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Le Christ roi de l’univers (année A) - 26 novembre 2017

 

Il faut s’abaisser pour mieux monter

Le jugement dernier

Le jugement dernier (détail)
Michelange, 1536-1541, 13,7 × 12 m
Fresque de la chapelle Sixtine (cité du Vatican)
(photo : Wikipedia)


La parabole des talents : Matthieu 25, 31-46
Les lectures : Ézékiel 34, 11-12.15-17 ; Psaume 22 (23) ; 1 Corinthiens 15, 20-26.28
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

La lecture évangélique de ce dimanche est tirée du dernier chapitre de l’évangile de Matthieu avant que Jésus n’entre dans sa passion. Ce dernier n’a pas besoin de pouvoirs surnaturels pour comprendre que sa mort approche. Le message qu’il a apporté perturbe l’ordre établi et on souhaite se débarrasser de ce personnage dérangeant. Jésus accélère donc son enseignement et s’assure de transmettre les derniers points essentiels de son message à ses disciples, avant d’être emporté vers sa mort et sa résurrection.

De haut en bas

La scène qu’il décrit est toute en grandeur et toute en hauteur. C’est une vision du trône de Dieu et des anges qui l’entourent, qui se situe dans les temps de la fin. Toutes les nations qui sont rassemblées par le Roi ont donc les yeux rivés vers le haut afin de contempler cette scène grandiose. Puis, après le jugement, le Roi appelle les bénis de son Père à venir vers lui (Mt 25,34) et les maudits, eux, à s’éloigner (Mt 25,41). Les premiers sont donc invités à monter vers le haut et les derniers, à descendre vers le bas. Or, c’est uniquement après que les justes et les méchants aient été séparés, que le Roi révèle l’unique critère qu’il a employé pour son jugement, qui fait monter les uns et descendre les autres. Il explique que les justes ont hérité du Royaume de Dieu parce qu’ils l’ont nourri, abreuvé, accueilli, vêtu et visité, alors que les méchants ne l’ont pas fait. Il s’agit là d’une explication étonnante qui suscite un double questionnement parmi les témoins de la scène.

D’une part, justes et méchants demandent à quel moment ils ont bien pu faire ou non de telles choses en faveur du Roi, car ils ne se souviennent pas d’avoir vu ce personnage extraordinaire auparavant. On ne saurait en effet oublier la rencontre avec un être d’une telle envergure. Le verbe grec oraô « voir » est très important ici. Il est employé à trois occasions par les justes et une fois par les méchants, mais toujours dans la même question : « quand nous est-il arrivé de te voir ? » (Mt 25,37.38.39.44) À ces quatre questions qui portent sur le « voir », le Roi répond quatre fois par le « faire » à l’aide du verbe grec poiéô : « dans la mesure où vous l'avez fait / ne l’avez pas fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait / ne l’avez pas fait » (Mt 25,40.45). À travers cette vision, Jésus exhorte donc ses disciples à ne pas perdre de temps à regarder, mais à s’empresser d’agir. Cet appel de Jésus est toujours aussi urgent et pertinent aujourd’hui. Nous pourrions même dire qu’il l’est davantage, lorsque l’on considère la multiplicité des médias qui nous permettent d’être témoins de la souffrance de nos frères et sœurs à toute heure du jour et en tout lieu de la planète.

D’autre part, le questionnement des justes et des méchants repose sur la distance, à la fois physique et ontologique, qui les sépare du Roi. En effet, comment auraient-ils pu aider concrètement ce personnage céleste, qui est hors d’atteinte, si haut dans les cieux? Et comment ont-ils pu aider une personne aussi formidable, eux dont la nature est si petite et insignifiante par rapport à la sienne? Mais voici que la réponse du Roi les oblige à changer complètement leur façon de penser : c’est lorsque les justes se sont préoccupés des plus petits de tous qu’ils ont véritablement honoré le plus grand qui soit. La distance entre eux et le Roi, si grande pouvait-elle paraître, est alors pulvérisée, non seulement parce que le Roi les appelle maintenant à venir vers lui, mais aussi et surtout parce qu’il se fait tout près d’eux, à chaque jour de leur vie, à travers tous ceux qui sont dans le besoin.

Nous avons noté que le verbe « voir » est au centre des préoccupations des justes et des méchants. Or, la réponse du Roi renverse aussi leur manière de regarder. Alors qu’ils ont les yeux rivés vers la vision céleste du trône de Dieu, le Roi les incite à orienter leur regard vers le bas. Et en retour, c’est en se dirigeant vers le bas, vers les petits, les faibles et les pauvres qu’ils pourront être hissés jusqu’au Royaume des cieux. Jésus nous invite ainsi à nous tourner vers les plus démunis comme chemin privilégié pour nous rendre jusqu’à lui. Ce n’est pas en se pillant les uns sur les autres que nous allons monter, en abaissant les autres et se servant d’eux comme des marchepieds. C’est au contraire en relevant ceux qui sont effondrés qu’on arrive à se rendre plus haut, tous ensemble.

Le grand U

Nous assistons ainsi à un mouvement qui est essentiel pour une compréhension de toute la Bible et de toute l’histoire du salut : une descente qui est suivie d’une montée. Dans l’Ancien Testament, Dieu entend les gémissements de son peuple en captivité. Il se penche vers eux, les hisse hors d’Égypte puis les conduit en terre promise. Il y a des facteurs géographiques à considérer, mais il est intéressant de noter que la Bible parle habituellement de « monter » hors d’Égypte (voir par exemple Nb 20,5; 1 S 12,6; Os 12,13). De plus, l’Ancien Testament regorge de récits où Dieu intervient auprès de personnages abattus afin de les relever. Pensons entre autres à Agar, la servante d’Abraham (Gn 21,8-21), au prophète Élie (1 R 19,1-18) et encore au psalmiste (Ps 30). Dans le Nouveau Testament, Jésus agit exactement comme son Père. Il va non pas vers les grands de ce monde, vers les puissants, les riches et les forts, mais vers les pécheurs, les pauvres, les malades et il les relève de leur abaissement dans un mouvement qui leur redonne leur dignité : « sa fièvre la quitta, puis elle se leva et le servit » (Mt 8,15); « Lève-toi » dit-il au paralytique (Mt 9,6); « il entra, pris sa main et la jeune fille se leva » (Mt 9,25). Mais le plus important de ces mouvements de descente et de remontée se réalise dans le mystère de l’incarnation et de la résurrection, lorsque Dieu se fait l’un des nôtres afin de partager notre expérience humaine et nous fait remonter avec lui, en pleine dignité, pour nous faire entrer dans la vie éternelle. À ceux qui pourraient affirmer qu’ils connaissent le plus important livre, le plus important chapitre, le plus important verset ou même le plus important mot de la Bible, nous pourrions répondre que nous connaissons la plus importante lettre : le « U » qui représente le mouvement qui est au cœur de toute le Bible.

Participer à l’avènement du Royaume

Par son enseignement de dernière heure à ses disciples, Jésus nous invite donc à embarquer dans ce grand mouvement divin en agissant comme Dieu qui se penche pour faire remonter avec lui ceux qui ont été rabaissés. Ceci nous permet de nous faire proche de Dieu et de participer avec lui à son œuvre salvifique. Or, Jésus est venu annoncer que le Royaume des cieux est arrivé (Lc 11,20). Il est déjà là, mais pas encore pleinement réalisé. La vision des temps de la fin qu’il décrit à ses disciples permet donc, non seulement d’éliminer la distance, mais aussi le temps, qui nous sépare de Dieu. Nous avons en effet souvent tendance à penser que nous rencontrerons Dieu uniquement à notre mort ou que le jugement dernier est à situer dans un futur lointain et indéterminé. Mais au contraire, puisque le Royaume est déjà ici, nous jouons dès maintenant un rôle actif dans cette scène des temps de la fin telle que décrits par Jésus. C’est dès aujourd’hui que nous sommes appelés à redresser et soutenir les plus démunis, afin de participer et d’accéder dès maintenant au Royaume préparé par le Père.

Francis Daoust

Source : Le Feuillet biblique, no 2552. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Diocèse de Montréal.

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