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Dimanche de l'Épiphanie - 4 janvier 2015

 

Le salut est arrivé pour ceux qui cherchent véritablement

Reconstitution d'une caravane, Avdat (Israël) (photo Y. Guillemette)

 

 

La visite des mages : Matthieu 2, 1-12
Autres lectures : Isaïe 60, 1-6; Psaume 71(72); Éphésiens 3, 2-3.5-6

 

Si certains textes du Nouveau Testament nous sont moins familiers, le récit des mages en Mt 2,1-12, lui, est très bien connu. Ces personnages font partie intégrante des représentations de la crèche au temps des Fêtes et sont bien ancrés dans la culture et l’imaginaire populaire. Mais qui sont-ils au juste ? Que signifie cet astre qu’ils suivent ? Et, surtout, que souhaite nous dire l’Évangile de Matthieu à travers ce récit intriguant ?

     La grande majorité des exégètes s’entend pour reconnaître que les récits des deux premiers chapitres de l’Évangile de Matthieu, tout comme les deux premiers chapitres de l’Évangile de Luc (ce que l’on nomme les Évangiles de l’Enfance) ne reposent pas sur des bases historiques solides. Cela ne signifie cependant pas qu’il faille les écarter, car s’ils ne comportent pas nécessairement des données historiques fiables, ils renferment des vérités théologiques fondamentales pour la foi chrétienne.

Melchior, Balthasar et Gaspard : les « trois » « rois » mages

     C’est la tradition chrétienne qui a attribué ces noms aux mages. En fait, le texte de Matthieu est très laconique à leur sujet. Tout ce qu’il nous dit est qu’ils viennent d’Orient, qu’ils suivent un astre et qu’ils sont à la recherche du nouveau roi des Juifs. Pour son récit, Matthieu s’inspire probablement de ces prêtres persans, spécialisés dans l’étude de l’astronomie et de l’astrologie. Ils appartiennent à la sphère religieuse et sont associés à la royauté. Quelques textes du Premier Testament mettent en scène et dépeignent de manière négative ces personnages religieux, présents à la cour des rois. On peut penser entre autres aux mages de la cour de Pharaon qui réalisent des prodiges semblables mais moins puissants que ceux de Moïse et Aaron (voir par exemple Ex 6, 10-12) ou ceux de la cour du roi Nabuchodonosor qui, contrairement à Daniel, sont incapables d’interpréter les rêves du roi (Dn 2). Matthieu est le premier auteur biblique à présenter des mages de manière favorable.

     Le texte de Matthieu ne précise pas qu’ils sont trois. Il s’agit en fait d’une assomption fondée sur le fait qu’ils offrent trois cadeaux au Christ nouveau-né : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Le texte ne mentionne pas non plus qu’ils sont des rois. Cette idée provient de la tradition de l’attente messianique, bien conservée dans le Premier Testament, qui annonçait que des rois en provenance de tous les confins de la terre apporteraient des offrandes au messie d’Israël. C’est ce que l’on retrouve d’ailleurs dans la première et la seconde lecture : Les nations marcheront à ta lumière et les rois, à ta clarté naissante. Alors tu verras et seras radieuse, ton cœur tressaillira et se dilatera, car les richesses de la mer afflueront vers toi et les trésors des nations viendront chez toi. Des multitudes de chameaux te couvriront, des jeunes bêtes de Madiân et d’Épha; tous viendront de Saba, apportant l’or et l’encens et proclamant les louanges de Yahvé (Is 60,3.5-6); Les rois de Tarsis et des îles rendront tribut. Les rois de Saba et de Seba feront offrande. Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les païens le serviront (Ps 72,10)

Une royauté discrète et différente

     Tout le récit de Matthieu baigne dans le thème de la royauté : les mages sont des personnages associés à la royauté; ils viennent s’enquérir auprès du roi Hérode afin de trouver le nouveau roi d’Israël; ils se rendent à Bethléem, la ville où est né le roi David, à qui fut faite la promesse messianique; et l’astre qu’ils suivent est le signe d’un grand événement (ici la naissance d’une personne importante), mais également le symbole de la royauté (voir par exemple Nb 24, 17; Ap 22, 16). Le thème de la royauté de Jésus est très important aux yeux de Matthieu qui, dès le tout premier verset de son Évangile, s’assure de mentionner que Jésus est Christ et fils de David (Mt 1,1).

     Mais la royauté de Jésus est bien différente de celle à laquelle pouvaient s’attendre certains Juifs. Elle n’est pas politique, mais spirituelle; pas grandiose et pompeuse, mais simple et discrète. Pourtant, bien que modeste, elle s’étend à toute l’humanité. C’est ce que souhaite exprimer Matthieu en gardant Jésus loin des intrigues de la cour d’Hérode. C’est également ce qu’il souhaite souligner en faisant intervenir de modestes mages plutôt que de fastes rois afin de rendre hommage au messie d’Israël comme cela était annoncé dans le Premier Testament.

Des délinquants païens, premiers témoins de la naissance du Christ

     Le récit de Matthieu surprend également dans la mesure où il octroie à des païens qui pratiquent un moyen de divination strictement interdit par Dieu (voir par exemple Lv 19, 26; Dt 18, 9-14; Is 47, 13-15) le privilège d’être les premiers à voir le Christ nouveau-né. Si, dans le Premier Testament, Dieu ne tolère pas les divinateurs de toute sorte, c’est parce qu’Il donne à son peuple un moyen infaillible de connaître Sa volonté : les prophètes. C’est ce que nous explique la suite du texte du Deutéronome : Yahvé, ton Dieu, te suscitera du milieu de toi, d’entre tes frères, un prophète comme [Moïse]. C’est lui que vous écouterez! (Dt 18,15). Il est donc inutile de consulter les voyants, astrologues, augures et devins de tout genre, puisque les prophètes sont là pour communiquer au peuple la volonté de Dieu en toute conformité.

     Matthieu est un fin conteur et il construit son récit de manière à opposer deux groupes de personnages religieux rattachés à la royauté : d’un côté, les mages païens et, de l’autre, les grands prêtres et scribes du peuple d’Israël. Les mages sont vigoureusement actifs; ils viennent (Mt 2,1), se présentent (v.1), questionnent (v. 2), s’en vont (v. 9), voient (vv. 9.11), se réjouissent (v. 10), entrent (v. 11), tombent (v. 11), se prosternent (v. 11), ouvrent leurs trésors (v. 11), offrent des dons (v. 11) et retournent dans leur pays (v. 12). De leur côté, les grands prêtres et les scribes du peuple d’Israël ne posent qu’une seule action : ils disent (v. 5). Les mages font bonne figure dans ce texte, comparativement aux grands prêtres et scribes d’Israël. Avec leur moyen imparfait de connaissance des voies divines, ils réussissent à trouver le nouveau roi d’Israël à des milliers de kilomètres de leur domicile, alors que les grands prêtres et scribes d’Israël, qui ont reçu avec exactitude la révélation divine à travers les prophètes et les Écritures, sont stupéfaits d’apprendre que le Christ est né à une dizaine de kilomètres de Jérusalem. De plus, en apprenant que le Messie est né à Bethléem, les mages s’y rendent sans tarder, se réjouissent grandement à la vue de l’endroit où il se trouve, se prosternent devant lui, lui rendent hommage et lui offrent de précieux présents, alors que les grands prêtres et scribes d’Israël, qui devraient être les premiers à se réjouir et à se précipiter vers Bethléem, demeurent inactifs. Ils ne reviendront, dans le récit de Matthieu, que beaucoup plus tard pour confronter Jésus durant sa prédication (Mt 9, 3).

     Matthieu présage ainsi que le Christ et l’Évangile seront ignorés par les Juifs, par ceux qui auraient pourtant dû être les premiers à reconnaître et à se réjouir du salut tant attendu apporté par le Christ, alors que les païens, eux, accueilleront le Christ et la Bonne Nouvelle avec joie. Ce texte porte donc un dur jugement sur les Juifs qui n’ont pas reconnu le Messie malgré tous les outils qui étaient à leur portée. Il affirme aussi que le salut apporté par le Christ est universel, qu’il ne se limite pas aux Juifs seuls, mais à toute l’humanité et à toute personne qui cherche le Christ avec cœur, sincérité et détermination. À travers le récit des mages, Matthieu annonce que le salut apporté par le Christ s’étend véritablement et avec puissance à toute l’humanité et qu’il s’agit là d’une grande source de joie, mais qu’il est important de demeurer alerte et actif afin de l’accueillir.

 

Francis Daoust, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2428. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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