Le serviteur impitoyable. Domenico Fetti, circa 1620. Huile sur toile, 61 x 44,5 cm. Semper Gallery, Dresden (Wikimedia).
Une question de pardon
Benoît Lambert | 24e dimanche du temps ordinaire (A) – 13 septembre 2020
Le débiteur impitoyable : Matthieu 18, 21-35
Les lectures : Sirac 27, 30 – 28, 7 ; Psaume 102 (103) ; Romains 14, 7-9
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Dans l’Ancien Testament, l’image de YWHW est celle d’un Dieu qui pardonne jusqu’à un certain degré (Exode 34,7 ; Amos 2,4 ; Job 33,29). Les érudits religieux d’Israël, à l’époque, se basaient sur ces extraits pour déterminer le nombre de fois (2-3 pardons) qu’une personne devait se réconcilier avec l’individu qui l’avait offensé. Mais Jésus va chambouler cette doctrine quand il reprend Pierre qui se croyait généreux en pardonnant sept fois. Dans la première lecture, Ben Sirac le Sage se détache de la pensée habituelle concernant le pardon dans l’Ancien Testament. Il n’indique pas de quantité, mais il reprend le lien que Jésus va faire dans l’Évangile. Dieu gardera rancune à toute personne qui ne rétablit pas l’harmonie avec un individu qui l’aurait lésé (Sirac 28,7). Jésus va dégager avec éloquence dans la parabole du débiteur impitoyable la conséquence de ce refus.
Une royauté
Dans la parabole, Jésus désigne un roi qui est le chef de la société fictive qu’il met en scène. Jésus utilise souvent l’image royale. Ici, comme dans plusieurs nations antiques, elle représente l’autorité ultime. Dans ces communautés, le jugement d’un roi était sans appel. En sélectionnant ce symbole dont ses auditeurs comprenaient le sens, le Seigneur accentue la gravité de la punition de celui qui ne pardonne pas. Il n’aura pas de recours après le tribunal de Dieu. La sanction divine est irrémédiable.
Jésus décrit dans cette parabole une communauté qui n’a pas de hiérarchie sociale. Rien, à part le montant de la dette, ne distingue le serviteur son compagnon. Et le Maître désigne un des acteurs de l’épisode comme un serviteur du roi. Plusieurs interprètent ces détails comme une esquisse de l’Église. Il y a un roi : le Christ. Les croyants et les croyantes sont ses serviteurs. Comme Jésus le répétera tout au long de son ministère, aimer Dieu et son prochain constituent la tâche des serviteurs et des servantes du Christ. Il n’y aurait pas de ségrégation dans l’Église car les chrétiens et les chrétiennes n’auraient qu’un seul Père, une seule foi et un seul baptême qui leur confère la qualité d’enfants de Dieu. Tous ont la responsabilité de répandre l’Esprit qui permet d’aimer comme la Trinité aime. Jésus évoquerait dans cette parabole l’Église idéale. Les chrétiens et les chrétiennes tentent toujours d’atteindre cette perfection. Cette image d’une Église non-hiérarchique, une église de frères et de sœurs, a été retenue par le concile Vatican II. L’Église serait comme un arbre dont le Christ est le tronc et les branches qui émergent de cette origine commune représentent les baptisés qui évangélisent le monde selon leur charisme. Et l’Esprit Saint serait la sève qui fait vivre cet arbre.
La deuxième lecture appuie la pensée du Seigneur. Les amis de Jésus doivent lui obéir parce que c’est lui qui les a sauvés et, en leur donnant son Esprit, il les rend capables d’accomplir l’évangélisation du monde. Cependant, Jésus ne veut pas dominer dans l’exercice de son pouvoir. Il veut plutôt coopérer et considère ses subordonnés comme des collaborateurs.
Un autre monde
Ce récit comporte plusieurs symboles qui sont démesurés. Le chiffre sept représente dans la Bible la notion de totalité dans l’univers terrestre. Dieu a créé l’univers matériel en sept jours (Genèse 2,2). En multipliant le chiffre 7 par soixante-dix sept fois, le Seigneur décrit une totalité qui éclate. Elle ne peut pas faire partie de notre univers. Elle relève du Royaume. La mesure n’est donc plus de mise lorsqu’il est question du pardon. L’Esprit, qui origine du Royaume éternel, est la source du pardon chrétien. Et notre raison, emprisonnée dans un monde limité par le temps et l’espace, ne peut pas comprendre qu’il faut pardonner sans cesse, car c’est le seul moyen de faire circuler dans notre monde ce souffle spirituel qui provient de l’Infini. En mentionnant une quantité incommensurable, Jésus tente de faire comprendre cette notion abstraite à ses auditeurs. Il faut ajouter que Jésus n’a jamais défendu aux tribunaux humains de sanctionner les criminels et d’arbitrer les conflits mineurs ou majeurs. Mais Jésus recommande aux individus qui souhaitent retrouver la paix du cœur de laisser l’Esprit agir en eux et de se réconcilier avec la personne qui les a blessés. Par exemple, l’évêque anglican, Desmond Tutu, a invité l’Afrique du Sud à une réconciliation nationale. Bourreaux et victimes se sont pardonnés mutuellement face à face. L’Esprit a permis à cette nation de retrouver la paix nécessaire pour continuer un futur vivre ensemble.
De plus, toutes les dettes de notre monde ne peuvent équivaloir ce que l’humanité doit à Dieu. Jésus illustre ce fait en établissant une disproportion entre les deux montants dus. Le serviteur devait 10 000 talents au roi et le compagnon devait au serviteur cent deniers. Un talent valait 6000 deniers. Le compagnon devait donc au serviteur 1/60 000 000e de la somme due au roi. Grâce au Christ, le Fils, les êtres humains ont de nouveau accès au Royaume. En mourant sur la Croix et en ressuscitant, la nature humaine du Christ a complètement fait la volonté du Créateur. Le péché, la dette incommensurable de l’humanité, a disparu. À travers l’humanité du Sauveur, tous les hommes et toutes les femmes, même les pires criminels, peuvent accéder au paradis. Mais ils doivent d’abord reconnaître que le Christ les a sauvés. Et une conversion peut arriver n’importe quand. Un ministre du Seigneur sera présent pour proposer le salut aux condamnés à mort et cela jusqu’au moment de leur exécution.
Une conséquence
Plusieurs religions considèrent que toutes les actions posées durant l’existence terrestre ont une conséquence dans la vie après la mort. Jésus partage cette position. Quand le roi condamne le serviteur qui a exigé la dette de son compagnon, Jésus indique que le sort des rancuniers sera négatif après leur mort. La haine, le désir de vengeance, la rancune empêchent l’Esprit de circuler dans le cœur des gens. Toute personne qui fera obstacle à la transmission de ce courant spirituel se condamne elle-même. Elle se met au ban du Royaume. Ne recevant pas l’Esprit, elle ne connaîtra pas la sérénité qui envahit le cœur des gens qui ont trouvé la réponse à leur quête incessante de vérité. En proclamant cette parabole, Jésus lance un avertissement. Il prévient ses amis, car il ne souhaite pas leur malheur. Il veut qu’ils soient sauvés et qu’ils aient accès à la paix éternelle.
Détenteur d’une maîtrise ès arts (théologie) de l’Université Laval, Benoît Lambert a rédigé des articles et des brochures pour plusieurs revues religieuses (Vie liturgique, Revue Notre-Dame-du-Cap). Il collabore au Feuillet biblique depuis 1995.
Source : Le Feuillet biblique, no 2672. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.