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23e dimanche ordinaire B - 6 septembre 2015

 

Bien entendre pour bien parler de Lui

Jesus Christ soignant un sourd à Décapole, par Bartholomeus Breenbergh, 1635.

Jesus Christ soignant un sourd à Décapole, par Bartholomeus Breenbergh, 1635.

 

 

Guérison d'un sourd muet : Marc 7, 31-37
Autres lectures : Isaïe 35, 4-7; Psaume 145(146); Jacques 2, 1-5

 

Encore un récit de guérison, comme tant d’autres dans l’Évangile de Marc. On s’en émerveille tout de même volontiers, avec la foule en finale : Il fait bien toutes choses; il fait entendre les sourds et parler les muets! Pour dépasser le simple émerveillement, il y a toujours trois  moyens : regarder chaque récit de près, le situer dans l’ensemble de tel Évangile et s’ouvrir au symbolisme possible.

     On amène à Jésus un homme dont les capacités de communiquer avec les autres sont handicapées. Il n’est pas sourd ET muet (traduction actuelle corrigée dans le nouveau Lectionnaire) mais, comme souvent pour les gens sourds, il parle difficilement. Ce sera donc une guérison de surdité. Ça devrait nous mettre la puce « à l’oreille », non? il y a eu cet appel en Mc 4,9.23 : Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende! Juste après la parabole du semeur, récit hautement symbolique.

Une guérison laborieuse

     Nous sommes habitués à voir Jésus guérir par la force d’une simple parole. Au lépreux : Je le veux, soit purifié. Au paralysé : Lève-toi (1,41; 2,11). Parfois il prend la main du malade. Mais ici, que d'efforts! Jésus amène le malade à l’écart et déploie la panoplie classique des guérisseurs de son temps: gestes de toucher, salive, regard au ciel, gémissement, parole étrange. Décidément cette guérison s’avère très laborieuse et réclame beaucoup de Jésus. Toucher les organes malades, oreilles et langue de l’homme, passe encore. La salive, on aime moins, mais l’Antiquité lui attribuait des vertus antiseptiques. Le regard au ciel appelle la force divine. Ne l’a-t-il pas déjà? Le gémissement, là c’est trop! On traduit donc le mot par “soupirer”. Mais ce même mot ailleurs : La création gémit en travail d’enfantement, nous aussi nous gémissons dans l’attente... et Dieu a entendu le gémissement du peuple en Égypte (Romains 8,22-23; 2 Corinthiens 5,2.4; Actes 7,34).

     Cette accumulation d’efforts suggère la confrontation à une force difficile à vaincre, qui exige de Jésus le maximum. Marc veut-il évoquer autre chose que la surdité physique de ce pauvre homme? Et s'il représentait ces gens dont on dit “Il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre”? La parole araméenne de Jésus Effata va dans ce sens. Ce ouvre-toi au singulier ne s’adresse pas aux oreilles mais bien à la personne entière, comme si tout son être était fermé à quelque chose. Au plan symbolique, bien sûr.

Mais ouvrez-vous donc, enfin!

     Luc et Matthieu, qui utilisent l’Évangile de Marc, n’ont pas gardé ce récit. Ils n’ont pas gardé non plus la guérison de l’aveugle de Bethsaïda, qui vient peu après (Mc 8,20-26). Image de Jésus trop déroutante? Ces deux récits de guérison se ressemblent tant, et diffèrent tant des autres, qu’il faut cherche un lien entre eux. Pour l’aveugle comme pour le sourd, on lui amène et on le prie... Jésus le conduit à l’écart, comme s’il fallait sortir la personne de ses repères familiers pour qu’elle s’ouvre à voir ou entendre autrement. Avec l’aveugle aussi, il utilise sa salive et multiplie les gestes de toucher. Et la guérison est si difficile qu’il doit recommencer, car ça ne marche pas du premier coup. Mais finalement, il voit clairement. Comme pour le sourd : Ses oreilles s’ouvrirent; aussitôt sa langue se délia et il parlait correctement.

     Ces deux récits encadrent une conversation entre Jésus et ses disciples dans la barque. Dans ce lieu des traversées difficiles pour eux, Jésus leur adresse une phrase sévère : Vous ne comprenez pas encore? Avez-vous le coeur endurci? Vous avez des yeux : ne voyez-vous pas? Vous avez des oreilles : n’entendez-vous pas?

     On pourrait presque le voir lever les yeux au ciel et ajouter avec impatience: mais ouvrez-vous donc, enfin!

     Dans l’Évangile de Marc les disciples ont beaucoup de difficulté à comprendre la mission de Jésus. Non pas qu’ils soient bornés, mais leur idée est faite sur lui. Pierre va l’exprimer bientôt (8,27-35, dimanche prochain). Il le déclarera Messie, puis refusera carrément la perspective d’échec que Jésus évoque en annonçant sa passion et sa mort. Plus Jésus insistera, plus la résistance des disciples s’amplifiera, comme on le constate dans les chapitres 9 et 10.

     Il est plus difficile pour Jésus - et pour Dieu? - de guérir les fermetures intérieures que les handicaps physiques. Surtout celles qu’on met pour se protéger de ce qu’on ne veut ni voir ni entendre. Plus difficile car c’est notre liberté qui est en jeu. Je désire ma guérison physique, bien sûr. Mais ce que je refuse de voir ou d'entendre, comment Dieu pourrait-il me l’imposer?

Bien entendre pour bien parler de Lui

     Comment parleront-ils de Jésus, les disciples appelés à témoigner? Ceux qui le suivaient et deviendront chrétiens. Et ceux et celles qui leur succéderont en suivant le Christ. La question nous atteint à travers l’homme guéri. Si on lit bien, sa guérison n’est pas le retour de l’ouïe et de la parole. Ses oreilles s’ouvrirent.

     Aussitôt sa langue se délia et il parlait correctement. Orthos, en grec. Non pas « bien parler », mais dire ce qui est correct, juste, droit (même mot en Luc 7,43; 10,28; 20,21).

     Parmi les sens dont nous disposons, l’ouïe est le plus important dans la Bible. On ne peut voir Dieu, mais on peut entendre et écouter sa voix. Premier mot de la prière juive quotidienne au temps de Jésus : Écoute, Israël! Lui-même fait retentir cet appel à s’ouvrir : Qui a des oreilles, qu’il entende! Avec le récit d’un non-juif guéri de sa surdité, dans le territoire de la Décapole, son appel déborde Israël pour atteindre les nations, nous.

     Après la guérison, Jésus interdit aux gens d’en parler. Ils ne l’écoutent pas - ne l’entendent pas? Ils proclament sa louange dans des mots inspirés d’Isaïe 35,5-6 (première lecture): Alors s’ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds... la bouche du muet criera de joie. Au sens premier, physique, ces guérisons sont signe de la venue de Dieu et du salut du peuple. Mais le contexte du livre d’Isaïe suggère aussi un sens symbolique. Depuis 31,6 Isaïe appelle le peuple à revenir vers Dieu, à changer ses manières de penser et d’agir. Alors les yeux des voyants ne seront plus fermés, les oreilles des entendants seront attentives. Le cœur des gens pressés réfléchira pour comprendre et la langue de ceux qui balbutient parlera clairement (32,3-5).

     La « guérison » vise donc ceux qui voient sans voir, entendent sans écouter et, faute de réfléchir, parlent avec confusion (même mot grec que dans le récit de Mc 7). Selon Isaïe, ouvrir l’oreille pour bien entendre, c’est aussi ouvrir le coeur pour bien réfléchir et comprendre - pour ensuite dire Dieu clairement. Le coeur: dans la Bible, c’est l’organe de l’intelligence et de la volonté. C’est jusque dans ce lieu de notre intériorité croyante que le Christ s’efforce de nous guérir, pour faire de nous de meilleurs témoins de Lui dans ce monde qui en a bien besoin, la Décapole des nations.

 

Francine Robert, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2454. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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Élargir son coeur et ouvrir les bras