La guérison de l’homme né aveugle. Andrey N. Mironov, 2009. Huile sur toile, 100 × 55 cm (Wikipedia).

Enfants de lumière!

Alain FaucherAlain Faucher | 4e dimanche du Carême (A) – 22 mars 2020

Jésus, lumière du monde : Jean 9, 1-41
Les lectures : 1 Samuel 16, 1.6-7.10-13a ; Psaume 22 (23) ; Éphésiens 5, 8-14
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Ce quatrième dimanche du Carême de l’Année A, le Carême baptismal, offre une agréable cohérence entre les lectures bibliques. On peut unifier ces contenus autour de l’exhortation de la deuxième lecture : « Vous êtes lumière; conduisez-vous comme des enfants de lumière. » (Éphésiens 5,8) Cette invitation correspond au programme du Carême : renouer avec l’illumination reçue au baptême pour s’engager en profondeur à la suite de Jésus. L’aveugle devient un modèle de témoin. Son témoignage de nouveau croyant, un peu bourru mais fort sympathique, s’avère fort stimulant dans l’actuelle vague missionnaire qui recentre courageusement notre Église sur la communication de l’essentiel.

Détaillons un peu la cohérence annoncée au paragraphe précédent. La première lecture met en scène le processus divin de discernement. Dieu ne se laisse pas impressionner par les apparences, mais plutôt par ce qui se passe dans le centre de décision de la personne (1 Samuel 16,7). En réponse à ce constat, le Psaume 22 énumère les bienfaits offerts par Dieu en réponse à l’engagement de la personne. Et l’évangile décrit l’illumination vécue par la personne touchée par l’initiative de Jésus. Cet évangile est tellement éclatant qu’il risque d’occulter la contribution des autres lectures. Voilà pourquoi notre bref commentaire épouse l’ordre du déroulement liturgique des lectures.

Première lecture

La première lecture démontre, sous forme de récit, que Dieu est attentif à ce qui se passe dans le centre de décision d’une personne humaine. Ce que la Bible appelle le cœur désigne ce que notre langage psychologique classifie parfois sous la rubrique « sensibilité, intelligence, volonté, conscience morale. » L’intérêt de Dieu pour le cœur est en fait un intérêt pour le processus de la prise de décision intelligente dans notre vie.

La première lecture met ainsi en scène l’initiative de Dieu. Il vient à la rencontre des humains en fonction de ses propres critères. Dans un épisode surprenant de l’histoire de la jeune monarchie, le porte-parole de Dieu, Samuel, doit gérer l’échec de son premier choix royal. En effet, Saül n’a pas été un roi selon le cœur de Yhwh. Dans notre vocabulaire, cela ne fait pas sérieux, car le cœur est évoqué comme la source des émotions. Dans le vocabulaire biblique, le cœur est, au contraire, le siège de la capacité rationnelle de décision. Ce que Dieu cherche, ce n’est pas d’abord l’émotivité d’une alliance sentimentale, mais surtout la force d’une adhésion réfléchie et constante. Ce critère s’appliquera graduellement dans l’évangile. L’aveugle guéri finit par adhérer totalement à Jésus en tant qu’envoyé de Dieu.

Le récit de l’onction royale de David fait donc émerger un roi pétri des valeurs divines, bien différentes des points de vue humains. Il est ironique que le narrateur s’extasie sur la prestance physique du petit dernier négligé par son père. Le critère de choix des hommes n’est pas celui de Dieu. Dieu va vers le cœur, non vers l’apparence. Voilà pourquoi le nom du nouveau roi est dévoilé seulement à la fin du récit. Celui qui rend caduques les anciennes manières de penser et de gouverner en les ajustant au désir de Dieu, c’est David, une célébrité aux yeux des destinataires du récit.

Psaume 22

Ce Psaume célèbre offre un écho inversé de la première lecture. Le psaume met ainsi en valeur les conséquences de l’attitude de Dieu : le texte concentre le regard sur les bienfaits de Dieu pour la personne qui lui est fidèle. Le tout est coulé dans un langage verdoyant qui contraste avec les zones arides fréquentes en cette Terre sainte…

Deuxième lecture 

À première vue, ces quelques versets de la lecture-pivot de ce dimanche véhiculent une charge émotive moins dense que le récit du choix de David, le psaume du bon berger ou la rencontre de l’aveugle-né avec l’envoyé de Dieu. Pourtant, ces quelques versets de la Lettre aux Éphésiens ouvrent des pistes de réflexion de haute densité et de grande pertinence. La tension entre les ténèbres et la lumière rappelle les problèmes de fond abordés dans l’évangile. Qui a fait le mal? Qui est porteur du bien?

En un raccourci saisissant, la formulation de l’« avant » et de l’« après » met en évidence la transformation accomplie par l’action de Dieu : vous étiez ténèbres, vous voici lumière… (Ép 5,8) Il ne s’agit pas de se congratuler entre nous parce que nous sommes les meilleurs. Il s’agit de reconnaître que la lumière de la conversion communique à celles et ceux qui l’accueillent une participation à la vie avec Dieu, rien de moins.

Évangile

Cet évangile traditionnel de l’initiation chrétienne des adultes ne s’adresse pas qu’aux catéchumènes en route vers le baptême. Cet évangile vient questionner nos attitudes grâce à sa panoplie d’intervenants qui fouillent la vie de l’ancien aveugle jusqu’à l’exaspération. Sans forcer ce récit évangélique aux multiples rebondissements, il est facile d’y percevoir une invitation à plonger dans la foi, à renaître avec Jésus à l’exemple de l’aveugle illuminé.

Les 41 versets allient plusieurs thématiques : initiative de Jésus, révélation progressive de son identité, transformation de la personne au regard illuminé par l’action de Jésus, perception de l’identité profonde de Jésus ou rejet de toute collaboration avec lui.

L’aveugle renaît à la vue et à la vie au moyen d’un rituel paradoxal. La boue résultant du mélange de la terre avec la salive de Jésus, lorsqu’elle est lavée à l’eau froide, laisse enfin la lumière circuler. Selon Marc Girard, il s’agit d’un symbole de naissance. Enfermé sous sa carapace de boue séchée, l’œil peut enfin naître et fonctionner sous l’action de l’eau de la piscine de l’Envoyé.

Le personnage de l’aveugle agit comme catalyseur de réactions entre les autres personnages et Jésus. L’ancien aveugle fait avancer le débat lorsqu’il est mis au défi par les Pharisiens et les Juifs, mais autant il s’en sort toujours élégamment, autant il s’engage de plus en plus en faveur de celui qui a causé sa guérison. L’ancien aveugle reconnaît Jésus comme prophète, puis comme Dieu, fils de l’homme, Seigneur… Ce chemin de discernement est un exemple du jugement que Jésus est venu rendre (verset 39). Ceux qui pensent voir restent peut-être dans l’obscurité. Ceux et celles qui se savent aveugles vont peut-être cheminer vers la lumière… Cette nouvelle étape de notre chemin de Carême nous oblige à nous situer face à cette lumineuse présence de Jésus.

Pour lire encore et encore sur l’architecture et la symbolique de cette péricope évangélique foisonnante : Marc Girard, Évangile selon Jean. Structures et symboles, tome 1, Montréal/Paris, Médiaspaul, 2017, pages 286-314.

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2656. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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