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27e dimanche ordinaire B - 4 octobre 2015

 

Une controverse au sujet de divorces et de remariages

 

 

Mariage et divorce : Marc 10, 2-16
Autres lectures : Genèse 2, 18-24; Psaume 127(128); Hébreux 2, 9-11

 

Dans notre contexte actuel, les paroles de Jésus sur les divorces et remariages sont difficiles à lire et à commenter. Au Québec, seulement 30 % des gens se marient et environ la moitié de ses unions se terminera par un divorce. On est loin de l’idéal d’une relation indissoluble! Comment comprendre des paroles qui semblent si intransigeantes? Je vous propose une remise en contexte du mariage dans le monde de la Bible. Vous pourrez alors choisir entre quelques interprétations assez divergentes.

Des unions différentes des nôtres

     Les textes bibliques ne présentent pas un modèle unique d’union entre un homme et une femme. La polygamie est certainement l’élément le plus différent de notre conception du mariage. En effet, un homme pouvait marier autant de femmes qu’il voulait. Salomon aurait même eu 1000 femmes! Il y avait une distinction entre les femmes principales et celles qui étaient considérées comme des concubines. Une autre grande différence est l’âge du mariage. Au temps de Jésus, la norme était de douze ans pour les femmes et quatorze pour les hommes. Ainsi, l’amour n’était pas un facteur important dans ces unions qui visaient d’abord à faire prospérer le clan et qui étaient organisées par les familles. Enfin, les femmes étaient considérées comme la propriété de leur mari. Dans cette culture patriarcale, la sexualité hors mariage était scandaleuse pour une femme, mais ne posait pas de problème pour un homme.

Un piège interprétatif

     Remarquons que Jésus se déplace de la Galilée vers la Judée. Ultimement, c’est dans cette région que Jésus sera condamné et mis à mort. Parmi la foule, c’est avec les pharisiens que le dialogue commence. Le narrateur nous prévient qu’ils cherchent à lui tendre un piège en lui demandant s’il est permis de répudier sa femme. Le piège vient de la contradiction entre l’opinion de Jésus et la Loi de Moïse.

     Au lieu de répondre directement, Jésus pose une contre-question : « Qu’est-ce que Moïse a prescrit? » Le Deutéronome (24,1-3) est clair à ce sujet, il est permis de répudier sa femme pour diverses raisons. C’est d’ailleurs ce passage qui est cité par les pharisiens.

     Or, Jésus oppose la règle de Moïse et la volonté de Dieu lors de la création. Dans la logique proposée par Jésus, la Loi de Moïse est un adoucissement devenu nécessaire à cause de la dureté du cœur des humains qui ont été créés pour que de deux, ils ne fassent qu’une seule chair.

Le débat au temps de Jésus

     Le divorce était vivement débattu au temps de Jésus. D’un côté, Rabbi Hillel, un pharisien libéral, acceptait toutes raisons qui pouvaient mener à la séparation d’un couple. Même le fait par exemple que la femme soit mauvaise cuisinière. De l’autre, Rabbi Shammaï, plutôt stricte, n’admettait qu’un nombre limité de raisons pour la répudiation. La position de Jésus est donc plus radicale que le plus conservateur des pharisiens.

     Cette dynamique est proche de ce qu’on trouve dans le Sermon sur la Montagne où Jésus radicalise la Loi de Moïse. Vous avez entendu qu’il a été dit : tu ne commettras pas l’adultère, mais moi je vous dis : quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur (Mt 5,28). La Loi de Moïse n’est pas abrogée par Jésus, il la rend plus radicale pour se rapprocher de la volonté de Dieu. Mais, comment comprendre cette parole radicale? Voici quelques choix d’interprétations.

L’interdiction de divorces et de remariages

     On peut choisir d’accepter la radicalisation de Jésus. Tout mariage est indissoluble et tout remariage est adultère. L’avantage de cette position est qu’elle suit l’avis de Jésus de façon littérale. Par contre, la conséquence est un jugement sur toutes les personnes qui ne peuvent pas suivre ce commandement. Cette lecture fait de l’Évangile une règle morale qui opère une exclusion. Poussé à l’extrême, le comportement marital devient critère de salut. Ironiquement, bien que cette option se distancie des propos des pharisiens, elle rejoint la logique pharisienne d’exclusion décriée tout au long de l’évangile.

Critique d’Hérode Antipas

     À ce moment dans l’Évangile de Marc, le lecteur a déjà rencontré un divorce et remariage problématique. Ce remariage était contesté et considéré par Jean Baptiste comme un adultère. Il s’agit du mariage entre Hérode Antipas et Hérodiade qui était précédemment mariée à Philippe le frère d’Hérode (6, 17-18). Hérodiade était d’ailleurs la nièce de ses deux maris. Flavius Josèphe, un historien de l’époque, indique que l’endogamie et le divorce étaient des pratiques courantes dans la dynastie d’Hérode. Jean Baptiste est mort après avoir critiqué ce remariage. Ainsi la critique de Jésus peut être comprise comme un rappel et une généralisation de la critique de Jean Baptiste envers Hérode.

Idéal pour la fin des temps

     Selon une autre interprétation, la position prise par Jésus reflète les questions éthiques des premiers chrétiens. Les lettres de Paul nous informent qu’ils pensaient que la fin des temps allait arriver d’un jour à l’autre. Dans ce contexte apocalyptique, les séparations et remariages étaient inutiles puisque la fin était proche.

Critique féministe

     Une femme juive à cette époque, même mariée, n’avait guère de protection légale. Si son mari la renvoyait, elle n’avait aucun recours et pouvait se retrouver dans la rue sans protection, sans droit, sans argent. Contrairement aux veuves qui selon la Loi devaient bénéficier de la générosité, la femme divorcée se retrouvait sans honneur et sans compassion. Les motifs invoqués pour le renvoi d’une femme étaient très larges.

     Une interprétation possible de ce récit est donc de mettre l’accent sur la compassion de Jésus qui est contre le divorce à cause des difficultés qu’il inflige aux femmes et aux enfants. Jésus défend la cause des femmes dans une société patriarcale en interdisant le divorce qui laissait les femmes sans recours. Selon cette interprétation, Jésus ne veut pas surtout parler de l’indissolubilité du mariage, mais en finir avec une forme arbitraire considérée comme normale à son époque où les hommes pouvaient dominer leur femme.

Comme un enfant

     Les versets 13-16 ne sont pas préparés par la narration. Ils ne semblent pas avoir de lien avec le texte précédent. Pourtant ils peuvent éclairer notre question.

     Un enfant ne peut se suffire à lui-même, il ne peut se sauver lui-même. Dans la mentalité de l’époque, les enfants sont considérés comme incapables de comprendre la Loi ou la volonté de Dieu. Les enfants sont donnés comme modèles puisqu’ils ne peuvent que recevoir le don de Dieu. Ce n’est pas leurs actes, leur intelligence ou leur conduite morale qui leur donnent accès au Royaume. C’est justement leur dépendance qui fait d’eux d’excellents exemples au même titre que les prostituées et les publicains (Mt 21,31).

     Paradoxalement, les hommes et femmes déclarés adultères par Jésus quelques versets plus tôt se retrouvent dans cette position. Ils ne peuvent entrer dans le royaume par leur rectitude morale et doivent donc faire confiance à Dieu, comme un enfant.

     Le texte se termine avec un langage d’affection puisque Jésus embrasse les enfants, les bénit et pose sur eux un geste de guérison en leur imposant les mains. Si un lecteur s’est senti visé par les paroles de Jésus sur la séparation, espérons qu’il se reconnaisse et s’identifie à cet enfant vulnérable que Jésus embrasse, guérit et montre en exemple.

Conclusion

     Alors, quelle interprétation choisissez-vous? L’interdiction des divorces et des remariages, la critique d’Hérode, le contexte de la fin des temps, la critique du mariage patriarcal ou l’interprétation autour de l’image de l’enfant?

     Ce passage controversé montre que Jésus est au courant que la tradition biblique n’est pas uniforme à ce sujet. Jésus utilise un texte du Pentateuque pour en critiquer un autre selon son système de valeurs. En ce sens, cette attitude de Jésus peut nous inciter à voir la pluralité des positions de la Bible sur une question morale et nous inciter à faire comme lui, en pesant le pour et le contre.

     Cette attitude peut inspirer les évêques qui, avec le pape François, se sont engagés dans une réflexion sur la famille centrée sur la miséricorde.

 

Sébastien Doane, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2458. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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Leçons de miséricorde