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3e dimanche de Pâques C - 10 avril 2016
 

Au-delà des signes, une présence

Lac de Tibériade

Ville de Tibériade et la mer de Galilée.

 

 

 

Le Seigneur ressuscité apparaît au bord de la mer de Tibériade : Jean 21, 1-19
Autres lectures : Actes 5, 27-32.40-41; Psaume 29(30); Apocalypse 5, 11-14

 

La lecture évangélique de ce dimanche constitue le chapitre final de l’Évangile selon saint Jean. Il s’agit en réalité d’un appendice, car la conclusion de l’œuvre apparaît à la fin du chapitre précédent (20, 30-31). Il est vraisemblablement de la main d’un autre auteur, un disciple de celui qui a rédigé les pages précédentes.

Pêche miraculeuse et conversation

     Nous avons affaire ici à deux épisodes distincts : une rencontre du Ressuscité avec ses disciples comprenant une pêche miraculeuse (vv. 1-14) et une conversation entre le Christ et Pierre (vv. 15-19).

     Le premier épisode est délimité par le verbe « manifester » au début et à la fin. Dans les deux cas, c’est Jésus l’objet de la manifestation. Cette inclusion donne l’orientation générale du récit : après sa mort, le Christ ressuscité a tenu à se faire voir, à se rendre présent à ses amis. La scène se déroule dans le quotidien le plus banal, au bord du lac de Tibériade. Les disciples de Jésus, sur l’initiative de Simon-Pierre, décident d’aller pêcher. Le contexte a quelque chose d’étrange : l’auteur ouvre son récit en précisant que Jésus […] se manifesta encore aux disciples. C’est donc qu’il leur était déjà apparu. Mais ils ne vont pas annoncer l’heureuse nouvelle de sa résurrection, comme ils le feront après la Pentecôte. Ils restent entre eux, reprenant l’activité qui était la leur avant que Jésus les appelle à sa suite : la pêche. Ça donne l’impression qu’ils voulaient garder pour eux l’incroyable expérience qu’ils ont vécue lorsqu’ils l’ont retrouvé vivant après son séjour au tombeau. Mais plus vraisemblablement, une telle mise en situation cherche à faire comprendre que le Christ vivant rejoint les siens dans l’ordinaire de la vie, sans avertissement et discrètement.

La sollicitude du Ressuscité

     La première parole que Jésus prononce est une question : Les enfants, auriez-vous un peu de poisson? Voilà qui rappelle le récit des disciples d’Emmaüs, alors que le Ressuscité aborde aussi les deux compagnons avec une question : De quoi causiez-vous donc, tout en marchant? (Luc 24, 17) Dans les deux cas, sa façon d’intervenir est toute en sollicitude. Au bord du lac, il les interpelle avec une certaine tendresse : « Les enfants… » Puis il s’informe de ce qu’ils ont à manger. On pourrait croire de prime abord que sa question (« Auriez-vous un peu de poisson? ») est pour lui-même, car il a faim. Mais il n’en est rien puisqu’un peu plus tard, du poisson et du pain cuisent déjà sur la braise, avant même que les pêcheurs ne rapportent leur formidable prise. Quant à l’épisode sur la route d’Emmaüs, on le voit s’enquérir de ce qui préoccupe les deux marcheurs. Dans un autre récit d’apparition, il souhaite la paix à ses disciples enfermés dans la peur (Jean 20, 19.21). Bref, quand le Christ vivant vient à la rencontre des siens, ce n’est pas pour sa propre gloire, mais pour manifester toute l’attention qu’il porte à leur égard.

Ouvrir les yeux de la foi

     De prime abord, comme c’est le cas dans presque tous les récits d’apparition du Ressuscité, les disciples ne reconnaissent pas Jésus. Une manière de laisser entendre que tout en étant le même, le Christ est radicalement transformé. Il faut désormais « les yeux de la foi » pour le reconnaître. Le premier à identifier Jésus, c’est d’ailleurs le disciple bien-aimé, celui-là même qui, en constatant l’absence du corps du Crucifié, a cru. Encore une fois ici, il apparaît comme le disciple modèle, le « bon élève » qui sait ouvrir son cœur et accueillir dans la foi l’improbable, l’incroyable.

     Le commandement de Jésus, jetez le filet à la droite de la barque, rappelle celui de l’autre récit de pêche miraculeuse, rapporté celui-là par l’évangéliste Luc (5, 4). Ici cependant, Pierre ne formule aucune réserve quant à la pertinence de retourner sur le lac; les hommes obtempèrent sans tarder. Le résultat ne se fait pas attendre : le filet s’emplit au point où l’équipage n’arrive pas à ramener sa prise. L’auteur précise le nombre de poissons : 153. Au long des âges, les commentateurs ont proposé des explications sur ce détail. La plus courante est celle de saint Jérôme selon qui c’était le nombre d’espèces de poissons connus à l’époque. Le fait qu’ils se retrouvent tous dans le filet symboliserait la nature universelle de l’Église. Quoi qu’il en soit, la richesse de la capture à l’occasion du dernier miracle de Jésus dans l’Évangile selon saint Jean (miracle que l’évangéliste appelle « signe »), rappelle la surabondance du vin lors de sa première apparition en public, aux noces de Cana (ch. 2). Dans ce récit aussi l’auteur donne des chiffres pour signifier le caractère extraordinaire de l’intervention de Jésus : six cuves d’environ six cents litres.

     L’abondance de la prise ouvre les yeux du «disciple que Jésus aimait» et l’amène à s’écrier : C’est le Seigneur! On peut voir ici un autre lien avec le récit des disciples d’Emmaüs. Il leur a fallu un signe, en l’occurrence la fraction du pain pour arriver à reconnaître le Christ.

     Si le disciple bien-aimé est le premier à reconnaître Jésus, Pierre se montre le plus empressé à agir : il se précipite à l’eau. Le texte n’explicite pas la raison de ce geste, mais on peut présumer que c’est pour tenter de contrôler les déplacements du filet rempli à craquer. En effet, ils n’arrivaient pas à le ramener. C’est peut-être aussi simplement une façon pour l’auteur de souligner l’impétuosité de Simon-Pierre, un trait de caractère que d’autres récits des évangiles dépeignent d’ailleurs.

Jésus aux casseroles

     Tout comme il a commencé, le récit se termine sur une scène relativement banale, de la vie de tous les jours : Jésus est en train de cuisiner. Encore une fois, il manifeste sa bienveillance en invitant ses amis à se sustenter. Chose étrange : Aucun des disciples n’osait lui demander : ‘Qui es-tu?’ L’un d’entre eux s’était pourtant écrié un peu plus tôt : C’est le Seigneur! L’auteur cherche peut-être à signifier ici que le doute planait encore parmi le groupe. Ou bien il souhaite simplement marquer une certaine retenue chez les disciples, une façon de laisser planer le mystère…

     La plupart des commentateurs de cet épisode relèvent dans les gestes de Jésus une évocation de l’eucharistie : Jésus s’approche, prend le pain et le leur donne. Ce serait un autre point de ressemblance avec le récit des disciples d’Emmaüs, qui se fait encore plus explicite : Quand il fut à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, le rompit et le leur donna. (Luc 24, 30) Le message qu’on peut en tirer est le même : le partage du pain et du vin est le lieu par excellence pour rencontrer le Ressuscité et bénéficier de sa bienveillance.

     L’épisode qui suit centre l’attention sur deux personnages : Simon-Pierre et Jésus. Il est largement reconnu que si le Christ demande M’aimes-tu à trois reprises à son ami, c’est en raison du triple reniement de l’apôtre survenu un peu plus tôt. En confirmant son amour chaque fois, Pierre se trouve en quelque sorte à «annuler» son faux pas. Jésus peut donc en toute confiance lui donner la charge de mener son troupeau.

Profession de foi au Christ victorieux

     Pierre occupe aussi le devant de la scène dans la première lecture (Ac 5, 27-32.40-41). Son reniement est bel et bien chose du passé : il tient tête au Grand Conseil de Jérusalem et réaffirme sa foi en Jésus ressuscité. Avec assurance et fermeté, il proclame ce que les spécialistes appellent le kérygme, la profession de foi de l’Église primitive. Il joue à fond le rôle que le Christ ressuscité lui confie dans la lecture évangélique : être le gardien du troupeau.

     L’auteur de la deuxième lecture (Ap 5, 11-14) pour sa part recours au genre littéraire de la vision pour lancer un message d’espérance à la jeune Église menacée de persécution. La multitude des anges proclame que, malgré les apparences, le Christ est victorieux, digne de confiance.

 

Jean Grou, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2485. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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Des récits qui donnent vie