Le pharisien et le publicain. James Tissot, 1886-1894. Aquarelle, 25,1 x 16,5 cm. Brooklyn Museum, New York.

Devenir juste devant Dieu

Yvan MathieuYvan Mathieu | 30e dimanche du Temps ordinaire (C) – 27 octobre 2019

Le pharisien et le collecteur d’impôt : Luc 18, 9-14
Les lectures : Sirac 35, 12-14.16-18 ; Psaume 33 (34) ; 2 Timothée 4, 6-8.16-18
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Depuis le 30 juin dernier (13e dimanche du temps ordinaire), de dimanche en dimanche, nous suivons Jésus sur la route qui le mène à la mort sur la croix et à la résurrection. Alors,  comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem (Lc 9,51). Il y a deux dimanches, Jésus, marchant vers Jérusalem, traversait la région située entre la Samarie et la Galilée (Lc 17,11). C’était le début de la troisième et dernière étape de sa montée vers la ville sainte. Il rencontre alors dix lépreux, qu’il purifie. Dimanche prochain, il arrivera à Jéricho, ultime étape de son voyage vers le mystère de sa Pâque.

Deux paraboles

Entre la purification des lépreux et sa rencontre avec Zachée à Jéricho, Jésus, chemin faisant, prend le temps d’adresser des paraboles à ceux qui marchent avec lui. Dimanche dernier, Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager (Lc 18,1). Ce dimanche, il constate que, parmi ceux qui le suivent, certains […] étaient convaincus d’être justes et […] méprisaient les autres (Lc 18,9). C’est pour eux qu’il raconte la parabole de ce jour.

Qu’est-ce que la justice ?

Ce n’est pas la première fois qu’il est question d’être juste dans l’évangile de Luc. Zacharie et Élisabeth, les parents de Jean Baptiste, étaient l’un et l’autre des justes devant Dieu : ils suivaient tous les commandements et les préceptes du Seigneur de façon irréprochable (Lc 1,6). Malgré cela, Zacharie n’a pas cru l’ange Gabriel quand celui-ci lui annonça la naissance de son fils, dont la mission sera de ramener les rebelles à la sagesse des justes (Lc 1,17). Jésus déclarera lui-même : Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs, pour qu’ils se convertissent (Lc 5,32). Être juste, marcher fidèlement en suivant les commandements et les préceptes du Seigneur est important. Mais ce n’est pas le plus important.

Justice envers Dieu, justice envers les hommes

La personne qui prétend être juste tout en méprisant les autres ne sait pas vraiment ce que signifie la justice pour Dieu et pour Jésus. Rappelons-nous le reproche que Jésus adressait aux Pharisiens un peu plus haut dans l’Évangile : Vous, vous êtes de ceux qui se font passer pour justes aux yeux des gens, mais Dieu connaît vos cœurs ; en effet, ce qui est prestigieux pour les gens est une chose abominable aux yeux de Dieu (Lc 16,15). Ce qui importe pour Jésus, c’est d’être juste selon le cœur de Dieu. D’où la parabole qu’il raconte.

Monter au Temple pour prier

Deux hommes montèrent au Temple pour prier (Lc 18,10a). La mise en scène de la parabole, le fait de monter au Temple, situe l’action à Jérusalem et annonce l’horizon de la mort et de la résurrection vers lequel Jésus et ses disciples marchent résolument. D’autre part, la mention de la prière fait écho à la parabole de dimanche dernier, qui portait sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager (Lc 18,1) et où une veuve priait un juge qui ne craignait pas Dieu et ne respectait pas les hommes (Lc 18,2) de lui rendre justice. Pas de justice sans prière, pas de justice sans un lien vital avec Dieu.

Un pharisien et un publicain

Jésus commence par identifier le groupe d’appartenance des deux hommes : L’un était pharisien, et l’autre, publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts) (Lc 18,10). Les pharisiens « s’appliquaient à bien connaître la loi et la tradition pour en promouvoir la stricte application (ils s’étaient ainsi séparés des non-observants, jugés impurs : c’est peut-être le sens de leur nom) » (note de la TOB en Mc 1,16). Quant aux publicains – collecteurs d’impôts, il s’agit des subalternes juifs qui collaboraient avec ceux qui centralisaient la levée de l’impôt romain. « Ceux-ci sont mal vus dans leur milieu, pas suite de leur collaboration avec l’occupant païen et des exactions de bon nombre d’entre eux. L’opinion publique les classe parmi les pécheurs » (note de la TOB en Lc 3,12). On s’attendrait donc à ce que le pharisien ait le beau rôle tandis que le publicain personnifie le méchant. Mais Jésus aime surprendre.

Faut-il choisir entre les deux prières ?

Jésus présente ensuite la posture des deux priants ainsi que leurs prières respectives. Le pharisien se tenait debout (Lc 18,11). Il « adresse à Dieu une action de grâce où il dresse le catalogue de ses vertus : les fautes qu’il ne commet pas, puis les deux prescriptions qu’il accomplit, allant plus loin que ne l’exige la Loi (jeûne et dîme ; voir 11,42). Le portrait n’a rien d’une caricature. Notre homme sait ce qu’il doit à Dieu et ne s’attribue pas le mérite d’être un juste […]. Même la façon dont il se démarque des voleurs injustes et adultères est un écho de la prière des psaumes. […] Conscient de son état de pécheur, le publicain, pour sa part, n’ose pas lever les yeux au ciel et sa prière est un appel au secours : il se reconnaît pécheur et invoque la miséricorde de Dieu [1] », qu’il appelle « Mon Dieu… » (Lc 18,13). Dans les deux cas, une attitude profondément biblique.

Mais où est le problème ?

Si l’action de grâce du pharisien et la confession du publicain sont faites selon les règles, comment se démarquent-ils l’un de l’autre ? La prière du premier le tourne vers lui-même tandis que celle du second le tourne vers Dieu, en qui il met toute sa confiance. Le problème du pharisien n’est pas qu’il prie de la mauvaise manière, mais bien qu’il méprise les autres dans la prière. Le pharisien se prétend juste tandis que le publicain, qui avait demandé la faveur et la miséricorde de son Dieu, se savait pécheur. Ironiquement Jésus déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre (Lc 18,14a) !

Juste ou justifié?

Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé (Lc 18,14b). « Dieu humiliera qui s’élève, et élèvera qui s’humilie. C’est que “ses pensées ne sont pas la pensée des humains, ses chemins ne sont pas les leurs” (Is 55,8) [2] ». Le fait d’être sauvé ne provient pas de ce que nous faisons, mais bien plutôt de ce que nous laissons Dieu faire en nous.

Une parabole pour nous ?

Il serait tentant de faire porter le chapeau aux pharisiens du temps de Jésus. Mais Luc nous dit bien que cette parabole s’adresse d’abord à celles et ceux qui marchent avec Jésus, aux disciples de tous les temps, surtout à ceux qui sont convaincus d’être justes au point de mépriser les autres. À tous les disciples qui le suivent, Jésus rappelle aujourd’hui qu’il ne s’agit pas de se montrer juste devant Dieu mais de permettre à Dieu de faire de nous des justes en son Fils, le juste par excellence.

Père mariste, Yvan Mathieu est professeur à l’Université Saint-Paul (Ottawa).

[1] Hugues Cousin, L’évangile de Luc. Commentaire pastoral, Paris – Outremont, Centurion – Novalis, 1993, p. 236.
[2] H. Cousin, L’évangile de Luc, p. 237.

Source : Le Feuillet biblique, no 2635. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

Célébrer

Célébrer la Parole

Depuis l’automne 2017, le Feuillet biblique n’est disponible qu’en version électronique et est publié ici sous la rubrique Célébrer la Parole. Avant cette période, les archives donnent des extraits du feuillet publiés par le Centre biblique de Montréal.