La résurrection (détails). El Greco, c. 1597-1600. Huile sur toile, 275 x 127 cm. Musée du Prado, Madrid (Wikipedia).
Pâques, béance ouverte sur la vie!
Alain Faucher | Dimanche de Pâques (A) – 12 avril 2020
Le tombeau vide : Jean 20, 1-9
Les lectures de la messe du jour : Actes 10, 34a.37-43 ; Psaume 117 (118) ; Colossiens 3, 1-4 ; 1 Corinthiens 5, 6b-8
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Que nous propose le menu biblique de ce jour, le dimanche des dimanches? Le menu est éclectique : un discours de théologien prononcé par un spécialiste des pêches nocturnes, des consignes pratico-pratiques pour vivre notre dignité nouvelle, le récit d’une rencontre avec l’absence… Multiples sont les portes d’entrée vers le cœur de notre foi, cette conviction que la mort n’a pas eu le dernier mot sur Jésus.
Nous allons explorer les lectures de la messe du jour pour mettre en évidence quelques ingrédients particulièrement fascinants de ce menu biblique. Et nous élargirons notre exploration de l’Évangile selon Jean en évoquant les passages enfilés à la suite de l’évangile de cette messe du jour. Cela nous permettra d’enrichir de biblique façon notre patrimoine de personnes célébrant en communion la joie du grand matin de la résurrection…
Actes des Apôtres 10, 34a.37‑43
La messe du jour de Pâques propose, comme première plongée dans les mots de la Bible, un extrait d’un discours du chef des Apôtres. Ces mots sont prononcés dans un espace bien différent de sa Galilée natale. Pierre parle dans la ville romaine portuaire de Césarée. Il proclame le message de résurrection à un officier de l’armée romaine. Pierre lui présente Jésus comme un être consacré par l’Esprit saint et un guérisseur par la puissance de Dieu. La force du propos de Pierre tient au fait qu’il se présente en témoin des faits et gestes de Jésus. Et surtout de la transformation vécue par un Jésus pourtant mort sur le bois du supplice le plus dégradant imaginé par les forces d’occupation romaine…
Pierre évoque le compagnonnage de ce Jésus qui a retrouvé ses fonctions vitales : il mange et boit, il envoie des témoins pour annoncer sa nomination percutante. En effet, Jésus est désormais Juge des vivants et des morts. La foi en lui rend possible le pardon des péchés. Quel relèvement! Quelle transformation! Quelle mutation de la honte en honneur absolu!
Le psaume 117 fait écho à ce passage du rejet à la notoriété. Jésus ressuscité devient la pierre fondamentale, la base de l’œuvre du Seigneur Dieu en faveur de l’humanité.
Colossiens 3, 1‑4
Le Lectionnaire offre une alternative : deux brèves lectures invitent à s’élever vers « les réalités d’en haut » ou à célébrer la Pâque avec le ferment de la nouveauté absolue.
Jetons d’abord un coup d’œil aux propos destinés aux Colossiens. Les fidèles sont « ailleurs » : ils et elles sont ressuscités avec le Christ. Et lui, où est-il? Il est en haut, assis à la droite de Dieu. Soit. Voilà qui n’est pas de nature à déclencher des feux d’artifice chez nos contemporains. Notre manière de nous représenter l’univers ne réserve plus une partie de l’espace pour la demeure de la divinité.
Mais de tels propos créaient jadis de joyeux remous chez les auditeurs et les auditrices. Le haut, la droite de Dieu : ces réalités étaient des positions fort honorables, un sommet impossible à atteindre par les seules forces humaines. Il fallait que Dieu permette le passage vers ces réalités, et c’est précisément ce qui s’est passé avec le mystère de mort et de vie vécu par Jésus. Au passé, les fidèles sont morts avec le Christ. Au présent, leur vie est cachée en Dieu avec le Christ. Au futur, quand le Christ paraîtra, bien vivant, les fidèles paraîtront avec lui, en pleine gloire.
Cette prédiction concernant la gloire est la clé pour saisir l’immensité du don de Dieu rendu accessible en Jésus. Pour les anciens, il s’agissait du bien suprême. Et la Bonne Nouvelle de l’événement pascal, c’est que la transformation est non seulement possible, mais déjà réussie. L’avenir sera à la hauteur du présent, en position honorable comme celle du Christ, assis en autorité à la droite de Dieu.
Lecture alternative : 1 Corinthiens 5, 6b-8
Nous sommes assez peu sensibles aux consignes culinaires de la Pâque juive. La symbolique alimentaire de cette fête nous est généralement étrangère. La fête juive est précédée d’un grand ménage de la cuisine : on fait la chasse au vieux levain. Pourquoi s’assurer de façon aussi minutieuse de la disparition de cet ingrédient? Pour se donner le pouvoir de cuisiner le pain azyme, le pain sans levain, le « pain de la précipitation » requis par le Seder pascal.
Chez nous, levain, ferments, tout cela concerne quelques chefs renommés, et plus rarement nos cuisines où nous expédions nos repas souvent trop vite avalés. Il n’en allait pas de même dans les temps anciens. Manipuler levain et ferments était vécu comme une prise de contrôle humain des processus de transformation. Comme on réservait à Dieu le pouvoir de créer du neuf, à l’occasion de la Pâque, il fallait s’assurer qu’aucun produit de fermentation ne vienne entraver l’action divine.
Désormais, en fêtant la résurrection, les chrétiens et les chrétiennes sont des êtres transformés, renouvelés, à la manière de la pâte nouvelle du pain, non encore fermenté, de la Pâque définitive. Par la présence du Christ, nous bénéficions des mérites infinis d’un agneau pascal puissamment bonifié par la grâce de Dieu.
Jean 20, 1‑9
De l’ordre dans le désordre, de la vie au-delà du chaos. On peut résumer ainsi l’étrange récit du Quatrième évangile quant aux événements du premier matin post-résurrection. Il n’y a plus de tombeau hermétiquement clos. Il n’y a plus de cadavre. Il y a simplement des linges posés à plat, et le suaire plié à sa place. Autrement dit, ce qui devait servir à honorer le cadavre est retourné à un simple statut de prévision, d’éventualité, de possibilité. La mort n’est plus le dernier mot de l’aventure partagée avec Jésus.
Ce récit du matin de Pâques met davantage en lumière l’absence que la présence du Ressuscité. D’autres épisodes du Quatrième évangile, dans les chapitres 20 et 21, peuvent étoffer grandement nos propos sur la résurrection. Nous ne sommes pas témoins de l’événement. Mais nous assistons aux effets, aux conséquences de la résurrection. De plus, les chapitres 20 et 21 se limitent à six épisodes. Et ils sont relativement brefs, si on les compare aux longs discours des chapitres antérieurs. Pourtant, ces épisodes rapides permettent de redonner l’initiative à Jésus.
Marie de Magdala vient de bonne heure au tombeau avec Simon-Pierre et «l’autre disciple». Ils trouvent un tombeau vide. Les disciples partis, Marie rencontre le Ressuscité sans le reconnaître. Celui-ci se présente aux disciples malgré les portes closes de leur lieu de réunion. Une première rencontre a lieu en l’absence de Thomas, puis, une semaine plus tard, en sa présence. Jésus en profite pour transmettre l’Esprit aux disciples rassemblés. Le narrateur intervient alors avec une brève réflexion sur les signes qui alimentent la foi et sur la vie obtenue au nom de Jésus. Après cela, Jésus se manifeste de nouveau aux disciples. Sur le bord de la mer de Tibériade, il se fait reconnaître par des gestes d’hospitalité et une pêche surabondante. Le récit se concentre alors sur la foi de Simon-Pierre et sur le témoignage du disciple chargé d’attendre le retour du Seigneur. L’évangile se clôt sur un aveu impressionnant : Jésus a fait beaucoup d’autres choses, mais le récit de tous ces faits et gestes exigerait un volume de littérature que le monde ne peut contenir.
Ces deux chapitres nous présentent un Jésus bien en vie. Il bouge, il parle, il mange. Il transmet l’Esprit. Il parle d’avenir. Il fait même la cuisine! Rien à voir avec un cadavre ou un agonisant. Mais ces chapitres 20 et 21 sont-ils le seul environnement textuel de l’Évangile selon Jean propice aux évocations de la résurrection? Y a-t-il des traces ailleurs dans cet évangile, des allusions qui anticipent la surprise du « grand matin »?
Par acquis de conscience, j’ai relu l’évangile au complet. Et ce que je constate alimente ma fascination pour cet évangile si différent des autres. Du début à la fin, le récit johannique véhicule une foule d’allusions à la résurrection. Tantôt ce sont des annonces assez claires; ailleurs, c’est un choix stratégique de vocabulaire ou un commentaire qui élargit la portée d’un événement ou d’une conversation. En fait, c’est tout l’évangile qui semble illuminé par la joyeuse affirmation pascale. Elle s’infiltre ici et là dans des propos nombreux sur l’Esprit, sur la vie, sur l’avenir. Le Quatrième évangile est traversé du début à la fin par ces fils conducteurs qui évoquent puissamment la résurrection.
L’Évangile de la veillée pascale
Si on choisit en cette Année A de proclamer l’évangile prévu pour la veillée pascale, Matthieu 28,1-10, on pourra consulter le Feuillet biblique 2136 du 23 mars 2008 : Don de Dieu, tombeaux ouverts!
Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.
Source : Le Feuillet biblique, no 2659. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.