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10e dimanche ordinaire C - 9 juin 2013

 

La visite de Dieu

Jésus ressuscite un jeune homme : Luc 7, 11-17
Autres lectures : 1 Rois 17, 17-24; Psaume 29(30); Galates 1, 11-19

 

La rencontre de deux cortèges

Des disciples et une foule suivent Jésus; on ignore dans quelle ambiance. En fin de récit on saura que la suivance de Jésus nous place dans le cortège de la Vie, toujours à la rencontre d’un cortège de mort. C'est celui qui arrive, accompagnant une femme qui a tout perdu : d'abord son mari, maintenant son fils unique.

     D'emblée, c'est elle que Jésus regarde. Figure extrême du dénuement affectif, cette femme sans homme a perdu aussi toute identité sociale. Dans le monde du 1er siècle, elle n'est plus rien. Elle pleure son fils; elle pleure aussi sur elle-même. Ce récit propre à Luc reflète son intérêt pour les veuves : il les cite en exemple, prophétesse, objet de la sollicitude de Dieu, exploitées, priantes (2,36-38; 4,25-26; 18,2-8; 20,47; 21,1-4).

     Sans aucune demande, Jésus prend l'initiative : Ne pleure pas dit-il à la femme, l'intégrant ainsi dans la béatitude des gens qui pleurent, proclamée un peu plus tôt (6,21). Luc précise la motivation de Jésus par une expression très forte : littéralement il est « pris aux entrailles » en la voyant. Le sort de cette femme le bouleverse profondément, jusqu’à lui faire mal au ventre.

     Cette expression rare, Luc l'utilise pour le Samaritain qui voit le blessé et le soigne, et pour le père voyant de loin son fils revenir (10,33; 15,20). Plus étonnant, ce frémissement profond de compassion est celui de Dieu lui-même dans le cantique de Zacharie. Là aussi, comme dans la finale de notre récit, Luc l'associe au thème de la visite de Dieu : Béni soit le Seigneur qui a visité son peuple (...) grâce aux entrailles de pitié de notre Dieu, l’Astre d’en haut nous a visités pour illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres et l’ombre de la mort (1,68.78-79). Ainsi le relèvement du fils unique, comme l'action du Samaritain et l'accueil miséricordieux du père, manifestent le même mystère du coeur de Dieu. Dans le récit de Naïm, Luc met moins l'accent sur le miracle ou le pouvoir de Jésus que sur cette visite de Dieu: ému de compassion par nos ténèbres et nos morts, Il s'avance et s'approche de nous *. Comme les figurants d'abord silencieux des deux cortèges, et comme le jeune mort qui retrouve la parole, le lecteur est invité à entrer dans l'effet produit par l'acte révélateur de Jésus : reconnaître et proclamer la proximité de Dieu qui nous rassemble en un cortège de Vie.

* Pour en savoir plus...

Au 1er siècle, le stoïcisme est populaire en monde grec. Cette philosophie valorise la maîtrise de soi et de ses émotions, mauvaises conseillères pour inspirer l'action. L'insistance de Luc sur la compassion, contre les tendances de son public, manifeste à quel point ce thème est fondamental dans sa perception de Jésus et de Dieu.

Vivre dans l’ombre de la mort

     Il y a peu de récits de réveil d'un mort dans les Évangiles : la fille de Jaïre et Lazare (Mc 5,22-43; Jn 11,1-44). Cette rareté rappelle que Dieu ne supprime pas la mort. Le fils relevé devra mourir un jour. Comme à Naïm, ces récits s'attardent peu à la personne morte. Ils attirent plutôt l'attention du lecteur sur la détresse des gens atteints par la mort d'un proche. Sois sans crainte dit Jésus à un Jaïre inquiet. Et autour de la mort de Lazare, on lit l'attention amicale que Jésus porte aux doutes de Marthe et son frémissement en voyant Marie se lamenter.

     La mort de nos proches détruit une part de vie en nous. Recevant son fils réveillé, la veuve revit elle aussi! Jésus l'a vue marcher dans l'ombre de la mort : c'est à elle qu'il rend la vie. À Marthe et Marie, à Jaïre comme à la veuve de Naïm, le Prince de la Vie (titre que Luc donne à Jésus en Actes 3,15) révèle cette tendresse de Dieu pour nous quand la mort des autres ravage notre goût de vivre. Confronté à la mort qui habite les vivants, le Vivant par excellence abolit l’ombre de mort dans laquelle nous jette la mort des gens que nous aimons. Il revitalise notre vie par sa Vie en plénitude.

Le Fils réveillé d'entre les morts

     Jésus ordonne au mort réveille-toi! C'est l'un des deux verbes utilisés aussi pour dire la résurrection de Jésus dans le Nouveau Testament. Notre vocabulaire de la résurrection n'existe pas en grec. Surtout, il s'applique mal à ce garçon qui mourra un jour. Car proclamer la résurrection du Christ, et la nôtre, c'est affirmer aussi l'entrée définitive dans la vie avec Dieu.

     Pourtant, le récit du réveil d'un fils unique annonce déjà la résurrection de Jésus. Luc l'appelle ici « le Seigneur », un titre donné au Ressuscité. Comme la Bonne Nouvelle dans le livre des Actes, voilà la parole qui se répand par elle-même, bien au-delà de la Galilée, parole d'une portée déjà universelle. L'ancrage de la foi est bien la résurrection du Fils unique. Par sa finale et la louange de la foule, Luc nous invite à lire dans ce récit l'acte compatissant du Dieu qui nous fait tous passer de la mort à la vie à la suite de son Fils, Premier-né d'entre les morts.

Un grand prophète est levé!

     Nous désignons rarement Jésus comme prophète, mais Luc le fait volontiers. Dans la grande scène de Nazareth, Jésus se compare aux prophètes Élie et Élisée (4,24-27). Et il se désignera ainsi en évoquant sa mort à venir (13,33). Après le récit de Naïm, le pharisien Simon se demande si Jésus est bien un prophète (7,39).

     On constate plusieurs ressemblances entre le récit de Luc et celui du prophète Élie, proposé en première lecture. Une veuve, son fils unique mort et ramené à la vie. Même l'expression il le rendit à sa mère se lit mot à mot dans la version grecque du récit d'Élie. Luc nous invite ainsi à voir en Jésus, à la suite d'Élie, un grand prophète qui s'est levé. Dans sa bouche, la parole de Dieu est véridique c'est-à-dire, au sens hébreu du mot, vraie mais aussi efficiente : elle réalise ce qu'elle annonce.

Es-tu venu pour rappeler mes fautes ?

     Face à la mort, surtout la mort violente ou précoce, croire en la tendresse de Dieu n'efface pas les questions : Pourquoi ? Qui est responsable ? Dieu ? nos péchés ? C'est ce que pense la veuve non-juive de Sarepta. Et la veuve juive de Naïm ? C'est même ce que croit Élie, selon sa première prière : Seigneur, lui veux-tu du mal pour faire mourir son fils ? Mais c'est la seconde prière que Dieu entend : Je t'en supplie, rends la vie à cet enfant !

     Lire ce récit à la lumière du récit de Luc invite à convertir notre regard sur Dieu. Sa visite, proclamée par la foule, n'est pas celle du censeur mesurant péchés et punitions. C'est sa proximité émue par nos détresses, même celles de la culpabilité. Persister à voir la main de Dieu derrière nos drames et nos morts, c'est oublier l'appel de Jésus selon Luc : devenez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux (6,36).

     Notre Dieu est le Dieu des vivants, qui lutte contre la mort sous toutes ses formes, y compris celle du péché. Voilà l’Évangile que Paul, jadis obsédé par l'obéissance à la Loi, a découvert et ira proclamer aux païens, c'est-à-dire aux « veuves de Sarepta » de son temps.

 

Francine Robert, bibliste

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2363. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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