Jésus enseignant entouré de la foule. François-Alexandre Verdier (1651-1730). Crayon noir et rehauts de craie blanche, lavis gris, 26,3 x 35 cm. Musée Albertina, Vienne.

Franchir le seuil de la foi

Yvan MathieuYvan Mathieu, SM | 10e dimanche du temps Ordinaire (B) – 10 juin 2018

Jésus, Béelzéboul et sa famille : Marc 3, 20-35
Les lectures : Genèse 3, 9-15 ; Psaume 129 (130) ; 2 Corinthiens 4, 13 – 5,1
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Il y a près de quatre mois, le 11 février dernier, nous célébrions notre dernier dimanche du temps ordinaire. Après les quarante jours du Carême et les cinquante jours de Pâques, nous avons célébré les solennités de la Sainte Trinité (27 mai) et du Saint-Sacrement (3 juin). Voici que nous reprenons aujourd’hui notre lecture suivie de l’Évangile selon saint Marc. Or, cette reprise marque un véritable choc. Nous avions assisté le 11 février à la purification d’un lépreux par Jésus (Mc 1,40-45). Nous retrouvons aujourd’hui Jésus en proie à une forte opposition. Les gens de chez lui veulent se saisir de lui parce qu’ils croient qu’il a perdu la tête. Les scribes descendus de Jérusalem l’accusent d’être possédé et d’expulser les démons par le chef des démons. Les gens de sa famille interviennent ensuite pour tenter de faire cesser son ministère. Comment en sommes-nous arrivés là?

Une série de controverses en Galilée

Après la purification d’un lépreux, qui clôturait le chapitre 1 de son évangile, Marc raconte cinq récits de controverses, qui se passent toutes à Capharnaüm. Les deux premières disputes concernent le pouvoir qu’a Jésus de pardonner les péchés (2,1-12.13-17). Les deux dernières concernent son autorité sur le sabbat (2,23-28 ; 3,1-6). Comme l’indique la controverse centrale (2,18-21), ces confrontations révèlent que Jésus est l’Époux de la fin des temps présent au milieu de son peuple. Pourtant, des jours viendront où l’Époux leur sera enlevé (2,20). Et au terme de ces controverses, les pharisiens se réunirent en conseil avec les partisans d’Hérode contre Jésus, pour voir comment le faire périr (3,6). Déjà la croix se dresse à l’horizon de la vie de Jésus.

Un nouveau peuple de Dieu

En réponse à cette menace, Jésus se retira avec ses disciples près de la mer, et une grande multitude de gens, venus de Galilée, le suivirent. De Judée, de Jérusalem, d’Idumée, de Transjordanie, de la région de Tyr et de Sidon vinrent aussi à lui une multitude de gens qui avaient entendu parler de ce qu’il faisait (3,7-8). Cette foule où se côtoient Juifs et Gentils préfigure l’Église d’après Pâques. Ce rassemblement précède immédiatement l’institution des Douze. Nouveau Moïse, Jésus gravit la montagne, et il appela ceux qu’il voulait. Ils vinrent auprès de lui, et il en institua douze pour qu’ils soient avec lui et pour les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle (3,13-14). La persécution de Jésus et sa mort sur une croix n’auront pas raison de la mission du Fils de l’Homme. Après sa résurrection, cette mission se poursuivra par l’entremise de sa nouvelle famille spirituelle, ceux qui sont avec lui, accompagnée d’une grande multitude, qui formeront ensemble l’Église, nouveau peuple de Dieu, chargé de proclamer l’Évangile.

Difficile reprise de la mission

Mais il reste encore une dizaine de chapitres avant que ne s’amorce le drame de la Passion (Mc 14–16). La mission initiale est loin d’être terminée. C’est pourquoi Jésus revint à la maison avec ses disciples, où de nouveau la foule se rassembla, si bien qu’il n’était pas possible de manger (3,20). La situation rappelle celle où nous avions laissé Jésus le 11 février dernier (6e dimanche B) : Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais restait à l’écart, dans des endroits déserts. De partout cependant on venait à lui (1,45). On se rappellera aussi le premier retour de Jésus à Capharnaüm : tant de monde s’y rassembla qu’il n’y avait plus de place, pas même devant la porte (2,2). Aujourd’hui encore, Jésus est victime de son succès.

La famille naturelle de Jésus

Cette situation dérangeante a pour effet de raviver l’opposition à Jésus. Interviennent d’abord « les gens de chez lui » (3,21) ou, comme le traduit la TOB, « les gens de sa parenté ». Ils apparaissent pour la première fois dans la trame de Marc. Il est donc difficile de savoir qui ils sont. Chose certaine, ils font contraste avec les douze qui viennent tout juste d’être choisis pour qu’ils soient avec lui (3,14). Les gens de chez lui ne sont pas avec Jésus, mais plutôt contre lui. Ils cherchaient à se saisir de lui, car ils affirmaient : “Il a perdu la tête” (3,21). Par un geste de violence, ils veulent en quelque sorte le protéger de lui-même.

Les scribes de Jérusalem

Puis ce sont les scribes […] descendus de Jérusalem (3,22) qui accusent Jésus de deux choses : Il est possédé par Béelzéboul ; c’est par le chef des démons qu’il expulse les démons (3,23). L’accusation est grave. Jésus ne serait plus l’envoyé de Dieu, mais l’instrument de Satan. L’opposition déjà manifeste dans les controverses (2,1 – 3,6) s’accentue, elle est totale : tout en lui est du démon. L’affaire est d’autant plus sérieuse que la double accusation provient de gens qui ont autorité et qui, plus tard, condamneront effectivement Jésus à mourir et à mourir sur une croix.

La réponse de Jésus

Jésus ne refuse pas la confrontation. Il appelle ses opposants près de lui et leur offre une réponse en parabole. Il commence par montrer l’absurdité de leur dernière accusation. Comment Satan peut-il expulser Satan? (3,23). C’est impossible. Mais supposons pour un moment que les scribes aient raison. Si un royaume est divisé contre lui-même, ce royaume ne peut pas tenir. Si les gens d’une même maison se divisent entre eux, ces gens ne pourront pas tenir. Si Satan s’est dressé contre lui-même, s’il est divisé, il ne peut pas tenir ; c’en est fini de lui (3,24-26). Effectivement, c’en est fini de Satan, mais pas pour les raisons invoquées par les scribes. « La vraie défaite de Satan ne vient pas d’une division interne au monde du mal, mais de la victoire d’un plus fort que lui » [1]. Ce plus fort est Jésus qui, poussé par l’Esprit Saint, restaure le Règne de Dieu.

Les conséquences d’un refus

Jésus conclut : Amen, je vous le dis : Tout sera pardonné aux enfants des hommes […]. Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’aura jamais de pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours (3,28-29). Le péché irrémissible est celui de méconnaître l’action de l’Esprit Saint, source de l’action de Jésus.

Deuxième tentative de la famille de Jésus

En 3,21, la famille de Jésus avait disparu. Elle réapparaît en 3,31, accompagnée cette fois par sa mère, dans un effort pour mieux le convaincre. Ils restent dehors et l’appellent pour « l’éloigner à la fois de sa mission et de ceux qu’il va lui-même présenter comme sa parenté spirituelle » [2]. La réponse de Jésus est un appel implicite à franchir le seuil de la maison pour faire partie de ceux et celles qui font « la volonté de Dieu » (3,35).

Franchir le seuil

Marc ne raconte pas comment a réagi la parenté naturelle de Jésus. À nous d’écrire par nos vies la suite du récit. Confrontés au mal, nous sommes appelés à reconnaître en Jésus ressuscité celui qui, habité par l’Esprit Saint, est plus fort que le mal et veut nous en délivrer. Accueillons son invitation à franchir le seuil pour faire partie de sa parenté spirituelle en l’entourant, en écoutant sa parole, et en faisant la volonté de Dieu. Quelle belle façon de reprendre l’« ordinaire » de notre vie chrétienne!

Père mariste, Yvan Mathieu est professeur à l’Université Saint-Paul (Ottawa).

[1] Camille Focant, L’évangile selon Marc, Paris, Cerf (CBNT, 2), 2004, p. 149.

[2] Ibidem, p. 151.

Source : Le Feuillet biblique, no 2580. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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