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7e dimanche ordinaire A - 23 février 2014

 

Une direction de vie qui humanise

 

La vengeance : Matthieu 5, 38-48
Autres lectures : Lévitique 19, 1-2.17-18; Psaume 102(103); 1 Corinthiens 3, 16-23


Quel texte difficile que celui proposé par le Jésus de Matthieu ! Comment parvenir à tendre l’autre joue, à donner plus à qui me prend, à aimer ceux qui me persécutent ? Pourtant l’Évangile proclamé par Jésus ne se veut pas un manuel du parfait masochiste, mais un chemin de bonheur. Que cherche-t-il donc à dire à ces foules venues l’entendre sur la montagne… et à nous aujourd’hui ?

Des instructions à mettre en contexte

     Jésus a une manière bien à lui d’envisager sa mission, différente des attentes juives de son temps. Cela se vérifie de manière éclatante dans le Sermon. Après avoir proclamé les Béatitudes (vv. 1-12), la parole sur le sel et la lumière (vv. 13-16), il affirme qu’il est venu non pas abroger la Loi, mais l’accomplir, l’amener à sa plénitude (vv. 17-20). Et il entame une série de six réinterprétations de celle-ci, dont les deux dernières nous sont proclamées aujourd’hui. Toutes commencent par la mention : Vous avez appris qu’il a été dit…  Il s’exprime d’abord dans le même sens que les mentions du Lévitique entendues dans la première lecture : Tu n’auras pas dans ton cœur de haine pour ton frère  (Lv 19,17),  Tu ne te vengeras pas (…) Tu aimeras ton prochain (Lv 19,18).

     Quand Jésus ajoute dans la seconde partie de Mt 5, 43, Tu haïras ton ennemi, cette phrase exacte n’a pas d’équivalent dans la Bible ; il faut plutôt comprendre le verbe « haïr » dans le sens de « ne pas aimer ». C’est dans la logique de la Première Alliance : l’amour et la « non vengeance » ne visaient que le frère, c'est-à-dire un autre membre de la communauté d’Israël. Il fallait donc aimer le compatriote, mais on n’était pas tenu d’aimer l’étranger, l’ennemi, le persécuteur. Jusqu’ici donc, Jésus respecte bien ce qu’il a dit auparavant : Je ne suis pas venu abroger la Loi  (v.17). Mais il poursuit : Et moi, je vous dis. En ajoutant cela, il ose remettre en question ce qu’il y a de plus sacré en Israël : la Loi donnée par Dieu à Moïse ! Pourtant, une prescription comme la règle du Talion, Œil pour œil, dent pour dent, n’était pas mauvaise dans son intention. Elle visait à limiter la vengeance liée à une offense et, dans les faits, au temps de Jésus, la compensation était le plus souvent financière que dans la mutilation de l’autre. Mais Jésus veut pousser plus loin, il vient aussi « accomplir la Loi ». Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

L’accomplissement de la Loi selon Jésus

     Jésus incite à ne pas chercher réparation mais à tendre l’autre joue, à donner le manteau en plus de la tunique ; au réquisitionné, il suggère de marcher plus longtemps ; à celui qui a des biens, de donner et de prêter à quiconque lui demande ; quant à l’amour, il doit s’exercer, non seulement envers les concitoyens, mais aussi à l’endroit des ennemis et des persécuteurs. Comment peut-il exiger autant ? Afin d’être vraiment les fils de votre Père  (v. 45), d’agir à la manière de celui à l’image de qui nous sommes créés. Il conclura par un appel pour quiconque veut le suivre : Vous serez parfait comme votre Père céleste est parfait (v. 48). Les exigences divines sont ici présentées non sous forme de Loi, mais enracinées dans leur fondement théologique. Cet appel se retrouvait aussi dans le Lévitique : Soyez saints, car moi, Yahvé votre Dieu, je suis saint (Lv 19,2). Mais il semble que les Israélites n’avaient pas pris la pleine mesure de ce que cela signifiait.

     Jésus opère donc un déploiement de toutes les ramifications de la Loi, de tout le potentiel d’amour du prochain, d’humanité qu’elle recelait, plutôt que d’en faire un enclos fermé où tout se joue dans le respect strict des permis et des défendus. Il la libère de sa logique comptable et l’ouvre sur un potentiel de croissance humaine infinie, avec l’attitude du Père pour modèle : c’est la perfection dans l’amour qui est la destination de bonheur proposée. Avec Jésus, la Loi devient un chemin ouvert vers la vie, une possibilité de croissance humaine sans fin.

Qu’en est-il de nous ?

     Mais comment actualiser une telle exigence dans notre vie ? L’évangile interpelle-t-il à se laisser malmener, exploiter ? Exige-t-il que la femme battue « tende l’autre joue » à son conjoint violent ? Bien sûr que non ! L’évangile est toujours un chemin de bonheur, cela est la clé essentielle pour bien l’interpréter. Mais il nous invite à arrêter la spirale de violence et la logique de haine. Ce n’est pas dans la vengeance et dans le « œil pour œil » que nous pouvons grandir ; dans ce type de réactions, celui ou celle qui réagit avec violence s’inscrit dans la même logique que son agresseur. L’autre m’humilie ? Il m’appartient, par ma réaction, de conserver ma dignité d’être humain. On remarque souvent que si quelqu’un parle fort et est très fâché, fait preuve de violence verbale, l’interlocuteur calme, posé, qui parle tout bas, pourra peut-être réussir à calmer l’adversaire, alors qu’une attitude agressive décuplerait la violence de l’altercation. La parole de Jésus nous invite à aller en ce sens.

     De la même manière, le Sermon ne nous dit pas d’abdiquer de l’indignation qui nous anime et nous met en action devant les injustices et les abus ; mais la vengeance ne peut être la solution sans quoi j’y perds ma dignité. Débusquer les systèmes qui asservissent, les attitudes qui détruisent, est une meilleure solution que de les reproduire.

     Et comment arriver à aimer ses ennemis, à prier pour ceux qui vous persécutent ? L’amour dont il est question ici n’a rien de sentimental. Il est plutôt une invitation à voir l’ennemi ou le persécuteur à la manière de Dieu, afin d’être vraiment les fils de votre Père. Pourquoi ? Parce que chaque être humain est toujours plus que son crime ou son offense. L’assassin d’un jour n’a-t-il toujours été que cela ? N’a-t-il pas été aussi père, époux, travailleur productif peut-être ? Seul Dieu peut juger. Et chacun de nous est plus et mieux que son péché.

L’avis de Paul

     C’est un peu le message de Paul aujourd’hui. Vous êtes le temple de Dieu et l’Esprit de Dieu habite en vous (1 Co 3,16). À nous donc de présenter un visage de Dieu qui donne envie de le suivre. Et il ajoute : La sagesse de ce monde est folie devant Dieu (1 Co 3,19). Le « œil pour œil » de ce monde est folie à ses yeux. Si nous voulons suivre Jésus, un seul chemin : entrer dans une logique différente, folie aux yeux des humains qui nous entourent, mais qui est la seule voie d’humanisation intégrale pour chacune et chacun de nous. Il s’agit de s’engager sur le chemin de perfection tracé par le Père et Jésus, son envoyé. Un chemin qui n’a pas de fin, dont on sait que le terme n’appartient pas à ce monde. Difficile certes, mais le seul qui puisse faire de nous les filles et les fils véritables de notre Père.

Pour aller plus loin...

Pour une réflexion originale sur le Sermon, on lira avec grand profit le livre d’André Myre, Écoutez ce que je vous dis, Montréal, Paulines, 2002. L’auteur propose une exégèse pleine de souffle de ce texte parfois difficile et y ajoute des réflexions qui nous aident à l’actualiser dans notre vie. Son analyse inspire mon commentaire.

 

Sylvie Paquette, bibliste

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2392. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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