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32e dimanche ordinaire B - 8 novembre 2015

 

Le don inversé, le don gaspillé?

Veuve de Sarepta

Élie et la pauvre veuve de Serepta, Bernardo Strozzi (c 1640-44).

 

 

Jésus juge les scribes : Marc 12, 38-44
Autres lectures : 1 Rois 17, 10-16; Psaume 145(146); Hébreux 9, 24-28

 

L’Évangile de ce dimanche nous présente deux courts portraits : certains scribes et une femme veuve. Jésus commente leurs façons d’agir. Ce genre de récit éveille nos réflexes de lecture morale : y voir des exemples proposés comme modèles à suivre ou à éviter.

Des scribes donnent pour recevoir

     La critique de Jésus ne vise pas tous les scribes mais ceux chez qui il constate certaines attitudes. Méfions-nous des généralisations comme dans Matthieu 23 : Scribes et Pharisiens hypocrites! Et rappelons-nous le récit que Marc a raconté peu avant, montrant la connivence entre un scribe et Jésus à propos de l’amour de Dieu et du prochain.

     Les scribes sont les spécialistes de la Loi de Moïse. Pour eux cette  Torah est plus qu’une loi, une passion et une spiritualité. Ils jouent un rôle important d’éducateurs. Les gens les consultent pour divers problèmes liés à l’application de la Torah dans leur vie. Leur métier est un véritable service à la communauté. Pour cela, ils sont estimés et honorés, salués avec respect, comme on saluait les curés il y a quelques décennies. Ils occupent souvent la place d’honneur à la synagogue, lieu où on célèbre la Torah.

     Les reproches de Jésus visent les scribes qui recherchent et même provoquent ces marques d’estime et de prestige. Qui font étalage de leur piété et des signes ostentatoires de leur fonction. Ces scribes-là tirent de leur beau métier une gloire personnelle. Leur service de Dieu, du peuple et de la Torah est mis au service de leur propre ego en quête d’honneur. Une pente glissante que Jésus dénonce aussi chez ses disciples, quand ils cherchent grandeur ou gloire : Quiconque veut être le premier, qu’il soit le dernier et le serviteur de tous (Mc 9,35; 10,44). Ce que Jésus critique ici est plus que la simple vanité : le danger de renverser l’amour de Dieu et du prochain en amour pour soi. Sous couvert de donner aux autres, on se donne à soi-même.

     Les scribes qui abusent des veuves font pire. La Torah et les prophètes appellent souvent à secourir ces femmes qui, n’ayant pas le droit d’hériter de leur mari, sombrent dans la pauvreté. Le scribe doit défendre le droit des veuves, leur faire justice et rappeler à leur famille le devoir du don. Jésus dénonce ceux qui à l’inverse, profitent de la situation et accaparent le don pour eux-mêmes, peut-être en tant que salaire. Leur châtiment sera d’autant plus grave, eux dont la tâche est d’aider à vivre la justice de la Torah, et qui la détournent à leur profit.

La veuve donne plus...

     Le texte suivant met en contraste des gens qui ont beaucoup et donnent beaucoup, et celle qui n’a rien et donne tout le peu qu’elle a. Jésus ne critique pas le geste ou l’intention des riches. Il insiste fortement sur la misère de la veuve et ce que lui coûte ce don qui la prive de tout. Son état de veuve et son don généreux la rapprochent de la veuve de Sarepta, qui partage sa dernière galette avec le prophète Élie. C’est pourquoi le Lectionnaire place ce récit en 1ère lecture (1 Rois 17,10-16).

     On interprète souvent la remarque de Jésus comme une parole de louange. Après la critique sévère adressée aux scribes, la veuve nous semble être proposée comme le modèle à suivre. Modèle d’authenticité, contrairement aux scribes infidèles à la Torah qu’ils doivent servir. Modèle de discrétion et d’humilité opposé à leur prétention vaniteuse. Et modèle de générosité, alors que les scribes exploitent les femmes comme elle. Notons en passant que chez les Grecs aussi on souligne la grande valeur des petits dons que les gens pauvres présentent en offrande aux dieux.

     Cette interprétation est possible, mais elle ne s’impose pas. Il n’y a pas de louange claire dans les mots de Jésus, ni appel de type  « Va et fais de même ». Il décrit les faits et la situation.

Veuve pauvre, pauvre veuve !

     Le contexte suggère en fait une autre lecture. Jésus vient juste de désigner les veuves comme victimes de certains scribes, qui ont le mandat de les aider. D’autre part, les dons au Temple étaient encouragés et sollicités. On suppose que l’argent donné servait entre autres au culte, mais aussi à l’aide aux pauvres, qui est un devoir pour tout le peuple et ses institutions. Déjà en Marc 7,10-13, Jésus critiquait une pratique qui détourne, pour l’offrir au Temple, de l’argent devant plutôt servir à aider ses parents dans le besoin. Une pratique approuvée par la tradition orale, que les scribes enseignent. Le contexte remonte aussi au récit de dimanche dernier. Jésus et un scribe s’entendent sur le premier commandement : l’amour de Dieu et du prochain a priorité sur les sacrifices, c’est-à-dire le culte du Temple.

     Comment imaginer que ce qu'il voit réjouit Jésus? Il insiste si lourdement sur la totale misère de cette femme que sa parole, dans ce contexte, ressemble plus à une lamentation. Les scribes exploitent les veuves, le Temple qui doit l’aider l’incite à donner le peu qu’elle a, sa famille semble l'abandonner à sa misère, peut-être pour donner au Temple. Il n’y a certes pas de blâme envers elle dans la parole de Jésus. Mais peut-être de la tristesse, à constater qu’un système religieux conçu pour aider les petites gens puisse dériver aussi loin de sa visée réelle. L’amour de Dieu finit par s'opposer à l’amour du prochain.

     Le lien avec la veuve de Sarepta ne fonctionne plus dans cette autre manière de lire, à cause d’une différence essentielle. Elle partage avec un Élie démuni lui aussi. Elle est solidaire avec un affamé comme elle. La solidarité, lieu de la vraie générosité. Ce que Dieu confirmera en assurant ensuite sa subsistance.

Un don en pure perte?

     Après sa parole sur la veuve, Jésus quitte le Temple, caverne de voleurs dont il chassait les vendeurs (Marc 11). Depuis lors, les conflits se succèdent entre lui et les chefs religieux. C’est fini. Aux disciples qui admirent le Temple en sortant, il annonce sa destruction prochaine. Quelle triste ironie, ce don extrême d’une femme indigente à un système périmé! Jugé et détruit par l’existence même d’une telle pauvreté, scandaleuse du point de vue de la Torah. Ce sanctuaire construit par les hommes n’est pas le Temple véritable, nous rappelle la 2e lecture (Hébreux 9, 24).

     Parlant de la veuve, Jésus emploie une expression curieuse : au sens littéral elle a donné toute sa vie. Il est logique de traduire tout ce qu’elle avait pour vivre. Mais la force de l’expression permet aussi d'y lire une allusion symbolique. Jésus paiera le prix de son conflit avec le Temple : lui aussi donnera toute sa vie. Le don déraisonnable de la veuve peut évoquer le don total de Jésus, fait en pure perte selon les disciples refusant la mort de leur messie. Offrande unique et essentielle, nous dit l’Épître aux Hébreux, car elle scelle l’alliance de Dieu avec l’humanité dont Jésus s’est fait solidaire.

 

Francine Robert, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2463. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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