La parabole de la paille et de la poutre. Domenico Fetti, circa 1619. Metropolitan Museum of Art, New York (Wikipedia).
Éléments de sagesse en forme de paraboles
Béatrice Bérubé | 8e dimanche du Temps ordinaire (C) – 3 mars 2019
Enseignement en paraboles : Luc 6,39-45
Les lectures : Sirac 27, 4-7 ; Psaume 91 (92) ; 1 Corinthiens 15, 54-58
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Dans la troisième et dernière partie du discours de la plaine que nous lisons ce dimanche, Jésus présente une série de propos imagés qu’il intitule parabole. On y trouve la réflexion sur « les aveugles » (v. 39b), puis la phrase sur « le disciple et son maître » (v. 40). Vient ensuite l’enseignement sur « la paille et la poutre » (vv. 41-42), suivi de la métaphore des « fruits de l’arbre », deux dictons sapientiaux négatifs (vv. 43-44). Et en dernier lieu, la sentence sur les fruits humains (v. 45a) complété par une remarque (v. 45b). La dualité, qui apparaît quasi partout – les deux aveugles, les deux arbres, le couple bon-méchant – permet souvent d’opposer le bien et le mal.
La cécité et la formation (vv. 39-40)
Au v. 39, Jésus s’adresse aux disciples et les invite, spécialement leurs responsables, à la lucidité car certains d’entre eux seront des guides aux « paroles perverses » (Ac 20,30), des « guides aveugles » qui prétendront expliquer sa pensée. Les disciples devant porter au nom de Jésus la lumière au monde (Lc 12,35; voir Mt 5,14.16) ne devront professer d’autre enseignement que le sien (1 Tm 1,3-4; 4,7; 6,3-4.20; 2 Tm 2,14-15.23; 4,3-4) puisqu’ils ne sont pas au-dessus du maître (v. 40a; voir Mt 10,24a; 23,8.10). C’est pourquoi il faudra d’abord transmettre fidèlement sa pensée, celle des vv. 27-28 par exemple. Quant au deuxième membre du passage : mais tout disciple bien formé sera comme son maître (v. 40b) peut signifier, soit « comme son maître, il sera parfaitement instruit », soit « chacun sera instruit de la même manière que son maître ». Rappelons-nous que dans le judaïsme, le disciple en formation avait pour but de s’égaler à son maître pour pouvoir enseigner à son tour. En citant ces paroles de Jésus, Luc désire souligner à sa communauté l’attitude éthique de Jésus : devenir semblable à son maître, à Jésus, n’est possible que par l’œuvre du Christ et la relation de foi avec lui. Lui ressembler finalement, c’est se mettre au service de ceux qui souffrent.
Le regard et l’éducation (vv. 41-42)
Dans l’exhortation des vv. 41-42, Jésus rappelle qu’il convient d’abord de reconnaître ses propres faiblesses, peut-être grosses comme une « poutre », et de les corriger avant de se préoccuper des défauts possiblement bien moins grands qu’on note chez les autres. Ainsi, l’on pourra mieux juger de la faiblesse de son frère. L’intervention que l’on fera ensuite, sera peut-être, voire probablement, mieux appréciée et plus efficace! Ignorant si la situation est celle d’une relation humaine tendue ou non, et à la différence des cas réglés par la loi du talion (Mt 5,38-39), c’est ici le « toi » qui prend l’initiative. Le « toi » du « Pourquoi regardes-tu ? » (v. 41a) commence par tourner son regard vers l’autre. À ce regard correspond une cécité vis-à-vis de soi-même, puisque le « toi » croit que son œil est bienveillant, ou du moins qu’il a raison. Porté par la volonté d’aider, il accompagne son regard d’une parole Comment peux-tu dire à ton frère…? (v. 42a). Dans son aveuglement envers soi-même, il ne remarque pas que son regard et sa parole sont mal intentionnés et font l’effet d’un jugement. En retenant les défauts de l’autre, il l’atteint en sa personne elle-même. Cette attitude du « toi » est celle d’un être humain aliéné, d’un « hypocrite », qui dans l’usage biblique, a un sens plus large que dans notre vocabulaire courant. Dans les textes néotestamentaires, le mot « hypocrisie » indique quelquefois la dissimulation volontaire (Mt 22,18), marque parfois le désaccord entre la conduite extérieure et la pensée profonde (Mt 15,7) ou l’aveuglement conscient ou inconscient sur soi-même et, souvent, le terme désigne l’impie, le pervers. Dans notre passage, l’« hypocrite » représente l’individu « qui se trompe sur lui-même » et qui, possiblement, veut laisser entendre aux autres qu’il est meilleur qu’il ne l’est en réalité. Le « toi » pense faire le bien et ne parvient en réalité qu’à faire du mal en dénonçant les faiblesses de l’autre. L’autre se repliera sur lui-même quand le « toi », aveuglé, prétendra chasser la paille de son œil. La relation risque alors de se rompre. Dans cet enseignement, Jésus ne condamne pas la « correction fraternelle » (Mt 18,15-18), mais blâme les disciples qui se feraient une image déformée de l’autre et qui voileraient l’image d’eux-mêmes. Par ces paroles, il souligne un grave désordre dans les relations humaines. Selon lui, ce qu’il y a de plus pressant à faire, c’est de prendre conscience de sa duplicité et de travailler sur soi-même. Mais pour y arriver, l’individu a besoin d’une relation saine avec les autres car, seul, il ne sortira pas de son aveuglement.
Le vrai disciple (vv. 43-45)
Aux vv. 43-45, Jésus met en garde ses disciples contre les « faux maîtres » qui les détourneraient de son enseignement. Pour illustrer sa doctrine, il passe de l’image à la réalité. Il recourt à deux comparaisons : la qualité du fruit qui renseigne sur la valeur de l’arbre (v. 43) et l’espèce du fruit qui révèle l’arbre (v. 44). Pour Jésus, tout se joue dans le cœur. N’oublions pas que dans le Nouveau Testament, le « cœur » a ordinairement un sens métaphorique. Il est la source des pensées intellectuelles (Mc 2,6.8; Lc 3,15), de la foi (Mc 11,23; Rm 10,8-9), de la compréhension (Lc 24,25; Ép 1,18), de l’endurcissement (Mc 6,52), etc. Ce que l’être humain prononce vient du fond de lui-même. Derrière sa parole, il y a l’individu responsable de ce qu’il dit. Pour Jésus, le cœur reste comme paralysé tant qu’un disciple n’a pas écouté et accepté sa Parole. De lui-même, il ne produit rien de bon si le disciple se comporte en hypocrite (v. 42) : son mauvais fruit montre qu’il ressemble à un mauvais arbre, alors qu’il est appelé à faire surgir sans cesse le bien du trésor qui est dans son cœur (v. 45a). En d’autres termes, le disciple qui veut introduire une autre loi que le commandement d’amour (vv. 27-28) est un mauvais arbre qui porte de mauvais fruits (vv. 43-44), un méchant qui tire des méchancetés du trésor de son cœur (v. 45). Le contraste ne joue pas ici entre parole et action, mais entre l’intérieur de l’être humain et ses expressions (v. 45b). Celui qui professe « un enseignement mauvais », c’est-à-dire peu conforme à celui du maître (v. 40), il faut le rejeter comme un mauvais guide puisqu’il ne peut se réclamer de Jésus (6,46). La mise en garde contre la fausse doctrine, telle qu’elle y est formulée, peut s’appliquer à n’importe quelles actions humaines. En se référant à cet exemple de la nature, Jésus signifie que les décisions humaines de la foi et de l’éthique échappent à un déterminisme comparable à celui de la nature.
Les chrétiens d’aujourd’hui
Dans cette partie du Sermon dans la plaine, Jésus va au cœur de l’être humain, qu’il s’agisse d’exhorter les disciples à se purifier le cœur – Enlève la poutre de ton œil (v. 42c) – avant de purifier celui des autres (v. 42b), qu’il s’agisse de mettre en garde contre les « paroles » des faux maîtres [leur cœur est mauvais (v. 45b)]. En rapportant cet enseignement éthique de Jésus, Luc cherche à mettre de l’ordre dans les relations humaines au sein de sa communauté. Pour les chrétiens et chrétiennes d’aujourd’hui, cette exhortation signifie qu’aussi longtemps qu’ils demeurent aveugles, ils ne peuvent conduire les autres par leurs conseils. Ces paroles de Jésus sont là pour les aider à choisir le bon chemin et leur donner la force de bien agir envers leur Maître, Jésus ressuscité, et envers leurs frères et sœurs. Leur bonté et leur générosité, nourries par la bienveillance de la Providence et de leur Sauveur, jaillissent du plus profond de leur personnalité, de cet endroit où la conversion a eu lieu. Plus la foi régénère leur cœur, plus résolue sera leur conduite chrétienne.
Béatrice Bérubé a fait ses études à l’Université du Québec à Montréal où elle s’est spécialisée en études bibliques. Elle a obtenu son doctorat en 2014 et collabore au Feuillet biblique depuis 2015.
Source : Le Feuillet biblique, no 2609. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.