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Dimanche de la Sainte-Famille C - 27 décembre 2015

 

Des croyants déroutés

William Holman Hunt, Découverte du Sauveur dans le Temple, 1860.

 

 

Premières paroles de Jésus au Temple : Luc 2, 41-52
Autres lectures : 1 Samuel 1, 20-22.24-28; Psaume 83(84); 1 Jean 3, 1-2.21-24

 

Une fugue d’adolescent suscite toujours l’anxiété des parents. Et ces temps-ci, une fugue au nom de Dieu et de la foi devient particulièrement angoissante. Le récit de ce dimanche se prête bien aux lectures psycho-sociales. Tout parent s’y reconnaît et comprend le reproche de Marie à son fils. Et tout ado se réjouit d’y lire confirmation de son besoin d’autonomie, qui implique une certaine rupture avec les parents pour devenir soi-même.

     La psychologie intéresse peu les évangélistes, pas plus que les détails de l’enfance de Jésus ou nos célébrations de la famille. Dans la littérature antique, un récit sur l’enfance d’un héros est toujours construit pour donner un aperçu de l’adulte qu’il sera. Luc n’en sait pas plus que les autres sur la vie du jeune Jésus. Mais en bon écrivain grec, il offre une scène qui annonce les grands traits de sa mission. Et en bon évangéliste, il en fait une catéchèse pour éclairer et nourrir l’expérience des lecteurs croyants.

Nos enfants nous échappent

     Dans la caravane qui revient en Galilée, les femmes et les enfants marchent ensemble, et les hommes de même. En précisant que Jésus a douze ans, Luc le situe à la frontière entre l’enfance et l’âge adulte. Il peut donc marcher encore avec les femmes, ou choisir d’aller avec les hommes, comme un jeune adulte. Marie et Joseph n’ont pas de raison de s’inquiéter. Jusqu’au soir, quand les familles se retrouvent. Constatant son absence chez la parenté et les voisins du village, ils quittent la protection de la caravane pour retourner vers Jérusalem.

     Après trois jours d’une recherche fiévreuse, la question de Marie exprime un reproche bien légitime, qui reflète leur pénible expérience de parents. Sa question n’est pas orientée vers Jésus, comme: que fais-tu ici? Quelles raisons avais-tu de rester? Mais plutôt Enfant, pourquoi NOUS as-tu fait cela? NOUS te cherchions tout angoissés. Et parmi les nombreux mots grecs possibles pour désigner les enfants, Luc choisit ici le mot venant du verbe « engendrer ». Ce mot n’a rien à voir avec l’âge mais désigne l’ascendance ou l’origine : on parle ainsi des « enfants de la sagesse », des enfants d’Abraham, i.e. Israël, ou des enfants de Dieu, comme dans la première lecture (1 Jean 3,2). Luc oriente la parole de Marie vers la relation d’engendrement et d’appartenance. On pourrait traduire « mon enfanté ». De plus, dans l’Antiquité l’identité de quelqu'un est définie par son origine familiale. D’une certaine manière, c’est une parole qui « capture » Jésus.

     On entend parfois des parents noter une dureté dans sa réponse: Pourquoi me cherchiez-vous? Vous ne saviez pas qu’il me faut être chez mon Père?" Mais Luc ne raconte pas un fait historique et ne propose pas Jésus comme adolescent modèle. Son récit vise à désigner au lecteur l’identité véritable de l'adulte que Jésus sera. Son identité profonde n’est pas définie par celle qui l’a mis au monde, mais par sa relation avec Dieu. Identité déjà annoncée par Gabriel à l’annonciation, par l’ange de la nuit de Noël et par les prophètes Syméon et Anne au Temple.

     Ainsi les parents que reflète la question de Marie ne retrouvent pas « leur » Jésus. La réponse froide marque une rupture. Malgré le retour à Nazareth et la précision il leur était soumis, il est désormais un fils différent pour eux. On pressent là sa parole future : Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique (8,21). Si la liturgie choisit ce récit pour célébrer la famille en Église, nous sommes invités à penser une autre famille que celle des liens du sang.

Un récit tourné vers la suite

     Chez Luc, Jérusalem est la ville des commencements : annonce à Zacharie, première initiative de Jésus, apparitions du Ressuscité, Pentecôte et début de la mission universelle (Actes 1-2). Luc fait ici les liens entre les débuts de Jésus et sa mission à venir. Sa première parole désigne Dieu Père, comme sa dernière parole en croix : Père, entre tes mains je remets mon esprit.

     À Jérusalem, le Ressuscité désignera aux disciples d’Emmaüs et au groupe des disciples l’importance des Écritures comme source de sens pour sa mission. Luc manifeste déjà ici l’intérêt de Jésus pour ces Écritures. Il signale aussi son intelligence et l’étonnement suscité par ses réponses. Mais la traduction « s’extasier » dépasse la portée du récit : Luc le montre d’abord écoutant l’enseignement des sages et leur posant des questions. Comme pour Jésus adulte, sa manière de comprendre la Loi de Moïse dérange les gens. Jésus adulte a provoqué la surprise et la controverse, bien plus que l’admiration. Ce que le prophète Syméon annonçait juste avant ce récit (2,34).

Des parents figures de croyants

     Luc signale aussi l’étonnement de Marie et Joseph. On pense qu’ils savaient tout? Mais ils ne comprennent même pas la réponse de Jésus. Luc les présente en bons pratiquants, qui accomplissent fidèlement les rites de la Pâque. Puis il souligne fortement leur recherche et leur désarroi. Comme les disciples, ils incarnent les tâtonnements de l’aventure croyante.

     Luc tisse plusieurs liens entre ce récit et ceux du jour de la Pâque chrétienne. La mention des trois jours nous en avertit : elle évoque pour les premiers chrétiens le jour du tombeau vide et des apparitions. La question pourquoi me cherchiez-vous? trouve écho dans celle de l’ange au tombeau : pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts? Le chemin d’aller-retour, vécu dans un profond désarroi, évoque celui des disciples d’Emmaüs quittant Jérusalem : eux aussi ont perdu « leur » Jésus. Et l’idée qu’ils ont de lui les empêche de le reconnaître alors qu’il chemine avec eux. Marie et Joseph ne comprennent pas la réponse de Jésus. Au jour de Pâque, Jésus devra aider les disciples à comprendre ce qui le concerne dans les Écritures. Marie garde ces événements dans son cœur, comme après la naissance (2,19). De même, le cœur est le lieu de la compréhension sur le chemin d’Emmaüs. D’abord dit « sans intelligence », il devient ensuite « tout brûlant » à mesure qu’ils comprennent. Enfin, comme les parents, ces disciples devront renoncer au Jésus qu’ils connaissaient pour apprendre à vivre sa présence autrement.

     Dans la foi, ce que l’on « sait » n’est jamais vraiment acquis, selon le récit de Luc. C’est pourquoi le thème du chemin est si important dans son livre. Comme Marie et Joseph, nous attendons Dieu à partir de notre expérience et de nos images de lui. Mais voilà qu’il n’est plus avec nous comme on l’imaginait. Il surgit ailleurs. Il nous étonne et nous sort de nos routines de bons pratiquants. Il n’aura jamais fini de nous « dé-router » hors des chemins protégés suivis avec le grand groupe. Ce récit invite à nous risquer sur d’autres routes pour continuer à le chercher.

 

Francine Robert, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2470. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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