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Dimanche de la Nativité du Seigneur - 25 décembre 2016
 

En avant vers le passé

La Nativité du Seigneur de L.Costa, v.1490

La Nativité du Seigneur de L.Costa, vers 1490

 

 

 

Le Verbe, lumière et vie des hommes : Jean 1, 1-18
Autres lectures : Isaïe 52, 7-10; Psaume 97(98); Hébreux 1, 1-6

 


Le prologue de Jean est un texte complexe qui peut parfois sembler magistral et un peu technique. Mais une comparaison avec les prologues des autres évangiles et avec le premier récit de l’Ancien Testament permet de découvrir un message fascinant, réconfortant et infiniment réjouissant!

Un approfondissement progressif

     Il est intéressant de porter attention à la progression temporelle inversée des quatre évangiles en ce qui concerne l’avènement de Jésus. En effet, l’Évangile de Marc, qui est le premier à avoir été composé, ne contient pas de prologue ou de préambule. L’action commence directement avec le baptême de Jésus, déjà adulte, par Jean le Baptiste. L’auteur du deuxième évangile fait ainsi entrer son auditoire de plain-pied dans l’action au moment où Jésus entreprend son ministère public. Tout est centré sur le moment présent, sur l’aujourd’hui de l’événement Jésus et sur l’aspect surprenant et déstabilisant de son ministère.

     Rédigés environ 15 ans plus tard, les évangiles de Matthieu et de Luc introduisent ce que l’on nomme les « évangiles de l’enfance » (Mt 1-2; Lc 1-2) où on raconte ce qui précède le baptême de Jésus et son ministère public en remontant jusqu’à sa naissance et, encore plus loin, à l’annonce de celle-ci. Si la validité historique des faits racontés dans ces quatre chapitres est très faible, voire inexistante, leur valeur théologique en revanche est considérable et très précieuse. En effet, ce que les auteurs des évangiles de Matthieu et de Luc cherchent à nous transmettre n’est pas une description des circonstances précises entourant la naissance de Jésus, mais une synthèse de la portée et de la signification théologiques des événements qui seront rapportés dans les chapitres qui suivent. Pour Matthieu, Jésus est le Messie attendu par Israël et annoncé dans les Écritures. Pour Luc, il est le sauveur de toute l’humanité.

     Malgré ces considérables approfondissements théologiques, l’auteur de l’Évangile de Jean, qui écrit entre 20 et 30 ans après Matthieu et Luc, recule encore plus loin dans le temps. Il va au-delà de la naissance de Jésus, au-delà de l’annonce de celle-ci. Il se rend en fait jusqu’au tout début des temps qui précèdent la création même du monde. Tout comme la fin des temps est une période éternelle qui n’a pas de fin, les débuts des temps sont aussi une époque éternelle qui n’a pas de début. C’est ce que souhaite exprimer l’auteur de l’Évangile de Jean : de toute éternité, le Verbe était avec Dieu. Il a toujours fait partie du plan de Dieu pour l’humanité, a toujours été avec lui et le sera toujours. C’est un énoncé très réconfortant pour le croyant qui saisit que l’événement Jésus n’est pas un épisode ponctuel et encore moins un accident de parcours. Il s’agit d’un moment fort qui fait partie d’un projet établi de toute éternité avant la création du monde et s’étendant pour toujours dans le futur. Le Verbe, Christ, Jésus, a toujours existé et existera toujours. Et c’est à cette vie éternelle qu’il convie l’humanité. Dieu en effet a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, l’Unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle (Jn 3,16). Cette expression « vie éternelle » est d’ailleurs très chère à l’auteur de l’Évangile de Jean qui l’utilise à 17 occasions (Jn 3,15.16.36; 4,14.36; 5,24.39; 6,27.40.47.54.68; 10,28; 12,25.50; 17,2.3).

     Dans ce parallèle entre la fin des temps et les débuts des temps, il est important aussi de souligner l’accord parfait qui règne. Ainsi, tout comme la fin des temps est une période éternelle de paix et de joie où Dieu et l’humanité cohabitent dans une relation de communion idéale, les débuts des temps sont aussi une époque où prévaut un accord parfait entre Dieu et le Verbe (Jn 1,1-5). C’est dans le cadre de cette harmonie absolue que le monde est créé. C’est, encore une fois, une nouvelle très réconfortante pour le croyant.

Redire la création

     L’auteur du prologue de l’Évangile de Jean ne souhaite cependant pas simplement aller plus loin que les prologues des évangiles de Matthieu et Luc. Son choix de vocabulaire et l’évocation de l’existence du Verbe de toute éternité établissent un parallèle avec le récit de la création qu’on retrouve en Gn 1,1-2.4a. Ce récit commence par le terme hébreu bereshit qui signifie littéralement « entête » et qu’on traduit habituellement par « commencement ». Or, il s’agit d’un mot qui s’amorce avec la lettre beth, l’équivalent de notre lettre « B ». Les rabbins juifs se sont questionnés à ce sujet en se demandant comment il se fait que le premier mot de la Bible commence par la deuxième lettre de l’alphabet et non pas par un alef, première lettre de l’alphabet hébreu. Ils ont conclu que si la Torah commence par un « beth », c’est qu’il y avait déjà quelque chose avant que la création ne débute. Cette situation initiale, l’auteur de l’Évangile de Jean la décrit avec cette présence unitaire du Verbe avec Dieu : Au commencement était le Verbe. Le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu (Jn 1,1). Nous pourrions approfondir cette réflexion en observant que le début de l’Évangile de Jean commence par la formule en archè et la lettre alpha qui est la première de l’alphabet grec. Ainsi, dans cette nouvelle création qui est mise en parallèle avec celle qui ouvre le livre de la Genèse, l’auteur ne se contente pas d’exposer ce qui est arrivé en deuxième au moment de la création du monde, mais s’assure de présenter ce qu’il y avait en tout premier lieu, de toute éternité, avant même cette création : un accord parfait entre le Père et le Fils.

     Un deuxième parallèle peut être tissé entre le prologue de Jean et le premier récit du livre de la Genèse autour du thème de la création. Or, dans le récit du livre de la Genèse, Dieu est, en quelque sorte, extérieur à la création. Le monde est un chaos préexistant (Gn 1,2) dans lequel Dieu va mettre de l’ordre, d’abord en séparant ses diverses composantes (Gn 1,3-10), puis en les peuplant (Gn 1,11-31). L’œuvre de Dieu est magistrale et très bonne (Gn 1,31). Il réalise alors l’inattendu : cette création extraordinaire qu’il vient de compléter, il la confie à l’humanité en lui demandant d’être son partenaire dans la gouvernance de ce monde (Gn 1,28). C’est une vision du monde novatrice qui donne à l’humanité une place de grand choix. Ce privilège donné à l’être humain est d’autant plus remarquable lorsqu’on le compare à la position peu enviable de l’humanité dans les mythes proche-orientaux anciens des voisins d’Israël où l’homme est uniquement créé dans le but de servir les dieux ou afin de leur éviter d’avoir à travailler. Pourtant, l’auteur du prologue de Jean va encore plus loin, puisque, par le biais de l’Incarnation, il situe Dieu à l’intérieur même de la création. C’est un thème sur lequel il revient à plusieurs reprises : La lumière venait dans le monde (Jn 1,9), elle était dans le monde (Jn 1,10), le Verbe il est venu chez lui (Jn 1,11), est devenu chair (Jn 1,14) et a séjourné parmi nous (Jn 1,14). Par le mystère de l’Incarnation, Dieu ne fait plus « que » créer le monde; il se fait nôtre et vient l’habiter avec nous. Pour le croyant, il y a là de quoi célébrer grandement et sans réserve. C’est d’ailleurs ce que nous rappellent les deux lectures tirées du Premier Testament : Éclatez ensemble en cris de joie! nous enjoint le prophète Isaïe (Is 52,9a); Que la terre tressaille de joie, que les îles nombreuses exultent! (Ps 97,1); Justes, réjouissez-vous en Yahvé! (Ps 97,12) nous invite le Psalmiste. En ce temps des Fêtes, célébrons dans la joie cette heureuse nouvelle annoncée en ouverture du quatrième évangile!

 

Francis Daoust, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2513. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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