(Lina Trochez / Unsplash)

La charité

Benoît LambertBenoît Lambert | 7e dimanche du Temps ordinaire (A) – 23 février 2020

La vengeance et l’amour des ennemis : Matthieu 5, 38-48
Les lectures : Lévitique 19 1-2. 17-19 ; Psaume 102 (103) ; 1 Corinthiens 3, 16-23
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Les exigences de Jésus ont dû paraître farfelues aux disciples qui l’accompagnaient : donner une mesure qui dépasse l’équilibre fixé par la raison humaine, aimer ses ennemis, donner constamment à ceux et celles qui le demandent. Mais le Seigneur sait qu’il est possible pour les êtres humains qui deviennent des enfants de Dieu d’atteindre ces objectifs.

La communauté d’Israël

Les propos du Livre des Lévites sont surprenants. L’amour fraternel qui va au-delà de l’équilibre prescrit par la loi du talion était présent dans la Loi. La nation sainte, selon Jésus, n’aurait pas atteint cet objectif d’aimer son prochain en toutes circonstances : Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, dent pour dent.

Il faut cependant préciser que le talion était un progrès remarquable dans la mentalité des peuples anciens. Auparavant, un roi pouvait se venger d’une offense en massacrant et en pillant des villes ennemies. La loi était arbitraire, au bon plaisir des puissants. La loi du talion est apparue pour diminuer ces abus. Elle est le fruit de la sagesse humaine qui tente de combattre le côté obscur des hommes et des femmes.

Yhwh invite les siens à dépasser l’équilibre entre l’offense et la punition. L’amour fraternel serait désormais la règle fondamentale du peuple de l’Alliance. Le pardon des fautes deviendrait le mécanisme usuel pour régler les conflits. Une personne aurait même l’obligation de réprimander un individu qui ne voudrait pas pardonner. Ce régime se limiterait cependant à « l’assemblée des fils d’Israël ». L’amour fraternel serait aussi le signe de l’appartenance d’une personne au peuple élu.

Jésus étonne quand, après avoir rappelé le commandement de l’amour du prochain, il affirme aussi que l’Ancien Testament comprend la prescription de haïr les ennemis. Pourtant, aucune formulation explicite de cette directive ne se retrouve dans le texte de la Loi et des Prophètes. Jésus a évoqué l’esprit de la Loi où la personne, le groupe qui lutte contre la nation sainte est un ennemi (Lv 26,25-41 ; Nb 10,35). Quant à la haine, le mot ne désignerait pas un sentiment. Il exprimerait le fait de s’opposer parfois avec grande fermeté aux adversaires de la nation sainte (Nb 1,2).

L’amour du Père

Dans son enseignement, Jésus dépasse la doctrine des Lévites. En utilisant une image du prophète Jérémie, la pluie qui tombe sur toutes les créatures de Yhwh (Jr 14,22), Jésus affirme que l’amour fraternel s’étend à tous les groupes ; la communauté d’Israël n’en a pas l’exclusivité. Mais cette conception de l’amour fraternel semble exagérée. Le Seigneur demande de considérer la personne qui a commis une faute comme un frère et non comme un adversaire. Jésus va devenir l’exemple parfait de cette conception.

Durant la Passion, il a été frappé au visage. Il a été dépouillé de sa tunique. Il a subi un procès en allant d’un tribunal à l’autre. Il aurait pu réagir avec violence aux affronts qu’il a subis. Mais il a choisi la voie de l’amour. Il replacera l’oreille du serviteur coupée par ses partisans. Sur la croix, il aura encore le souci de l’autre en accueillant le bon larron et en pardonnant à ses tortionnaires. L’exemple du crucifié semble inaccessible pour les auditeurs de cette Parole.

Pardonner au meurtrier de son enfant, ne pas en vouloir au tyran qui a massacré sa famille, constitue même un scandale pour certaines personnes. Elles oublient que les enfants de Dieu disposent de l’Esprit du Christ pour aimer parfaitement comme le Père aime. Cet Esprit permet de surpasser le niveau purement humain énoncé dans la loi du talion. Et cette perfection s’exprime par le fait qu’ils peuvent propager l’affection divine avec désintéressement, gratuitement comme le Créateur qui fait luire le soleil sur le monde sans rien réclamer en retour. Les chrétiens et les chrétiennes sont aussi capables d’aimer tous les gens comme le Père qui chérit l’ensemble de ses fils et de ses filles.

Jésus promet une récompense aux gens qui s’engagent à sa suite. Son Esprit constitue cette compensation. L’être humain, rempli de la grâce, a enfin trouvé la réponse à sa recherche d’amour inconditionnel. En communion avec Dieu par l’Esprit, le disciple du Christ se sent aimé totalement avec ses défauts et ses qualités.

Accepter tout ?

D’abord, il faut être clair. Jésus refuse la violence : elle n’est pas le moyen le plus efficace de combattre le mal. La violence engendre la violence. Le terrorisme de notre époque est un bon exemple de cette conviction du Sauveur. Seul l’amour issu de l’Esprit, la charité, peut arrêter l’avancée du mal. Jésus l’affirme dans la Bonne Nouvelle de la célébration de ce dimanche.

Mais charité ne signifie pas passivité. Le Maître ne suggère pas d’accepter charitablement la violence commise sur soi ou sur les autres. Il prône plutôt de la dénoncer et, si possible, de faire prendre conscience aux personnes qu’elles commettent le mal. À la garde qui lui donne un soufflet, il réclame vérité et justice (Jn 18,22-23). Il reste digne quand les soldats lui enlèvent sa tunique (Jn 19,1-3). Il n’hésite pas à répondre à ses accusateurs. Jésus ne désire pas que ses disciples restent inactifs devant le mal. Il souhaiterait qu’ils agissent contre le péché partout et constamment tout en se souciant du bien-être des pécheurs.

Le Temple de l’Esprit

Dans la deuxième lecture, Paul transmet la raison de ce souci de l’être humain. L’Esprit demeure dans la conscience des individus. Chaque corps humain devient donc comme un temple sacré. Toute forme de violence commise à l’encontre d’une personne met en pièces ce temple matériel et spirituel. Cette considération constitue la prémisse de toute la morale concernant la vie dans le christianisme. Un être humain ne doit pas être torturé, parce qu’on porte atteinte à son corps. L’État ne doit pas utiliser la peine de mort, parce qu’elle détruit le lieu où se situe une étincelle divine. Plusieurs pourront argumenter que l’Église a eu un certain mépris de l’enveloppe charnelle à certains moments de son histoire. La mortification physique a été considérée comme un moyen de parvenir à une plus grande sainteté. Cette époque est révolue. L’Église ne tolère plus les exagérations dans l’ascèse qu’une personne peut faire subir à son corps. L’être humain doit aimer son corps et en prendre soin. Paul ne fait que répéter ce que Jésus a proclamé durant toute sa vie. Un nouveau régime spirituel est né et l’Esprit en est le nouveau principe. Et cet Esprit agit dans le corps et la conscience de chaque baptisé.

Détenteur d’une maîtrise ès arts (théologie) de l’Université Laval, Benoît Lambert a rédigé des articles et des brochures pour plusieurs revues religieuses (Vie liturgique, Revue Notre-Dame-du-Cap). Il collabore au Feuillet biblique depuis 1995.

Source : Le Feuillet biblique, no 2652. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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