L’Agneau de l’Apocalypse. Fresque romane, circa 1123. Église Sant Climent de Taüll, Espagne (Wikimedia).

J’ai vu et je rends témoignage

Lorraine Caza Lorraine Caza | 2e dimanche du Temps ordinaire (A) – 19 janvier 2020

Voici l’Agneau de Dieu : Jean 1, 29-34
Les lectures : Isaïe 49, 3.5-6 ; Psaume 39 (40) ; 1 Corinthiens 1, 1-3
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Je n’oublierai pas le vif remerciement d’une infirmière psychiatrique à la suite d’une présentation que j’avais faite, un jour, du Prologue de l’Évangile de Jean : « Pour moi, le Prologue, c’est un trésor. Je ne rencontre jamais une cliente sans d’abord prendre le temps de réciter intérieurement le Prologue. » Le texte évangélique que l’Église nous propose pour le 2e dimanche du Temps ordinaire de l’année A suit de très près le Prologue de Jean (1,1-18). Il nous situe en compagnie de Jean Baptiste et de Jésus, tous deux bien présents dans le Prologue. Jean Baptiste s’y présente comme un témoin, nous révélant, avec une grande richesse de concepts, l’identité de Jésus. Pour lui, Jésus est l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde, l’homme derrière lui, qui est pourtant avant lui, celui sur qui l’Esprit demeure et qui baptise dans l’Esprit, le Fils de Dieu.

Jésus, l’Agneau de Dieu

Oui, pour Jean Baptiste, Jésus est l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Pourquoi, dira-t-on, ce choix de l’icône de l’Agneau pour exprimer le mystère de Jésus ? Le livre de la Parole accorde-t-il une attention spéciale à l’agneau ? Pensons à l’Agneau pascal du livre de l’Exode. Pensons à ce peuple de Dieu vivant en esclavage, en Égypte et dont la libération est reliée à l’immolation d’un agneau par maison, agneau dont le sang sera mis sur les deux montants et sur le linteau des maisons et fera échapper à la destruction les maisons munies de ce signe, quand Dieu frappera le pays d’Égypte. Le peuple faisait mémoire de ce jour et le fêtait comme une fête pour Dieu. La Pâque juive préparait la Pâque chrétienne. Nommer Jésus l’Agneau de Dieu comme le fait Jean Baptiste en Jn 1,29.36, c’est proclamer le Christ pascal.

Il y a l’Agneau de la libération d’Égypte et de la Pâque juive, mais il y a aussi la comparaison du Serviteur Souffrant à un Agneau malmené : Maltraité, il s’humiliait, il n’ouvrait pas la bouche comme l’agneau qui se laisse mener à l’abattoir, comme devant les tondeurs, une brebis muette, il n’ouvrait pas la bouche (Isaïe 53,7). En appelant Jésus l’Agneau de Dieu, le Jean Baptiste du quatrième évangile ne se trouvait-il pas à rappeler tout le mystère de la Passion de Jésus ?

 Il est enfin un autre lieu, cette fois dans le Nouveau Testament, où l’image de l’Agneau, pour désigner le Christ, est mise à l’honneur. C’est dans la grande vision du livre de l’Apocalypse où, debout, entre le trône aux quatre Vivants et les Vieillards, un agneau comme égorgé, portant sept cornes et sept yeux qui sont les esprits de Dieu en mission par toute la terre. Il s’en vint prendre le livre dans la main droite de celui qui siège sur le trône. Quand il l’eût pris, les quatre Vivants et les vingt-quatre vieillards se prosternèrent devant l’Agneau (Ap 5,6-8). Puis vient une multitude d’anges qui crient à pleine voix : Digne est l’Agneau égorgé de recevoir la puissance, la richesse, la sagesse, la force, l’honneur, la gloire et la louange (Ap 5,12). Quelle figure paradoxale que cet Agneau de l’Apocalypse : Il est égorgé, et pourtant les sept cornes et les sept yeux dont on le pare, parlent de grande puissance, de grande connaissance. Il est vénéré par les Vivants et par les Vieillards. En réunissant les évocations bibliques de l’Agneau, il me semble que toutes les dimensions du mystère pascal sont honorées.

Avant Jean, Jésus était

Pour le Jean Baptiste de l’évangile johannique, Jésus est aussi Celui qui vient derrière le Baptiste, qui est passé devant lui parce qu’avant lui il était (Jn 1,30). Chronologiquement, Jean apparaît avant Jésus, mais le prophète affirme la supériorité absolue de Jésus. Jean se trouve à reconnaître que Jésus transcende le temps, quand il affirme : Avant lui, il était. Cette déclaration de Jn 1,30 était déjà présente au cœur du Prologue : Jean lui rend témoignage et il clame : « C’est de lui que j’ai dit : celui qui vient derrière moi, le voilà passé devant moi, parce qu’avant moi, il était » (Jn 1,15). Il faut que l’évangéliste ait été bien conscient de l’importance d’affirmer la préexistence du Christ puisqu’il n’hésitera pas à mettre sur les lèvres de Jésus dans le grand discours sur Jésus, lumière du monde : « En vérité, en vérité, je vous le dis : avant qu’Abraham existât, je suis. » Pour l’évangéliste Jean, Jésus est aussi celui sur qui l’Esprit descend et demeure, et Celui qui baptise dans l’Esprit Saint. J’ai vu l’Esprit descendre du ciel, comme une colombe, et demeurer sur lui. C’est celui qui l’a envoyé baptiser dans l’eau, nous dit-il, qui lui a révélé l’identité de celui sur qui il verrait l’Esprit descendre et demeurer. À celui qui baptisait dans l’eau, il est donc révélé que c’est Jésus qui est le Baptiste par excellence puisqu’il baptise dans l’Esprit.

Jésus, le Fils de Dieu

Le Baptiste de l’évangile johannique avait dit : « J’ai vu » alors qu’il témoignait de la descente de l’Esprit sur Jésus et du fait de sa demeure en Jésus. Le Baptiste répète ce « J’ai vu  », – en l’accompagnant de « Et je rends témoignage » –, alors qu’il proclame que Jésus est « le Fils de Dieu ». Après avoir entendu le Baptiste exprimer cet élément sommet de l’identité de Jésus, rendons-nous à la première conclusion de l’évangile. On y lit ceci : Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom. (Jn 20,30s).

À chaque célébration eucharistique, au moment de la communion, plus précisément à la fraction du pain, nous sommes invités à faire nôtre la déclaration que l’évangéliste Jean a attribué à Jean le Baptiste. Deux fois, en effet, nous proclamons : « Agneau de Dieu qui enlèves le péché du monde » en y ajoutant l’imploration : « prends pitié de nous ». La troisième fois, nous reprenons le même appel, en y joignant: « Donne-nous la paix ». Dans les instants qui suivent, montrant aux fidèles le pain eucharistique, le président de la célébration nous invite à communier, avec ces mots : « Heureux les invités au repas du Seigneur ! Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». C’est donc dire que le langage de l’Agneau de Dieu pour identifier le Christ a été repris et est repris quotidiennement, par des millions de chrétiens à travers les lieux et les temps.

En le faisant nôtre, aujourd’hui, nous n’oublierons pas les autres titres attribués par l’évangéliste à Jésus : Il est le Christ préexistant, le Christ sur qui l’Esprit demeure et qui baptise dans l’Esprit, le Fils de Dieu.

La liturgie de ce deuxième dimanche du Temps ordinaire contient, dans la première lecture, un extrait du deuxième chant du Serviteur d’Isaïe qui met en lumière sa mission universelle du Serviteur: C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob et ramener les rescapés d’Israël : je vais faire de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre (Is 49,6). Dans la seconde lecture (1 Co 1,1-3), Paul reconnaît l’action du Christ chez les Corinthiens : Sanctifiés dans le Christ Jésus, ils sont , par appel de Dieu le peuple saint avec tous ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de Notre Seigneur Jésus Christ, leur Seigneur et le nôtre.

Il en est qui reprennent sans cesse le Prologue…nous sommes des millions à reprendre sans cesse : Voici l’Agneau de Dieu… 

Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Lorraine Caza est bibliste et professeure honoraire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa).

Source : Le Feuillet biblique, no 2647. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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