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5e dimanche ordinaire C - 7 février 2016
 

Pêche étonnante, appel décisif

Pêche miraculeuse de Nicolas Wibault

Pêche miraculeuse de Nicolas Wibault, église Saint-Nicolas de Rethel, France

 

 

Jésus appelle ses premiers disciples : Luc 5, 1-11
Autres lectures : Isaïe 6, 1-2.3-8; Psaume 137(138); 1 Corinthiens 15, 1-11

 

Les évangélistes Luc et Jean sont les deux seuls à rapporter l’épisode de la pêche miraculeuse. Tous deux le font dans des contextes forts différents. Luc le situe au début du ministère public de Jésus tandis que Jean l’intègre aux récits d’apparitions du Ressuscité.

Devenir « pêcheur d’homme »

     Luc se trouve à combiner son récit de la pêche miraculeuse à celui de l’appel des premiers disciples, qui apparaît aussi chez les autres évangélistes, sous une forme différente. Cet agencement lui permet de recourir au thème du pêcheur de poissons qui est appelé à devenir « pêcheur d’hommes ». En le situant aussi tôt dans son œuvre, l’évangéliste souligne la volonté de Jésus de s’entourer sans tarder de collaborateurs dans sa mission d’annoncer la Bonne Nouvelle. Luc s’était intéressé jusqu’alors essentiellement à Jésus lui-même. À partir d’ici, les projecteurs se déplacent pour se tourner vers les premières phases de la construction de l’Église.

Pleins feux sur Simon

     Si quelques-uns des futurs disciples de Jésus sont présents, Simon-Pierre occupe sans conteste le devant de la scène. C’est à lui seul que Jésus s’adresse directement. Il est le seul à prendre la parole. C’est lui qui décide de retourner pêcher (Je vais jeter les filets). Les autres lui emboîtent le pas, mais ce n’est pas mentionné; on le déduit puisqu’ils contribuent à ramener tout le poisson miraculeusement capturé. Deux autres disciples sont nommés, Jacques et Jean, mais l’auteur les décrit comme «ses compagnons», compagnons de Simon-Pierre, bien entendu. Un détail supplémentaire est digne de mention : l’évangéliste appelle son personnage central « Simon-Pierre » (v. 8), alors qu’il n’a pas encore mentionné que Jésus lui a donné le surnom de «Pierre» (cf. 6, 14). Il veut vraisemblablement souligner ici que l’apôtre va déjà jouer le rôle qui lui sera officiellement confié plus tard au sein de l’Église. Luc situe donc son personnage selon le rang qu’il entend lui donner : à la tête du groupe des disciples.

Jésus : prédicateur sur l’eau

     Le début de la scène se déroule aux bords du lac de Génésareth, alors que la foule se presse autour de Jésus pour l’entendre. Celui-ci va bientôt réquisitionner une barque, instrument essentiel de travail d’un groupe de pêcheurs. Ceux-ci, occupés à nettoyer leurs filets, n’émettent aucune objection et ne posent pas même de question. En fait, tel que rapporté par l’évangéliste, Jésus ne demande même pas la permission à Pierre et à ses compagnons : Jésus monta dans une des barques, dit simplement le texte. Le Christ apparaît ici parfaitement maître de la situation, prenant toutes les initiatives, dirigeant les opérations. Cette maîtrise se révélera pleinement lorsque la multitude de poissons sera extraite des eaux à la suite de son ordre donné aux pêcheurs de retourner au travail.

     La réaction de Simon à la demande de Jésus de retourner à la pêche est révélatrice de la crédibilité et de la confiance qu’il inspire. Le pêcheur expérimenté exprime une réserve, mais accepte néanmoins de réponde à l’appel de son nouveau compagnon, simplement parce que c’est lui qui le lui ordonne. S’il en est ainsi, c’est peut-être bien parce que Pierre a pu constater toute la puissance de la parole de Jésus qui s’est déployée lors de son enseignement au bord du lac, puis tout à côté de lui, dans la barque.

Les filets se déchirent, les barques s’enfoncent

     Le résultat ne se fait pas attendre : Simon a décidément bien fait de mettre sa confiance en ce prédicateur hors de l’ordinaire! Contre toute attente, après des heures de tentatives infructueuses, voilà que la capture de poissons est phénoménale. L’évangéliste exprime de deux manières différentes l’énormité de la pêche réalisée. D’abord, les filets de la première barque se déchirent, obligeant les pêcheurs à demander l’assistance de la seconde barque. Puis, lorsque celle-ci arrive en renfort, le poids des poissons est tel que les embarcations enfoncent.

     Comme c’est souvent le cas dans la Bible après une intervention spectaculaire de nature divine, Simon-Pierre réagit avec stupeur. L’écart entre la grandeur de celui qui se trouve devant lui et sa propre indignité suscite en lui la crainte, attitude qui, dans les Écritures, manifeste un respect immense devant ce qui dépasse l’entendement. Le comportement de l’apôtre s’apparente à celui d’Isaïe qui, en présence du Seigneur dans le Temple, se reconnaît impur et confesse son péché. Simon va exactement dans le même sens : Éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur.

Du miracle à l’appel

     C’est alors que le récit opère une transition. Le miracle, le signe prodigieux, laisse place à un appel. Après avoir rassuré Simon, Jésus lui annonce le programme qu’il a en tête pour lui : Désormais ce sont des hommes que tu prendras. Cette parole s’adresse à Simon seul, mais se répercute sur les autres pêcheurs témoins de la scène, comme le verset final le laisse entendre.

     La conclusion a de quoi étonner : les pêcheurs viennent de prendre une quantité incroyable de poisson, sans doute l’équivalent de plusieurs journées de boulot. Mais voilà que laissant tout, ils le suivirent… On voit ici apparaître un thème cher à l’évangéliste Luc : accepter de suivre Jésus suppose des renoncements, un abandon total. Cet appel au détachement fait partie des conditions pour vivre l’Évangile authentiquement et dans le concret de l’existence. Voilà qui devrait habiter notre esprit lorsque nous entrerons en Carême dans quelques jours, avec le mercredi des Cendres.

La vocation d’un prophète

     Deux raisons majeures expliquent le choix de la première lecture pour ce dimanche Isaïe 6, 1-2.3-8. Premièrement, il s’agit d’un récit d’appel, tout comme l’est en partie celui de l’évangile. Deuxièmement, la réaction d’Isaïe s’apparente en tout point à celle de Simon-Pierre, toujours dans l’évangile : il se croit perdu car il est «un homme aux lèvres impures». Il aurait très bien pu lancer, comme l’apôtre : Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur. Dans le récit évangélique cependant, aucun rite de purification : pas de charbon ardent pour purifier les lèvres de Simon, contrairement à ce qui se passe avec Isaïe dans la première lecture. Dans le régime de la Nouvelle Alliance, la notion de pur et d’impur n’a plus sa raison d’être. Il suffit à Jésus de dire une parole pour que le fossé entre Pierre et lui s’estompe. Un autre élément retient l’attention dans le récit de vocation d’Isaïe : son empressement à répondre à l’appel du Seigneur. La plupart des autres personnages bibliques qui se retrouvent dans la même situation réagissent soit en exprimant des réserves, soit en obéissant, tout simplement. Il y en a même un, Jonas, qui décide de s’enfuir purement et simplement. Isaïe, au contraire, se précipite pour offrir ses services : Moi, je serai ton messager : envoie-moi. Peut-être n’était-il pas conscient de ce dans quoi il s’embarquait…

Isaïe, Paul et Pierre
(1 Co 15, 1-11)

     La deuxième lecture poursuit la séquence d’extraits de la Première lettre aux Corinthiens amorcée il y a quelques dimanches. Le passage n’a donc pas été choisi en fonction des deux autres lectures. Reste qu’il est possible d’établir des liens significatifs entre les trois. À commencer par le récit de Paul concernant les apparitions du Ressuscité à Pierre, puis aux Douze […], ensuite […] à Jacques. C’est tout ce beau monde que Jésus appelle à le suivre dans la lecture évangélique, dans une aventure qui va culminer avec la résurrection du Christ, conformément aux Écritures. Par ailleurs, Paul dit de lui-même : Je suis le plus petit des Apôtres, je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre. On croirait entendre Isaïe dans la première lecture proclamer son indignité de se trouver en présence du Seigneur : Malheur à moi! je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures. Dans les deux cas, les limites exprimées et même les empêchements potentiels ne vont pas contrecarrer le projet divin. Isaïe et Paul, contre toute probabilité, deviendront des témoins hors paire de Dieu.

 

Jean Grou, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2476. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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