, un épisode tout, sauf banal! Mais au-delà de l’anecdotique, essayons de voir pourquoi l’évangéliste a inséré dans son récit ces détails étonnants. Rappelons-nous qu’il ne s’agit pas d’un reportage en direct des événements. Luc a une intention précise : offrir une catéchèse sur le Christ ressuscité.
Pourquoi Luc?
Mais avant d’aller plus loin, revenons sur un aspect mentionné d’entrée de jeu : le fait que nous connaissons si bien le récit de la naissance de Jésus dans la version de Luc. La raison en est simple: nous l’entendons chaque année à la messe de la nuit de Noël. Ce n’est pas le cas, par exemple, de la Veillée pascale alors que nous proclamons tour à tour, selon les années, le récit de la découverte du tombeau vide dans la version de Matthieu, de Marc, puis de Luc. Pourquoi la liturgie a-t-elle retenu le seul passage de Luc pour la messe de la nuit de la Nativité? Simplement parce qu’il est le seul à raconter la naissance de Jésus à proprement parler. Matthieu évoque ce qui précède (généalogie, songe de Joseph) et ce qui suit (visite des mages, fuite en Égypte et massacre des nouveau-nés). Mais pour la naissance en tant que telle, il se contente de dire : Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Pas de recensement, pas de mangeoire, pas d’anges… Quand à Marc et à Jean, ils n’en soufflent pas même un mot. S’il en est ainsi, c’est parce qu’au départ, pour les premiers chrétiens, la naissance de Jésus n’avait pas vraiment d’importance. Toute leur attention était tournée vers ce qui motivait leur intérêt pour le Christ : sa passion et sa résurrection. Voilà une donnée à garder à l’esprit quand nous abordons les évangiles, dont le récit de la naissance de Jésus par Luc.
Prélude
La fonction de ce récit n’est donc pas d’abord de raconter un événement mais plutôt de préparer le lecteur et la lectrice à ce qui va suivre. Un peu comme dans le prélude d’une symphonie, les thèmes principaux de l’ensemble de l’évangile y apparaissent. Ainsi, Luc indique que Joseph est de la maison et de la descendance de David, ce qui inscrit son fils adoptif dans la lignée royale du peuple juif. Lors du procès de Jésus, ses adversaires l’accuseront justement de s’être prétendu roi (Luc 23, 2). Quand l’évangéliste indique que Marie donne naissance à son fils premier-né, il ne laisse vraisemblablement pas entendre qu’elle a eu d’autres enfants. Il évoque plutôt sa condition de ressuscité, premier relevé de la mort et pierre d’angle du nouveau peuple de Dieu. Le manque de place dans la salle commune annonce, à sa façon, le rejet du Christ par le peuple d’Israël. La modestie des conditions dans lesquelles Jésus voit le jour donne un avant-goût de ce que sera sa vie d’itinérance, sans domicile fixe et sans filet de sécurité sociale.
La présence des bergers est importante et annonce aussi une facette centrale du message de l’évangile. Les bergers, faut-il le rappeler, n’avaient pas très bonne réputation à l’époque et dans ce milieu. Relégués au bas de l’échelle sociale, ils vivaient en contact quotidien avec des animaux, ce qui les mettait en continuel état d’impureté rituelle. Ils étaient donc empêchés de participer aux rites prescrits par la loi de Moïse. Or Luc en fait les premiers témoins de la naissance de Jésus, manifestant ainsi la priorité que celui-ci donnera aux démunis, aux exclus et aux pécheurs. Autre détail non négligeable : l’Ange du Seigneur précise que les bergers trouveront le nouveau-né couché dans une mangeoire. N’est-ce pas révélateur? Ils sont invités à s’approcher de ce lieu vers lequel les animaux convergent pour se nourrir. Combien de fois, plus tard, Jésus attirera-t-il des pécheurs et les amènera-t-il à prendre place avec lui, autour d’une table, pour partager un repas? Dans un autre ordre d’idée, des interprètes ont vu une allusion eucharistique au fait que Jésus soit couché dans une mangeoire, détail que l’évangéliste souligne à deux reprises. En effet, celui qui est venu donner son corps et son sang pour la multitude est, dès sa naissance, déposé dans un lieu consacré à la nourriture.
Sauveur, Messie, Seigneur
Soulignons enfin l’énumération de titres dans l’annonce de l’ange aux bergers : Sauveur, Messie et Seigneur. Ces trois attributs vont trouver leur justification au fur et à mesure de l’œuvre de Luc. La prédication de Jésus, ses gestes de guérison et de miséricorde et, surtout, sa résurrection permettront d’en saisir toute la portée.
« Une grande lumière »
La liturgie de la nuit de Noël nous offre comme première lecture un passage du livre d’Isaïe (9, 1-6) qui consiste en un oracle messianique. Dans son contexte d’origine, cette prophétie s’adresse au peuple d’Israël qui vit de graves bouleversements sur les plans social et politique. L’envahisseur assyrien frappe aux portes de Jérusalem. La naissance du fils du roi suscite de grands espoirs chez Isaïe : le prince nouveau-né serait-il le grand libérateur qui viendra donner la victoire au peuple qui marchait dans les ténèbres? Le futur roi ne sera finalement pas à la hauteur de cette espérance. La tradition chrétienne interprétera cependant ces paroles comme l’annonce de la naissance du Messie, Sauveur de l’humanité. Le rêve de paix du prophète (vv. 5 et 6) se trouve réalisé avec la venue au monde du Seigneur, comme le chante la troupe céleste innombrable […] : « paix sur la terre » (Luc 2, 14).
« Le bonheur que nous espérons »
Comme deuxième lecture, nous entendons un court extrait de la Lettre de saint Paul à Tite (2, 11-14). Les mots de l’apôtre nous rappellent qu’en venant parmi nous, le Sauveur nous invite à vivre dans le monde présent en hommes raisonnables, justes et religieux. Autrement dit, la naissance de Jésus n’est pas qu’une réalité du passé et la fête de Noël est davantage que la commémoration d’un événement réjouissant. En prenant notre chair, Dieu a radicalement transformé notre présent et nos perspectives d’avenir. Il nous a indiqué le chemin vers le bonheur que nous espérons avoir.
Source: Le Feuillet biblique, no 2296. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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