Siméon et Anne. Arent de Gelder, circa 1700. Huile sur toile, 94 x 107 cm. Musée Mauritshuis, La Haye (Wikipedia).

Lumière des nations, gloire d’Israël !

Patrice Bergeron Patrice Bergeron | Présentation de Jésus au Temple (A) – 2 février 2020

Jésus est présenté au Seigneur dans le Temple : Luc 2,22-40
Les lectures : Malachie 3, 1-4 ; Psaume 23 (24) ; Hébreux 2, 14-18
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Plus qu’une charmante histoire de famille, c’est toute une page de théologie qui nous est servie en ce dimanche. Faire de la théologie : c’est d’ailleurs à cet exercice que se prête l’évangéliste Luc en nous léguant les deux premiers chapitres de son évangile, partie de son œuvre que l’on désigne généralement par l’expression consacrée « évangile de l’enfance ». Tout en servant de prologue au reste de son évangile, ces deux chapitres sont en effet moins biographiques que théologiques. Développant en parallèle les cycles de la naissance de Jean le Baptiste et de Jésus, ces chapitres ont pour but de nous décliner sans ambiguïté, en début d’œuvre, l’identité de ces deux protagonistes et le rôle que jouera chacun dans l’histoire du salut !

Jésus, l’aboutissement de l’espérance d’Israël

Avant-dernier tableau de la fresque de l’enfance de Jésus, l’épisode de sa présentation au Temple de Jérusalem par des parents pieux et respectueux de la Loi de Moïse a notamment pour but de signifier que Jésus est bel et bien le fruit de l’espérance, l’aboutissement de la foi d’Israël, son plein accomplissement. Il est important pour l’évangéliste de le souligner car, à la fin du premier siècle, des chrétiens, perplexes, pouvaient s’étonner du rejet massif de Jésus par la synagogue. « Si Jésus est le Messie promis à Israël, comment se fait-il qu’il n’ait pas été reconnu comme tel par le peuple de la première alliance ? » Telle devait être une question légitime qui taraudait le cœur des premiers chrétiens, question à laquelle Luc s’attaque dès les premières lignes de son Évangile.

L’épisode répond à ce paradoxe du non accueil du Messie par le peuple bénéficiaire des promesses de Dieu. Par le rôle prophétique joué par Syméon, l’identité messianique de Jésus est confirmée (« Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples » ; Luc 2,30-31) et son rejet par Israël annoncé (« Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction » ; Lc 2,34). Luc évite toutefois de noircir le portrait d’Israël qui, pour lui, occupe une place particulière dans l’œuvre du salut orchestré par Dieu. On peut dire ici que Luc « honore » Israël dans ce tableau où ne figurent que des juifs exemplaires (parents de Jésus, Syméon et Anne), ouverts au salut apporté par cet enfant.

Un cantique de révélation

Trois cantiques [1] ponctuent les chapitres de l’enfance du troisième évangile. Tout en imprégnant d’une touche d’allégresse les récits merveilleux de la naissance de Jean et de Jésus, ces chants ont aussi un rôle de révélation : ils disent le mystère, donnent l’interprétation des événements, annoncent le rôle salvifique des personnages touchés par les faveurs divines. Le cantique que prononce Syméon dans le Temple (Lc 2,29-32), lorsqu’il tient dans ses bras l’objet de son espérance, ne fait pas exception. Non seulement identifie-t-il clairement l’enfant Jésus comme « salut préparé par Dieu » – ce qui équivaut, dans l’espérance d’Israël, à reconnaître en lui le Messie promis – mais l’originalité de ce cantique tient à l’annonce de la portée universelle de ce salut. Cet enfant est appelé à devenir lumière des nations et gloire de son peuple Israël – notez la préséance voulue de nommer les nations païennes avant Israël ! La gloire d’Israël devient donc de porter « à l’universel » l’amour sauveur du Dieu unique, ce qui était bien, selon Isaïe (Is 49,6), la vocation du peuple élu et ce qui se réalise en Jésus Christ. L’accueil de cette lumière par les nations païennes, annoncé ici, sera l’objet principal du deuxième opus de l’évangéliste Luc, le livre des Actes des Apôtres.

Un salut qui divise

Toutefois ce Sauveur universel censé être la gloire d’Israël ne fera pas l’unanimité ! Le cantique joyeux fait place à un oracle menaçant de la part de Syméon. La parole de Jésus, son être messianique sera source de division au sein de son propre peuple, situation que les premiers destinataires de l’évangile sont à même de constater, comme dit précédemment. Cette division, ce non accueil de son fils sera source de souffrance pour Marie sa mère, que Syméon prévient par la forte image d’un glaive lui transperçant l’âme. Le spectre de la passion de Jésus se profile déjà, dès sa plus tendre enfance.

Une prophétesse de Bonne Nouvelle

Pour terminer le récit sur une note joyeuse, Luc fait entrer en scène la prophétesse Anne, qui, au contact de l’enfant et de ses parents, saisit que la « délivrance de Jérusalem » (autre manière de parler de l’attente du Messie) advient par l’arrivée au monde de Jésus. Son témoignage auprès de ses coreligionnaires du Temple ne nous apprendra rien de nouveau sur Jésus, toutefois, il anticipe symboliquement l’annonce future de la Bonne Nouvelle.

En résumé théologique

Revenons à notre page de théologie ! On utilise souvent l’expression « théologie en images » pour traduire le rôle que jouent les récits de l’évangile de l’enfance, tant chez Luc que chez Matthieu. Essayons donc de traduire en langage logique la théologie qui se dégage de ce récit imagé. Dieu s’est choisi un peuple, Israël, par lequel il s’est révélé à l’humanité comme le Dieu Un et aimant ! À ce peuple, à travers ses difficultés, Dieu a promis de susciter un Consolateur, un Messie Sauveur. Jésus est ce Messie promis qui accomplit la foi et l’espérance d’Israël. Toutefois la messianité de Jésus ne sera pas reconnue par l’ensemble de son peuple, ni de son vivant (il subira la passion), ni après sa résurrection (rejet massif par le judaïsme du 1er siècle). L’Église, nouvel Israël, comprendra que la mission salvifique de Jésus dépasse les frontières de son peuple et s’étendra à l’ensemble de l’humanité par l’annonce de la Bonne Nouvelle de sa mort et de sa résurrection. L’annonce de la Bonne Nouvelle sera paradoxalement source de division. Mais à ceux qui l’ont reconnu comme Messie Sauveur est confiée cette mission d’en porter la lumière aux nations, d’en témoigner joyeusement auprès de leurs frères et sœurs en humanité.

Détenteur d’une licence en Écritures Saintes auprès de l’Institut biblique pontifical de Rome, Patrice Bergeron est un prêtre du diocèse de Montréal, curé de paroisses. Il collabore au Feuillet biblique depuis 2006.

[1] Les cantiques de Marie (Lc 1,46-55), de Zacharie (Lc 1,68-79), et de Syméon (Lc 2,29-32). Certains exégètes parlent d’un quatrième cantique, celui des anges à la naissance de Jésus (Lc 2,14).

Source : Le Feuillet biblique, no 2649. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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