La Pentecôte. Enluminure du Livre d’heure de Béatrice de Rieux, circa 1390. Bibliothèque de Rennes - Les Champs libres.
Où en est notre soif de l’Esprit Saint ?
Marie de Lovinfosse | dimanche de la Pentecôte (A) – 31 mai 2020
Jésus apparaît à ses disciples : Jean 20, 19-23
Les lectures : Actes des apôtres 2, 1-11 ; Psaume 103 (104) ; 1 Corinthiens 12, 3b-7.12-13
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Dès le premier chapitre de l’évangile selon Jean, le lecteur et la lectrice sont exposés à une intrigue en relation au don de l’Esprit Saint par Jésus. En effet, au moment du baptême de ce dernier, Jean déclare : J’ai vu l’Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui. Et moi je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, celui-là m’a dit : « Celui sur lequel tu verras l’Esprit descendre et demeurer sur lui, celui-ci est celui qui baptise dans l’Esprit Saint. » (Jean 1,32-33) L’Esprit qui vient sur Jésus, à la manière d’une colombe, représente pour Jean un signe. Il lui donne de connaître celui qu’il ne connaissait pas et d’annoncer celui qui baptisera, cette fois, dans l’Esprit Saint. Quand aura lieu ce baptême octroyé par Jésus dans l’Esprit Saint et en quoi ce don peut-il changer une vie?
L’évangile selon Jean est jalonné d’annonces successives à propos de l’Esprit Saint, qui dévoilent progressivement ses effets et le moment auquel il sera reçu. Regardons de plus près ces indices pour d’autant mieux comprendre l’évangile de ce dimanche de Pentecôte.
L’Esprit fera naître d’en haut
pour voir ici le règne de Dieu et y entrer
Une nuit, quand Nicodème vient auprès de Jésus, il reconnaît ce dernier comme un maître qui vient de Dieu, car personne ne peut faire ces signes […] si Dieu n’est pas avec lui (Jn 3,2). Jésus lui répond et lui révèle que ces signes manifestent une réalité plus profonde et plus large, le règne de Dieu. Celui-ci ne peut se voir que dans la mesure où nous naissons à nouveau, d’en haut, c’est-à-dire de l’Esprit Saint. Et l’Esprit Saint nous pousse à de continuels déplacements qui échappent à toute emprise : Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va ; ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit Saint (Jn 3,8). L’Esprit suscite des nouveaux commencements inédits, toujours en avant de nous.
L’Esprit donnera d’adorer le Père en vérité,
au delà des divisions et des marginalisations
En plein midi, quand Jésus demande à une Samaritaine de lui donner à boire, l’étonnement sans fermeture de cette femme amène Jésus à un autre niveau : Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit « donne-moi à boire », tu lui aurais demandé et il t’aurait donné de l’eau vive (Jn 4,10). Quelle est cette eau vive de Jésus, qui étanchera toute soif et qui deviendra en la personne qui la boit une source jaillissant en vie éternelle (Jn 4,14)? La question demeure ouverte, même au terme du long dialogue entre Jésus et la Samaritaine. Par delà les divisions entre Juifs et Samaritains, Jésus annonce à sa compagne du puits : L’heure vient et c’est maintenant, où les vrais adorateurs adoreront le Père en Esprit et en vérité (Jn 4,23). Au fil de cette conversation, la Samaritaine apprend à connaître Jésus toujours plus profondément, d’abord comme seigneur – au sens faible du terme – (Jn 4,11.15.19), puis comme prophète (Jn 4,25) et, finalement, comme Christ (Jn 4,24-25). Comme Marie de Magdala au matin de la résurrection, la Samaritaine part auprès des gens de la ville pour les inviter d’une part, à voir celui qui lui a dit tout ce qu’elle a fait et, d’autre part, à s’interroger pour reconnaître en lui le Christ (Jn 4,29).
Comme la source jaillie du sein de Jésus,
l’Esprit répondra à notre soif
Lors de la fête des Tentes à Jérusalem, Jésus revient sur un sujet abordé avec la Samaritaine : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi, comme l’a dit l’Écriture : « De son sein couleront des fleuves d’eau vive. » (Jn 7,37-38) Le narrateur explique cette parole : Il disait ceci à propos de l’Esprit qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui. En effet, il n’y avait pas encore d’Esprit parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié (Jn 7,39) Le lecteur et la lectrice savent désormais que l’Esprit sera donné lors de la glorification de Jésus. Dans l’évangile selon Jean, celle-ci se vit en deux temps : non seulement à la résurrection de Jésus, mais aussi au moment de sa mort. L’Esprit est associé au sein de Jésus, littéralement à son « ventre ». Dans le Nouveau Testament, le mot en grec renvoie le plus souvent aux entrailles maternelles, comme c’est le cas pour l’unique autre occurrence dans l’évangile selon Jean (3,4), lors de la conversation entre Jésus et Nicodème. Le thème de la naissance est à nouveau sollicité et déployé en relation avec les entrailles de Jésus et avec la foi qui incite à venir à lui.
L’Esprit Saint enseignera,
rappellera les paroles de Jésus et guidera jusqu’à la vérité
Durant son long discours d’adieux à ses disciples (Jn 14–16), lors du dernier repas avant sa mort, Jésus parle abondamment de l’Esprit et le décrit à travers deux expressions nouvelles. D’abord, Jésus évoque « l’Esprit de vérité » (Jn 14,17 ; 15,26 ; 16,13), cette vérité que le monde ne peut pas recevoir (Jn 14,17) et qui pourtant rend libres (Jn 8,32), en relation à la grâce de Jésus. Alors qu’il est plutôt rare dans les autres évangiles, le mot « vérité » est abondamment employé dans l’évangile selon Jean au point d’être identifié à la personne de Jésus (Jn 14,6). Nous faisons l’expérience personnellement et collectivement, combien l’accueil de la vérité ne va pas de soi. Consciemment ou non, nous aimerions si souvent que la réalité soit différente. Que de décalages entre les images – idéalisantes ou méprisantes – que nous nous faisons de Dieu, de soi et des autres, et la vérité qui les concerne! Et si l’accueil de la vérité, avec sa part d’inconfort et avec la grâce de Jésus, nous ouvrait progressivement à une présence intime et salvatrice qui nous amène à grandir en maturation? En effet, Jésus présente aussi l’Esprit Saint comme le « Paraclet » (Jn 14,16.26 ; 15,26 ; 16,7), mot translittéré du grec, qui signifie littéralement « appelé auprès de » quelqu’un pour le secourir, l’encourager, le consoler.
L’Esprit donné à la mort et à la résurrection de Jésus
Dans l’évangile selon Jean, Jésus donne l’Esprit en deux temps. Premièrement, au moment de mourir, Jésus dit : « Tout est accompli » et, inclinant la tête, il transmit l’Esprit (Jn 19,30). Deuxièmement, le premier jour inauguré par la résurrection de Jésus, après avoir soufflé sur ses disciples, il leur dit : Recevez l’Esprit Saint (Jn 20,22). Ce don va de pair avec leur envoi en mission. D’après l’évangile selon Jean, la Pentecôte n’est pas cloisonnée au jour de la résurrection de Jésus. Elle éclate déjà au moment de la mort de Jésus, alors que tout semble fini. L’être humain n’est donc pas laissé un moment tout seul. Alors que, au moment de sa mort, Jésus n’est plus jusqu’à sa manifestation le troisième jour, l’Esprit Saint est donné. Dans les deux moments du don de l’Esprit, il est déconcertant qu’aucune réaction soit mentionnée, contrairement au témoignage de l’évangile selon Luc et des Actes des Apôtres où chaque fois que l’Esprit Saint est donné et accueilli, les effets chez les bénéficiaires sont attestés de façon immédiate. Comme une nouvelle naissance, comme un chemin de maturation, l’accueil de l’Esprit Saint ne se réalise pas de façon instantanée, mais constitue un processus au long cours dont les bienfaits sont toujours en avant de nous. Où en sommes-nous aujourd’hui dans ce processus d’accueil de l’Esprit Saint pour cheminer de plus en plus selon la grâce et la vérité de Jésus, en interaction avec Dieu et avec les autres? Où en est notre soif de l’Esprit Saint?
Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Marie de Lovinfosse est professeure d’exégèse biblique à l’Institut de formation théologique de Montréal.
Source : Le Feuillet biblique, no 2666. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.