Détails du bas-relief de la parabole du riche et de Lazare. Art roman de l’abbatiale de Saint-Pierre de Moissac (photo © Xavier Denecker).

La misère des riches

Béatrice BérubéBenoît Lambert | 26e dimanche du Temps ordinaire (C) – 29 septembre 2019

La parabole du riche et de Lazare : Luc 16, 19-31
Les lectures : Amos 6, 1a. 4-7 ; Ps 145 (146) ; 1 Timothée 6, 11-16
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Les rapports entre l’argent et le christianisme ont été complexes au cours des siècles. Plusieurs auraient voulu que l’Église ne se compromette pas avec cet aspect matériel qui semble détourner les personnes de la foi. D’autres ont considéré que l’Église devait se financer pour remplir sa mission d’évangélisation. Entre ces deux positions, il y a mille et une nuances. Jésus livre aujourd’hui une parabole qui semble confirmer la nature intrinsèquement mauvaise de l’argent. Il faut cependant approfondir le texte sacré pour mieux saisir l’enseignement du Seigneur.

Ancré dans une tradition

Les recherches récentes ont démontré que Jésus était parfaitement intégré dans la culture judaïque. Il n’était pas un maître désincarné qui aurait créé de toutes pièces son message. Dans ce récit symbolique, le Galiléen reprend des convictions qui se sont construites tout au long de l’évolution spirituelle du peuple élu. D’abord, Israël en est venu à croire que la vie sur la terre a un impact sur l’existence après la mort (Pr 21,13). Une personne qui ne fait pas la volonté divine sur terre n’habitera pas avec Yahvé après sa mort. Le riche qui n’a pas entendu la supplique du pauvre est séparé de l’espace où demeure Yahvé.

À l’époque de Jésus, l’aumône est devenue une pratique pieuse largement répandue dans le judaïsme. Avec la prière et le jeûne, elle constitue un des éléments fondamentaux de l’activité religieuse. L’Ancien Testament reconnaît que donner aux plus démunis permet de s’assurer de demeurer avec Dieu (Sir 29,12; 40,17). Et, doctrine plus audacieuse, l’aumône fait pencher la balance du Juge suprême. Elle fait contrepoids aux péchés commis par chaque individu (Sir 3,30).

L’indifférence des riches

Il faut d’abord établir sans ambiguïté que Jésus ne condamne pas les riches parce qu’ils possèdent de nombreux biens. Il a partagé volontiers le repas de personnes bien nanties. Il s’est préoccupé du salut du jeune homme riche. Mais il a averti les gens qui le suivaient du risque de trop posséder. Se constituer un patrimoine matériel immense risque de détrôner la mise en pratique de la volonté divine comme valeur primordiale dans la vie humaine. En effet, le plaisir procuré par les choses matérielles a toujours séduit l’être humain. Et plusieurs ont été touchés par les douceurs terrestres.

Dans la première lecture, Amos décrit la situation des Israélites qui ont été charmés par la richesse au VIIIe siècle av. J.-C. Ils se sentent en sécurité, entourés de leurs biens. Leur monde extérieur se résume trop souvent à leur cocon qui les protège des souffrances terrestres. Ils n’entendent plus les plaintes des démunis, car un écran leur a fait perdre contact avec la douleur des personnes dans le besoin. Les riches seront abasourdis quand un roi assyrien envahira le territoire des fils et des filles d’Abraham. Empêtrés dans un univers factice, ils découvriront le caractère illusoire des richesses matérielles qui deviendront propriété de l’envahisseur.

Jésus se situe dans la ligne d’Amos. Il critique fortement l’endurcissement du cœur que les riches développent quand ils deviennent trop bien nantis. En se protégeant de la souffrance qui les entoure, ils deviennent insensibles aux suppliques qui leur sont adressées par les plus démunis. Si les privilégiés avaient eu Dieu dans leur conscience, ils auraient entendu ces demandes et auraient posé des actes, comme l’aumône, pour soulager les pleurs des personnes affligées. Il faut préciser que, pour Jésus, l’aumône n’est rien en elle-même. Elle doit être accompagnée par la charité, par l’intention de mettre un baume sur la souffrance de l’autre. Un don fait mécaniquement, sans compassion, ne vaut rien.  

Une invitation

Jésus a proposé au jeune homme riche la conséquence radicale de sa vision de la richesse. Pour devenir son disciple, il devra immédiatement abandonner toutes ses possessions et le suivre sur les chemins d’Israël. Il devra orienter sa conscience uniquement vers Dieu et ne plus être tiraillé entre deux pôles (Dieu et l’argent).

Cet idéal radical est proposé par Paul à son disciple Timothée dans la seconde lecture. La conscience de son collaborateur doit être totalement tournée vers le Christ. Et Paul répète la conviction de ses ancêtres : Continue à bien te battre pour la foi et tu obtiendras la vie éternelle. Ce combat de la foi se traduit pour Paul en deux attitudes. Il faut d’abord être persévérant, résister à tout ce qui aurait le potentiel de nous écarter du chemin nous conduisant au salut éternel. Il faut aussi traiter les autres avec compassion, avec charité. Ainsi, l’ami du Christ aimera les autres comme il est aimé de Dieu.

Un avertissement

La seconde partie (vv. 22-31) de la parabole démontrerait que les paroles de Jésus ne s’adresseraient pas en premier lieu aux riches. Elles seraient destinées aux pharisiens que Jésus a sévèrement critiqués dans les versets précédents de l’évangile de Luc. Les pharisiens constituaient un groupe hautement estimé par les Israélites à l’époque de Jésus. Les gens admiraient leur vertu et leurs connaissances de la Loi. Mais Jésus a deviné leur hypocrisie. Les pharisiens se soucient avant tout d’eux-mêmes et non de Dieu. Ils sont plutôt occupés à maintenir leur réputation d’hommes pieux et de préserver les privilèges qui en découlent (première place dans les assemblées, etc.)

Un retour surprenant se produit. Le riche a un réflexe altruiste. Il veut avertir ses frères du sort qui les attend s’ils ne modifient pas leurs valeurs. Le riche réclame donc un signe d’Abraham, le père d’Israël, un homme hautement honoré dans le judaïsme. Et ce signe serait l’apparition d’une personne qui a habité le séjour des morts. Ce signe obligerait les cinq frères à se convertir. Mais Abraham refuse cette requête.

Jésus décrit l’attitude des pharisiens à son égard. Ils refusent de reconnaître qu’il est le Messie. Pourtant, sa venue à été annoncée dans la Loi (symbolisée dans ce texte par Moïse) et par les prophètes. Il a accompli devant plusieurs témoins les signes annonciateurs de la venue du Sauveur : les sourds voient, les aveugles entendent, etc. Butés, ils contesteraient, comme les frères de l’homme riche, l’apparition d’un mort qui les avertirait de leur déchéance éternelle s’ils ne se conforment pas à la volonté divine. Le Seigneur évoque ici à mots couverts sa Résurrection. Et le Seigneur a eu raison. Les pharisiens n’ont pas cru à la résurrection du Christ et ils ont influencé une bonne partie des Israélites par cette incrédulité.

Jésus aussi précise dans cette parabole que ce sort peu enviable de l’abîme éternel ne se produira pas au Jugement dernier. Il prendra immédiatement effet après la mort. Cet avertissement du Christ est encore actuel. Il y a encore des riches qui n’entendent pas les suppliques des pauvres. Enfermés dans leur univers confortable, plusieurs bien nantis sont devenus insensibles à la souffrance humaine. Les chrétiens et les chrétiennes sont appelés à prier pour que les cœurs de pierre deviennent des cœurs de chair.

Détenteur d’une maîtrise ès arts (théologie) de l’Université Laval, Benoît Lambert a rédigé des articles et des brochures pour plusieurs revues religieuses (Vie liturgique, Revue Notre-Dame-du-Cap). Il collabore au Feuillet biblique depuis 1995.

Source : Le Feuillet biblique, no 2631. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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