Le bon pasteur. Fresque de la crypte de Lucine (200-300 ÈC), catacombe de Domitilla, Rome (Wikipedia).

Confiance en la vie

Patrice PerreaultPatrice Perreault | 4e dimanche de Pâques (A) – 3 mai 2020

La parabole du pasteur : Jean 10, 1-10
Les lectures : Actes 2, 14a.36-41 ; Psaume 22 (23) ; 1 Pierre 2, 20b-25
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Nous entendons si souvent les textes de résurrection qu’ils n’étonnent plus aucunement. Comme le mentionnait un personnage du film Jésus de Montréal, je paraphrase quelque peu : « Tout le monde connaît l’histoire, Jésus meurt sur la croix et il ressuscite au troisième jour. » Dans une culture chrétienne, cela ne relève-t-il pas de l’évidence? Or, les textes de ce dimanche recèlent un potentiel subversif considérable : ils renversent d’une certaine façon la pyramide du pouvoir.

Les perdant.e.s au cœur du salut

C’est bien connu, les grands récits historiques sont racontés par les vainqueurs et par les grands personnages de l’histoire. Les gens « ordinaires » font fréquemment office de simples figurant.e.s ou de faire-valoir des « héros ». Les textes bibliques ébranlent les lectures usuelles en privilégiant le point de vue des oublié.e.s, des « anonymes » qui apparaissent absents de l’histoire.

Dès la première lecture, cette perspective est soulignée. Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié (Actes 2,36) L’habitude d’entendre et de lire ces textes émoussent le potentiel scandaleux voire radical de cette annonce. La personne exécutée est considérée comme une malédiction divine (Deutéronome 21,22-23). En d’autres termes, une personne crucifiée est rejetée tout autant par la communauté que par la divinité. Cette prédilection divine pour les personnes ostracisées traverse toute la Bible. Dieu y manifeste une solidarité envers les gens plus vulnérables sur le plan social ou relationnel.

Dès la Genèse, Dieu préfère Abel à Caïn (Gn 4,3-5). Rappelons que dans les sociétés traditionnelles, l’aîné détient davantage de droits que le benjamin (Gn 25,29-34 ; Dt 21,15-17). Cette préférence s’observe également pour David (1 Samuel 16,10-13), le plus jeune des fils de Jessé. De plus, la divinité se penche également sur des personnes perçues comme quantité négligeable : les femmes. Songeons simplement à Marie et au Magnificat (Luc 2,47-55). La constance d’examiner l’histoire du point de vue des « anonymes » dévoile des aspects de la dynamique humaine qui passent le plus souvent sous le boisseau : l’histoire est réellement portée par toutes celles et ceux auxquel.les on ne prête guère attention.

La radicalité du message évangélique est mise en valeur au moment où ce passage annonce que Jésus, perçu comme exclu et rejeté, est devenu le Seigneur (en grec Kyrios) de l’histoire et de façon coextensive le messie tant souhaité. L’expression « seigneur » signifie foncièrement que le pouvoir divin est remis à l’homme de Nazareth (1 Corinthiens 15,25-28). Autrement dit, le perdant de l’histoire en est devenu son maître. La puissance divine appartient désormais, jusqu’à la fin des temps, à un crucifié, à une personne rangée parmi les classes inférieures, parmi les gens que les notables dédaignent parfois.

Une confiance qui invite à la conversion

Cette bonne nouvelle invite à la conversion, à se détacher de : cette génération tortueuse et vous serez sauvés (Ac 2,40). Cette allusion se réfère sans doute à une génération s’étant éloignée de Dieu (Dt 32,5). Dans le contexte, il importe de préciser qu’il ne s’agit pas d’un jugement sur une génération proprement dite, mais bel et bien de réprouver des attitudes de fermeture et de dogmatisme face aux multiples règles et devoirs devenant oppressants pour les gens ordinaires. Le discours de Pierre s’oppose à certains courants du mouvement des pharisiens [1]. C’est pourquoi, Pierre invite au changement, à la transformation radicale, en embrassant la foi au Christ Seigneur. Le baptême associe étroitement au destin de Jésus. Ainsi la vie-mort-résurrection de Jésus est, d’une certaine manière, communiquée aux baptisé.e.s. Ils reçoivent ainsi les arrhes du salut selon une optique biblique.

La référence au prophète Joël (Ac 2,38-40) rappelle que la promesse du « Jour du Seigneur » s’est accomplie en la personne de Jésus de Nazareth. Dans le récit des Actes, il s’agit moins d’un jour de jugement que d’une renaissance, que d’une création nouvelle débutant avec la Pentecôte. La nouvelle création émerge peu à peu dans l’histoire (Romains 8,22). C’est pourquoi, l’espérance et la confiance en la vie sont de mises puisque le Christ oriente l’histoire vers la vie dans toute sa plénitude.

Le Seigneur se caractérise comme le bon pasteur

La seigneurie du Christ ne se confond nullement avec celle exercée par César qui portait également le titre de seigneur. Le Christ n’oriente pas l’histoire selon les dérives potentielles des sociétés qui trop souvent hélas se concrétisent : la loi du plus fort, mais par l’attention et la tendresse ainsi que par la fidélité. Sans doute, est-ce là que réside l’expression employée par l’auteur de la lettre de Pierre : « le souverain berger » (1 Pierre 5,4).

La figure du berger, dans le Proche-Orient ancien, est fréquemment associée à celle du roi (Ezéchiel 37,24). La métaphore cherche à mettre en relief les comportements et les attitudes correspondant à la manière adéquate de gouverner. Cette image traverse l’ensemble de la Bible : le bon berger prend soin des brebis les plus vulnérables (Ps 22 ; Éz 34,16 ; Jérémie 23,3-6). Le passage retenu par la liturgie de ce dimanche établit un parallèle étroit entre le serviteur souffrant d’Isaïe (Is 53,4-12) et le berger donc implicitement le roi. Il s’avère plausible que les versets 23-24 représentent un écho d’un hymne chrétien primitif exprimant une interprétation de la mort de Jésus.

Cette correspondance avec le serviteur souffrant n’est pas anodine. En effet, plusieurs membres des premières communautés s’interrogeaient sur la dimension seigneuriale du Ressuscité. Si le Christ est maître de l’histoire, comment expliquer les diverses persécutions dont sont l’objet les chrétiens? Un « bon berger » ne devrait-t-il pas assurer la sécurité et la prospérité de ses brebis? L’extrait de la lettre de Pierre cherche à rasséréner les communautés. Si le maître de l’histoire a subi l’opprobre sans regimber, c’est essentiellement pour indiquer la voie du salut : Car c’est pour vous que le Christ, lui aussi a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces (2,21). Ce passage biblique se rapproche de la conception paulinienne : Puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers : héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ, si du moins nous souffrons avec lui pour être avec lui dans la gloire. J’estime, en effet, qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire qui va être révélée pour nous (Rm 8,17-18). En d’autres termes, les disciples partagent le sort du berger. Il oriente ainsi la vie chrétienne dans un contexte parfois hostile où le doute sur la seigneurie du Christ surgit au cœur des difficultés. D’un certain point de vue, les souffrances éprouvées par les communautés constituent paradoxalement un réconfort puisque l’adversité subie s’inscrit dans le plan divin.

La voie du salut

Or, le modèle du bon berger prend toute sa signification avec ce passage évangélique. À la différence des mercenaires qui ne songent qu’à leur profit personnel au détriment du bien commun. D’ailleurs, l’évangile de Jean insiste sur l’incarnation de Jésus comme voie de salut en opposition aux personnes prétendant obtenir une forme de libération par leurs propres moyens. Pour Jean, le salut s’enracine dans la prise de position en faveur de Jésus. Certains pharisiens comme d’autres courants gnostiques estiment que la Loi (Torah) ou la connaissance (gnôsis [2]) garantissent la rédemption. La métaphore de la porte cherche simplement à mettre en exergue que la voie du Christ représente un chemin de vie en plénitude.

Une confiance en la vie

Les textes de ce dimanche mettent l’accent sur Jésus comme le bon berger qui indique la route. La Seigneurie du Christ, comme bon berger, devient la clé de lecture. Cela invite à une véritable foi se traduisant avant tout par une attitude d’ouverture, d’accueil et de confiance en la vie. Dans cette perspective, Jésus de Nazareth se situe au centre de l’histoire : Je suis l’alpha et l’oméga (Apocalypse 22,13) beaucoup moins dans une optique strictement temporelle (la fin des temps) que dans la finalité conférée au déroulement des événements. Autrement dit, le regard classique d’un aboutissement ultime est appelé à céder à une conception plus christologique où le Christ apporte un sens à l’histoire humaine plutôt qu’à sa linéarité. L’image de la « fin des temps » accolée à l’apocalypse représente une métaphore pour les communautés chrétiennes : le but de chacune et de chacun revient à s’enraciner au cœur de la vie du Ressuscité en incarnant pour aujourd’hui l’humanisme évangélique.

Diplômé en études bibliques (Université de Montréal), Patrice Perreault a travaillé pendant longtemps en milieu paroissial. Il est maintenant impliqué dans divers groupes communautaires à Granby.

[1] Les pharisiens sont dépeints de manière péjorative dans les évangiles. Dans les textes, il convient de souligner que ce qui est dénoncé concerne davantage les attitudes religieuses dogmatiques privilégiant les règles à la vie. À l’époque de Jésus, les classes socioéconomiques au bas de l’échelle sociale subissaient des formes d’oppressions croisées qui les écrasaient littéralement. Or, la comparaison entre le mouvement initié par Jésus et celui des pharisiens révèle davantage de proximité philosophique quant aux croyances. Cela explique sans doute que plusieurs membres des premières communautés chrétiennes étaient issus du mouvement des pharisiens. Ce mouvement cherchait avant tout à favoriser l’intégration des principes du judaïsme à la vie quotidienne. Le durcissement observé dans les évangiles résulte d’un conflit ouvert entre les deux grands mouvements survivants à la guerre de 66-70 : les pharisiens et le mouvement-Jésus. La séparation des deux mouvements s’est effectuée à Jamnia. Ce différend se retrouve implicitement dans les controverses évangéliques entre Jésus et les pharisiens. Dans cette perspective, les dérives dogmatiques constituent un piège pouvant guetter tout mouvement, religieux ou non.

[2] La gnose se popularise dans le bassin méditerranéen pendant le second siècle de l’ère commune. De façon succincte, la gnose s’apparente à un mouvement où une forme de « connaissance », le plus souvent « cachée », c’est-dire réservée aux initié.e.s. Ceux-ci parviennent alors à s’affranchir du monde sensible pour atteindre celui du monde spirituel. Pour de plus amples informations, voir J.P. Meier, A Marginal Jew. Rethinking The Historical Jesus, Vol. 1 : The Roots of The Problem And the Person, New York, Doubleday (The Anchor Bible Library), 1991, pp. 125-130.

Source : Le Feuillet biblique, no 2662. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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