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13e dimanche ordinaire C - 26 juin 2016
 

Il est bon que l'Évangile dérange

Vieille ville de Jérusalem

Jésus suivit de ses disciples, James Tissot, 1890

 

 

En route pour Jérusalem. Mauvais accueil en Samarie : Luc 9, 51-62
Autres lectures : 1 Rois 19, 16.19-21; Psaume 15(16); Galates 5, 1.13-18

 

Il est parfois des dimanches où l’évangile est plus dérangeant, où l’on se dit : « Ici vraiment, Jésus exagère ! » Voilà probablement l’un de ces dimanches! Pris isolément, les impératifs de Jésus envers ceux qui veulent le suivre apparaîtront démesurés. Mais faisons le pari qu’une fois l’extrait de ce dimanche replacé dans son contexte - celui de l’ensemble de l’évangile de Luc et celui de la situation des chrétiens à qui Luc adresse son œuvre - nous le recevrons plus sereinement.

     L’Évangile de ce dimanche est en fait un collage de deux unités littéraires que nous distinguerons. La première partie (Lc 9, 51-56), nettement moins troublante, relate une tentative échouée d’un passage de Jésus en Samarie, tentative d’ailleurs inconnue des autres évangélistes 1. La deuxième (Lc 9, 57-62), celle qui dérange, se compose de trois brèves scènes où Jésus prévient d’éventuels disciples des difficultés de marcher à sa suite.

Il prit avec courage la route de Jérusalem

     Le premier verset (Lc 9, 51) mérite à lui seul un arrêt, car il marque un tournant de l’évangile de Luc. En effet, s’amorce avec ce verset une nouvelle section de l’évangile : la montée de Jésus vers Jérusalem, montée vers sa passion, vers le don qu’il fera de sa vie. Pour entreprendre le versant douloureux de son périple, l’évangéliste précise que Jésus « durcit sa face » 2, expression qui rappelle ce qui est dit du Serviteur souffrant d’Isaïe (Is 50, 7), figure à travers laquelle, indubitablement, Luc comprend et interprète la mission de Jésus au destin fatidique.

Ils entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue

     En route vers Jérusalem, il est étonnant que Jésus et ses disciples aient eu même l’intention de passer par la Samarie. La route toute balisée des pèlerins galiléens vers la Ville Sainte empruntait la vallée du Jourdain pour éviter justement de contracter une impureté en piétinant la terre des Samaritains, terre d’une nation jugée hérétique et donc souillée. Est-ce que cette entreprise de Jésus d’aller à la rencontre des Samaritains, bien qu’infructueuse, annonce déjà l’universalité de l’annonce de la Bonne Nouvelle après la résurrection? Probablement, d’autant qu’on lira de Luc, dans son deuxième tome, la recension d’une mission évangélisatrice réussie en Samarie à travers la prédication de Philippe (Ac 8, 4-25). Mais pour le moment, les Samaritains sont mal disposés envers Jésus et ses disciples, au point de provoquer chez les bouillants « fils du tonnerre », Jacques et Jean, le réflexe biblique de faire tomber sur eux le feu du ciel ! C’est le prophète Élie qui use de ce stratagème punitif à deux reprises (2 R 1, 10-14).  Heureusement, Jésus les réprimande, dépassant la logique de la rétribution divine de l’Ancien Testament. La foi se propose, elle ne s’impose pas, comme l’inculquera Jésus à ses disciples un peu plus loin dans l’évangile (Lc 10, 6.10-11). Mais ce refus de Jésus de faire tomber le feu du ciel annonce plus : Jésus n’est pas Élie. Dans les croyances messianiques du temps, le retour d’Élie devait précéder l’arrivée du Messie (voir Malachie 3, 23). Or, en Jésus, il y a plus qu’Élie, il y a le Messie en personne!

Les exigences de la suite du Christ

     Être prêt à tout quitter, biens et famille, pour suivre Jésus : voilà un thème cher à l’évangéliste Luc. Luc aime la radicalité et la souligne, dès qu’il le peut, chez ceux qu’il voit faire ce choix pour Jésus. De Simon-Pierre et des autres disciples témoins de la pêche miraculeuse (Lc 5, 11) ou de Lévi le publicain (Lc 5, 28), il est dit qu’ils laissèrent tout pour suivre Jésus. Le jeune homme riche, lui, pourtant invité personnellement à une telle rupture par Jésus, en sera incapable (Lc 18,22-23), ce qui donnera lieu à un enseignement du Maître sur la nécessité du détachement pour entrer dans le Royaume et sur la récompense offerte aux courageux qui auront fait ce choix dans la vie du monde à venir (Lc 18, 24-30).

     Mais pourquoi cette insistance de Luc, cette éloge de la radicalité? Peut-être pour secouer la torpeur de ses troupes - c’est-à-dire les destinataires de son évangile - en danger de s’endormir dans une tiédeur confortable ou même d’abandonner la foi chrétienne. En effet, en cette fin du premier siècle, époque où l’évangile de Luc est produit 3, il est difficile d’être chrétien et encore plus de le rester. Le retour glorieux du Christ se fait attendre et la perspective de son avènement ne tient plus en éveil. En attendant la Parousie, la foi en Jésus met la vie en danger en raison d’une haine et d’une méfiance diffuses à l’égard des chrétiens ; on les persécute, ici et là, dans l’empire romain. Le judaïsme a déjà exclus des synagogues leurs frères et sœurs qui mettaient leur foi en ce Jésus, entraînant de douloureuses déchirures au sein des familles et des communautés. C’est à ces disciples de deuxième ou troisième génération qui n’ont pas connu Jésus personnellement, que Luc adresse son évangile. N’avaient-ils pas mille bonnes raisons de faire défection? Et Luc, de bonnes raisons de secouer leur torpeur?

Les trois candidats-disciples avertis!

     Les trois petites scènes rapportées par Luc (Lc 9, 58-62) jouent bien ce rôle. Les sentences de Jésus ont de quoi secouer, elles créent une forte impression chez l’auditeur. Il s’agit d’aphorismes, c’est-à-dire de courtes formules chocs qui ont pour but de faire réfléchir. La première des sentences (Lc 9, 58) constitue la plus réaliste des trois, puisque la précarité sera bel et bien le lot de Jésus, de ses disciples et plus tard, souvent celui des missionnaires de l’Évangile. La seconde (Lc 9, 60) n’est en rien un appel de Jésus à laisser les morts sans sépultures ou à manquer aux devoirs filiaux. Sa formule volontairement forte saisit et c’est là sa seule fonction. Comprenant la figure de style, l’Église n’a d’ailleurs jamais suivi cette consigne, traitant avec le plus grand respect et les liens parentaux et l’ensevelissement des défunts. Quant à la troisième scène (Lc 9, 61-62) qui reprend en quelque sorte les débuts de la vocation d’Élisée au service du prophète Élie (1ère lecture de ce dimanche; 1 R 19, 16b.19-21), elle reflète une réalité bien concrète vécue par de nombreux chrétiens – d’hier et d’aujourd’hui : l’adhésion à Jésus occasionne parfois une rupture avec la famille naturelle, en quel cas Jésus et son Royaume doivent être préférés.

     On retiendra de ce petit ensemble que l’annonce du Royaume ne souffre pas de retard, que la suite du Christ est exigeante, que de s’y engager est une décision à prendre au sérieux. Voilà bien un message recevable encore pour nous chrétien(ne)s d’aujourd’hui. Et si cet évangile, même remis en contexte, reste pour nous dérangeant, c’est peut-être bon signe. Signe que l’Évangile possède toujours cette force de nous secouer, de nous tirer de nos somnolences, de réchauffer les tièdes disciples que nous sommes trop souvent.

______________

1 Seul l’évangéliste Jean relate un passage de Jésus en Samarie, mais celui-ci sera couronné de succès (Jn 4, 1-42).

2 Ce que la traduction liturgique traduit par « il prit avec courage ».

3 Les exégètes situent habituellement la rédaction de l’évangile de Luc vers les années 80-90 de notre ère.

 

Patrice Bergeron, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2496. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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