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28e dimanche ordinaire C - 13 octobre 2013

 

Se laisser toucher par les intouchables

 

Guérison de dix lépreux : Luc 17, 11-19
Autres lectures : 2 Rois 5, 14-17; Psaume 97(98); 2 Timothée 2, 8-13

 

Pour comprendre ce passage, il faut d’abord saisir la réalité de la maladie dans les années 30 en Palestine. Être malade n’était pas que biologique, c’était une expérience de vie à interpréter avec les yeux de la foi. Dans cette culture, on croyait que la maladie était la conséquence d’un péché commis par le malade ou un de ses ancêtres. Dans cette culture aussi, Dieu était à l’origine de la vie, de la santé et de la maladie. La lèpre, comme toute maladie, était vue comme un châtiment divin. Les malades étaient abandonnés par les autres puisqu’on croyait qu’ils étaient abandonnés de Dieu. Par exemple, aucun malade ne pouvait entrer au Temple.

Les intouchables

     La tragédie des lépreux n’était pas seulement la dégradation physique de leur corps, mais davantage encore la honte de se voir rejetés par tous les autres. Ils étaient complètement exclus de la communauté. Ils ne pouvaient plus vivre avec leurs proches, ne pouvaient pas se marier ni avoir d’enfants. Il leur était interdit de participer à une fête religieuse ou à toute autre activité sociale. En réalité, ces gens n’étaient pas nécessairement victimes de la lèpre telle que nous la connaissons aujourd’hui, mais de diverses maladies de la peau (psoriasis, teigne, éruptions cutanées, tumeurs, eczéma…). Ces affections cutanées s’étendaient sur leur corps et les rendaient répugnants. Il fallait éviter tout contact avec eux car on croyait que leur maladie était contagieuse et qu’un contact avec eux rendait impur. Le sort des lépreux était le pire parmi les malades. Selon le livre du Lévitique, ils devaient crier : “Impur, impur!” Tant que durera son mal, il sera impur et étant impur, il demeurera à part. (Lv 13,45-46) Ils devaient eux-mêmes annoncer leur exclusion quand quelqu’un approchait d’eux. Les lépreux étaient les personnes les plus marginalisées de la société. De plus, ils se sentaient complètement abandonnés de Dieu et des humains.

Jésus se laisse toucher

     Dans cet extrait de l’évangile de Luc, Jésus est présenté comme celui qui brise l’isolement de dix lépreux. Le Nouveau Testament est plein d’exemples où Jésus se consacre aux exclus. Au lieu de les condamner comme les autres, il les guérit pour qu’ils puissent à nouveau faire partie du peuple et leur montrer qu’ils ont une place privilégiée dans le cœur du Père. Contrairement à l’idéologie de l’époque où il fallait exclure les impurs du peuple de Dieu, Jésus révèle que Dieu ne devrait pas être source d’exclusion. Au contraire, il est du côté de ceux qui souffrent!

     Dans ce récit, l’acte de guérison de Jésus est réduit à sa plus simple expression. Il écoute les lépreux qui lui demandent d’avoir pitié de lui. Puis, il les regarde et leur dit d’aller se montrer aux prêtres pour qu’ils constatent la guérison et lève les interdits qui pèsent sur eux. Les guérisons de Jésus sont différentes de celles des autres guérisseurs de l’époque. D’une part, elles sont toujours gratuites 1. D’autre part, il n’a pas besoin d’utiliser de formules secrètes ou de gestes particuliers. La guérison est opérée alors que les lépreux s’en vont vers les prêtres, obéissant ainsi à ce que Jésus leur a dit. Notons aussi que Jésus n’a pas peur des lépreux. Il sait qu’il ne deviendra pas impur à leur contact. Au contraire, ce sont eux qui sont purifiés par lui.

     Sachant la façon dont la lèpre était perçue et l’exclusion totale qu’elle entraînait pour les lépreux, leur guérison devait aller de pair avec une joie immense. La personne était guérie et pouvait enfin réintégrer sa famille, la société et se réconcilier avec Dieu.

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     Pourtant, il n’y a qu’un seul des dix lépreux qui revient voir Jésus pour le remercier. Il vient rendre gloire à Dieu pour l’action qui a été opérée en lui par Jésus. Pourquoi est-ce que les neuf autres n’ont pas eu la même réaction ? Jésus se pose aussi cette question, il donne un élément de réponse lorsqu’il révèle la différence entre cet ex-lépreux et les neuf autres. Il est un étranger. Quelle ironie! C’est l’étranger, celui qui ne fait pas partie d’Israël, le peuple de Dieu, qui est montré comme un exemple de foi.

     En exposant la réalité des malades, nous avons déjà vu que le milieu culturel juif de cette époque était porté à exclure pour garder le peuple saint. Les étrangers n’étaient pas bien vus. Plusieurs textes de l’Ancien Testament indiquent qu’il ne faut pas se marier avec une de leurs femmes, qu’il faut se garder de faire alliance avec eux et s’en méfier de façon générale. Au temps de Jésus, il y a même un groupe de personnes appelées zélotes qui veulent expulser les étrangers de la terre d’Israël par les armes. Pourtant, dans ce récit de l’évangile de Luc, c’est un étranger, sauvé par sa foi, qui revient remercier Jésus et rendre grâces à Dieu. Cette histoire devait être dure à entendre pour un juif de l’époque. Pourquoi un étranger a-t-il plus de foi que neuf juifs?


Un samaritain

     Le verset 16 précise que l’étranger est un Samaritain. La Samarie est une région géographique de la Palestine entre la Judée (au sud) et la Galilée (au nord). Bien que les Samaritains croyaient au même Dieu que les Juifs, ceux-ci les considéraient comme des hérétiques et même comme des païens. Les évangiles montrent plusieurs traces de conflit entre Juifs et Samaritains. Ironiquement, Luc présente un Samaritain comme exemple de foi dans la parabole du bon Samaritain (10,25-37) ainsi que dans notre texte.

 

Le contexte de l’Évangile de Luc

     Pour comprendre, il faut se rappeler que l’Évangile de Luc a été écrit au début des années 80. À cette époque, il y a plus de 40 ans que les communautés chrétiennes répandent le message évangélique. Le résultat de la première évangélisation avait de quoi étonner. Le livre des Actes des Apôtres est aussi écrit à la même époque, par le même auteur que l’Évangile de Luc. Il décrit comment la foi chrétienne a débordé les frontières d’Israël pour se rendre aux quatre coins du monde connu. En fait, la réponse des étrangers à la Bonne Nouvelle est beaucoup plus vive que celle des Juifs, même si Jésus provenait de cette communauté. D’ailleurs, les exégètes s’accordent pour affirmer que Luc écrit pour un groupe chrétien qui en majorité n’est pas d’origine juive. Peut-être que dans sa communauté locale on trouve une proportion équivalente à d’un chrétien d’origine juive pour neuf chrétiens non-juifs. Qui sait ?

     Dans cette communauté, on se demandait probablement pourquoi la Bonne Nouvelle avait reçu un si faible écho de la part de la communauté juive. Ce récit de la guérison des dix lépreux transpose à l’époque de Jésus cette question de la non-réponse des Juifs au message de Jésus.

Nos intouchables

     Un texte biblique devient Parole de Dieu lorsqu’il éclaire notre monde et nous permet de voir l’action de Dieu aujourd’hui. Ce texte nous pose plusieurs questions : Qui sont ceux qui vivent exclus de la société ? Qui sont les lépreux de notre monde ? Est-ce que nous avons construit un système de règles de pureté qui exclut des personnes humaines comme on le faisait à l’époque de Jésus ? Sommes-nous capables de voir la bonté (et même la foi) d’un étranger qui ne fait pas partie de notre groupe culturel ou religieux ?

     Personnellement, je suis touché chaque fois que je lis un passage de la Bible où Jésus passe outre des préjugés sociaux pour aller vers les marginaux et les étrangers. Il y a tellement de personnes qui se sentent exclues de notre société et même de notre Église. Heureusement, il y a plein d’occasions tous les jours pour briser ces exclusions et bâtir le Royaume de Dieu à la suite de Jésus.

________________

1 Dans les temples et lieux de guérison, les malades devaient payer pour avoir des services. En plus de payer le guérisseur, des offrandes exigées aux divinités étaient exigées. Pline l’Ancien (23-79) déclare qu’il n’y avait pas de son temps de profession plus lucrative que l’exercice de la médecine. Peut-être qu’il serait surpris des salaires des joueurs de hockey d'aujourd’hui…

 

Sébastien Doane, bibliste

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2373. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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