Le mariage de Cana. Gaetano Gandolfi, 1766. Huile sur toile, 86 x 112 cm. Walters Art Museum, Baltimore (Wikipedia).

Des noces symboliques

Patrice Bergeron Patrice Bergeron | 2e dimanche du Temps ordinaire (C) – 20 janvier 2019

Le signe de l’eau changée en vin : Jean 2,1-11
Les lectures : Isaïe 62,1-5 ; Psaume 95 (96) ; 1 Corinthiens 12,4-11
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Déjà les Pères de l’Église, premiers commentateurs des évangiles, abordaient ce récit des noces de Cana de façon symbolique, s’attardant à en dégager le sens spirituel et théologique, sans trop accorder d’attention à l’anecdote historique ayant servi de prétexte à la composition du récit. Que Jésus ait été un invité ou non à des noces à Cana de Galilée importe peu, pas plus, à la limite, que l’historicité du signe matériel de l’eau changée en vin, tellement est riche la valeur théologique du message porté par ce texte. S’il fallait un argument de plus, le caractère très construit du texte, qui rend d’ailleurs sa lecture un peu étrange, aura tôt fait de nous convaincre qu’il s’agit moins d’un épisode de la vie de Jésus pris sur le vif que d’un récit élaboré par des chrétiens d’après Pâques dans un but apologétique.

Jésus est le Messie!

Le but apologétique étant de nous dire que Jésus ouvre les temps messianiques par l’établissement d’une nouvelle alliance. Noces et vin en abondance, ces deux thèmes bibliques sont associés à l’arrivée des temps messianiques dans de nombreux passages de l’Ancien Testament [1]. Les véritables noces de Cana pourraient très bien être celles qui unissent Dieu et l’humanité. L’allégorie nuptiale, pour parler de cette alliance entre Dieu et son peuple, parcourt en effet la prédication des prophètes de l’Ancien Testament depuis Osée [2]. Cette alliance entre l’Époux (Dieu) et son épouse (peuple de Dieu) s’était conclue au pied du mont Sinaï, quand le peuple, en réponse à l’invitation de Moïse, s’était acclamé : « Tout ce que le Seigneur a dit, nous le ferons » (Ex 19,8). Il semble que la joie de cette première alliance se soit tarie, ce qu’évoque symboliquement, ici, le manque de vin.

Épuisement de la première alliance

Des motifs secondaires, mais éloquents du récit évoquent la caducité de cette première alliance qui, ayant guidé le peuple jusqu’au seuil de l’ère messianique, a joué son rôle jusqu’au bout. Les jarres servant à la purification « des juifs », puisque vides, ne peuvent plus jouer leur rôle. Elles sont au nombre de six, ce qui, en symbolique numérique biblique, est signe d’imperfection (7 moins 1). Et l’expression « les juifs » dans l’évangile de Jean a presque toujours une acception péjorative [3]. Si l’auteur prend la peine de préciser que ces jarres devaient servir aux rites de purifications « des juifs », c’est qu’il induit l’idée d’une désuétude de ces rites juifs, d’une inefficacité à obtenir une véritable purification, soit le pardon des péchés.

La joie « pascale » coule à flots

Grâce à l’entrée en scène de Jésus, l’impasse est dénouée, la joie rétablie, une joie surabondante et encore meilleure (abondance d’un vin meilleur) : entendre que l’alliance nouvelle et éternelle que Jésus apporte par le don de sa vie surpasse en gloire la première alliance entre Israël et son Dieu. C’est à la croix que se scelle, pour l’évangéliste, cette nouvelle alliance. Plusieurs indices du texte pointent en effet, vers le mystère pascal, la mort-résurrection de Jésus (son élévation-glorification pour parler en termes johanniques!) Les mentions du « troisième jour » et de « l’heure [4] non encore venue » de Jésus, de même que la présence de sa mère qu’à ces deux seuls endroits du quatrième évangile, ici et au pied de la croix, dirigent notre attention vers le mystère pascal.

Figure de la mère de Jésus

À remarquer que la mère de Jésus est déjà présente à la noce avant son fils, selon le premier verset du récit (Jn 2,1), Jésus n’arrive qu’en un second temps (Jn 2,2). À la fin de l’épisode, elle semble avoir pris place parmi les disciples à la suite de Jésus (Jn 2,12). Cet inversement de l’ordre d’apparition est sans doute intentionnel. De plus, les paroles qu’elle prononce aux serviteurs ressemblent à cette formule ci-haut mentionnée par laquelle Israël avait accepté l’alliance du Sinaï. Ainsi, par ce « Faites tout ce qu’il vous dira », elle invite les serviteurs à entrer dans cette nouvelle alliance établie en son fils. Fille de la première alliance (présente à la noce avant que Jésus ne vienne), elle est figure du Nouvel Israël, cette portion du peuple de Dieu ayant fait ce passage du judaïsme au christianisme, en mettant sa foi dans le Christ.

Substitution de l’époux

L’époux de ces noces de Cana n’est pas celui que l’on croyait. Lors des noces juives qui pouvaient durer une semaine, c’était le rôle de l’époux de s’assurer qu’il y ait du vin jusqu’à la fin. Ce rôle est finalement joué par Jésus qui devient symboliquement l’Époux (place de Dieu dans l’allégorie nuptiale), manière pour l’évangéliste d’affirmer l’identité divine de Jésus. L’identité de Jésus comme Époux divin est d’ailleurs confirmée par Jean le Baptiste au chapitre suivant du même évangile (Jn 3,29).

Allusion eucharistique?

Se pourrait-il que ce signe de Cana anticipe le vin de l’eucharistie que célébraient les destinataires de l’évangile de Jean? L’allusion eucharistique n’est pas à exclure, elle enrichit au contraire la signification du récit. Ce qui remplira les jarres vides de purifications rituelles des juifs (inefficaces à obtenir le pardon des péchés comme l’insinuait l’auteur par des indices rédactionnels), serait donc symboliquement le vin de l’eucharistie, ce « vin-sang » de l’alliance nouvelle et éternelle versé pour la multitude en rémission des péchés (Mt 26,28) [5]. Ce que les rites juifs ne réussissaient plus à faire, le sang versé de Jésus par le don de sa vie, nous l’obtient. C’est ce que nous célébrons en chaque eucharistie, qui est réactualisation du mystère pascal.

Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui

La gloire est un attribut divin. Pour l’évangéliste Jean, le grand signe qui manifestera la gloire de Jésus (c’est-à-dire qui rendra manifeste et sa messianité et sa filiation divine), c’est l’heure de son élévation. Toutefois, dans la première partie de son évangile, Jésus pose une série de signes qui anticipent son « heure » et laisse apercevoir sa « gloire ». Le signe de Cana en est le commencement. Nous faire saisir la gloire qui habite la personne de Jésus, afin que nous croyions en Lui et recevions la vie en son nom, tel est le but de l’évangéliste Jean (Jn 20,30-31).

Détenteur d’une licence en Écritures Saintes auprès de l’Institut biblique pontifical de Rome, Patrice Bergeron est un prêtre du diocèse de Montréal, curé de paroisses et professeur de Bible à l’Institut de formation théologique de Montréal. Il collabore au Feuillet biblique depuis 2006.

[1] Voir par exemple : Is 25,6-9 ; 62,9 ; Os 2,21-24
[2] La première lecture de ce dimanche (Is 62,1-5) en est un exemple. Voir aussi le livre d’Osée ; Is 54,1-8 ; Jr 2,2 ; Ez 16.
[3] Exception faite de Jn 4,22 « car le salut vient des Juifs » ou l’expression revêt son sens objectif, de même que, peut-être aussi, sur l’écriteau placé sur la croix par Pilate (Jn 19,19.21).
[4] Qu’elle soit venue ou pas encore, l’expression « l’heure » de Jésus dans l’évangile de Jean revêt une signification particulère : il s’agit de l’heure de son élévation sur la croix et dans la gloire du Père. Pour Jean, au calvaire, tout est déjà accompli : la mort, la résurrection et le don de l’Esprit (Jn 19,30).
[5] Même si l’évangile de Jean ne raconte pas le récit de l’institution de l’eucharistie comme le font les trois autres évangiles, la communauté johannique connaît une pratique eucharistique comme en témoigne le discours sur le pain de vie au chapitre 6 (Jn 6,53-57).

Source : Le Feuillet biblique, no 2603. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

Célébrer

Célébrer la Parole

Depuis l’automne 2017, le Feuillet biblique n’est disponible qu’en version électronique et est publié ici sous la rubrique Célébrer la Parole. Avant cette période, les archives donnent des extraits du feuillet publiés par le Centre biblique de Montréal.