(Dinis Tolipov / 123RF)
Veillez !
Jean-Chrysostome Zoloshi | 1er dimanche de l’avent (B) – 29 novembre 2020
Exhortation à la vigilance : Marc 13, 33-37
Les lectures : Isaïe 63, 16b-17.19b ; 64, 2b-7 ; Psaume 79 (80) ; 1 Corinthiens 1, 3-9
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Le court extrait de l’évangile de Marc qui nous est proposé, en ce premier dimanche de l ’Avent, est très significatif du temps liturgique de l’Avent que nous commençons aujourd’hui. Sa reprise en ce contexte liturgique permet d’établir un lien explicite entre la préparation de la fête de la première venue du Christ et l’attente de son avènement à la fin des temps. L’Église, qui établit ce lien, suggère par là que notre cheminement vers la fête de Noël doit contribuer à nous tourner toujours davantage vers la venue ultime et finale du Christ, tout en nous permettant de veiller au quotidien à le faire advenir dans notre vie.
En effet, c’est dans la perspective de cet avènement que Jésus lance à ses disciples son appel à la vigilance, les invitant à conformer leur comportement à ce qui leur permettra d’entrer dans le règne de Dieu avec Lui.
En prévision du moment à venir (Un homme et sa venue)
D’entrée de jeu, il est important de rappeler que les propos de Jésus rapportés dans Marc 13,33-37 se situent dans le contexte d’un long discours eschatologique. Dans ce discours débuté au premier verset du chapitre 13, Jésus nous parle de la fin des temps en invoquant successivement le commencement des douleurs et la grande tribulation de Jérusalem, pour finir son propos avec la manifestation glorieuse du Fils de l’homme.
Aux versets 26 et 27, il est écrit : Et alors on verra le Fils de l’homme venant dans des nuées avec grande puissance et gloire. Et alors il enverra les anges pour rassembler ses élus, des quatre vents, de l’extrémité de la terre à l’extrémité du ciel. C’est dans la mouvance de cette manifestation glorieuse du Fils de l’homme qu’intervient l ’invitation lancée par Jésus à ses disciples de veiller : Prenez garde, restez éveillés : car vous ne savez pas quand ce sera le moment. Il faut veiller, pour faire partie de ce moment du triomphe final du peuple des saints et de son chef le Fils de l’homme.
Déjà chez le prophète Isaïe, on trouve une occurrence à ce moment dont parle Jésus. C’est le moment qui coïncide avec les interventions du Seigneur Dieu dans l’histoire de son peuple : Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais, les montagnes seraient ébranlées devant ta face (Is 63,19b). À la suite du prophète Isaïe et à d’autres comme Daniel (7,13-14) et Zacharie (2,10-17), Jésus utilise cette image pour parler de ce moment et préparer ainsi ses disciples à l’accomplissement du règne de Dieu. Il leur demande de veiller et de prendre garde, pour ne pas se faire surprendre, il leur demande de rester vigilant, pour le jour où il viendra récapituler toutes choses. Mais, en quoi consiste ce message de veille et de vigilance? Quel est le contenu de cette vigilance, de cette veille?
Un seul mot : Veillez! (Un homme et son message)
Le contenu du message de Jésus à ses disciples, en prévision du moment qui vient, est clairement formulé : Veillez! Il n’y a pas de doute que l’utilisation à quatre reprises, – dans les cinq versets du texte évangélique de ce dimanche –, du verbe « veiller » et ses dérivés, a pour but d’attirer l’attention sur le sens de ce mot et de faire comprendre l’importance du message de Jésus. Cela montre que Jésus veut insister sur le contenu de son invitation… Il veut tellement que ses disciples saisissent le message, qu’il le dit à plusieurs reprises, et même en utilisant la forme impérative (veillez), qui montre la nécessité d ’accueillir son invitation…
Quant au sens de ce mot, il se laisse voir, dans le texte de l’évangile, à travers l’invocation faite par Jésus de l’expérience de l’homme parti en voyage (v. 34) et celle du maître de maison (v. 35). Ces expériences nous aident à comprendre le sens donné au verbe « veiller » et le désir de Jésus de jouer sur la richesse de sa polysémie. Ainsi, lorsqu’il demande à ses disciples de veiller, il veut les interpeller à rester de garde, notamment comme lorsqu’on reste de garde la nuit auprès d’un malade pour s’occuper de lui, auprès d’un mort pour le veiller, auprès d’un enfant, d’une sœur ou d’un frère dans le besoin, pour en prendre soin et y porter grande attention. Ou lorsqu’on s’occupe activement de quelqu’un, pour toutes sortes de raison. Ou encore, lorsqu’on choisit de veiller sur un bien, une affaire, la réalisation d’un travail ; lorsqu’on choisit volontairement de guetter l ’aurore, alors qu’en temps normal on devait dormir. Ces gestes concrets de veiller sont repris dans plusieurs passages des évangiles, à travers les faits et gestes de Jésus lui-même.
On se rappelle que, chez Matthieu, ces faits et gestes sont repris par Jésus, dans le contexte du discours eschatologique, à travers la fresque du jugement dernier (25,31-46), pour devenir les critères de discernement pour ceux qui veulent être trouvés en état de veille : donner à manger et boire, accueillir un étranger, vêtir les dénudés, visiter les malades et les prisonniers. Ses disciples, ses serviteurs et ses portiers ont reçu le pouvoir et la tâche de veiller en donnant d’eux-mêmes et de leur accueil. Ils sont des guetteurs d’aurore, comme dit la chanson, ils sont les veilleurs dans la nuit, qui espèrent le jour de Dieu et préparent le règne de Dieu.
Il se préoccupe de notre sort
De son message en Marc 13,33-37, il apparaît clairement aussi que le premier souci de Jésus est de veiller sur le sort de ses disciples! Sa préoccupation et son désir de prendre soin des siens peuvent se résumer ainsi : il ne veut pas que ses disciples soient pris de court et qu’ils manquent le rendez-vous de l’amour et de la vie éternelle.
Cette préoccupation est traduite, entre autres, par la force de l’insistance exprimée par la répétition du verbe « veiller » et par la force de la forme impérative du même verbe : « veillez! ». Décidément, on peut voir le souci qu’a Jésus du sort de ses disciples, le souci et la volonté de veiller sur leur bien-être et prendre soin du sort de tous les humains : « Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! »
En lisant cette interpellation adressée aux disciples, nous comprenons que Jésus veille sur tous les humains, pendant qu’ils sont en attente du moment de l’intervention de Dieu dans leur vie. En même temps qu’il les interpelle à veiller, lui-même aussi prend soin d’eux tous. Il ne les abandonne pas à leur triste sort. Il les accompagne, les encourage, les interpelle sur leur capacité de veiller durant leur marche à travers laquelle leur vie quotidienne tend vers la célébration du retour du maître.
Il les invite à faire de leur vie quotidienne une réponse à son invitation, un effort et une réponse du désir de chaque être humain à ajuster sa vie à la venue ultime du règne de Dieu. Il veut que la vie chrétienne soit portée par la lumière de cette venue, qu’elle soit interpellée par le phare qu’est l’avènement du Fils de Dieu à la fin des temps. Il veut que le temps de la vie quotidienne soit un temps de don de soi, à travers lequel se pratique la gestion des émotions pour apprendre à aimer et parvenir à la maturité de la communion d’amour avec Dieu.
Entre la première venue et l’avènement final : Noël!
À chaque année, les quatre semaines qui précèdent la fête de Noël nous sont offertes comme un temps fort et un moment favorable de nous rappeler le mystère du Christ et de redire : Il est venu, Il vient et Il reviendra! Les textes bibliques, particulièrement ceux de ce dimanche, nous offrent de la matière. Lu dans le contexte de la préparation de Noël, le contenu de Marc 13,33-37 nous permet de jeter un regard sur la première venue du Christ qui a eu lieu lors de sa naissance, pour nous dire à nous-mêmes, comme dans une approche pédagogique, qu’il y a un grand Avènement qui nous attend et auquel nous tendons, celui de la fin des temps, et qui doit se réaliser quotidiennement dans nos vies, à travers des expériences de naissance et de renaissance à la vie de l’amour. Ces expériences sont, pour les disciples du Christ et pour tout être humain, la meilleure façon de veiller. Comme dit la chanson : « C’est Noël sur la terre chaque jour, car Noël, ô mon frère, ô ma sœur, c’est l’amour! »
Sachant qu’à la fête de sa naissance, célébrée à Noël, nous rappelons qu’Il est déjà venu, il nous appartient de faire en sorte que notre vie quotidienne soit un appel et une réalisation quotidienne du règne qui est là et qui continue de s’accomplir. Cela est possible, car l’être humain a quelque chose en lui qui le pousse à désirer les choses à venir, à désirer la vie de l’amour. Ce désir le pousse à se préparer et à ouvrir un espace à l’intérieur de lui-même, pour accueillir ce qu’il désire. En nous, ce désir d’accueillir est alimenté par la première venue du Christ. Car, comme le dit la chanson, « depuis qu’il est venu, en nous tout a changé! » Cela est d’autant plus vrai, comme le dit si bien saint Paul : Ainsi, aucun don de grâce ne vous manque, à vous qui attendez de voir se révéler notre Seigneur Jésus Christ. C ’est lui qui vous fera tenir fermement jusqu ’au bout, et vous serez sans reproche au jour de notre Seigneur Jésus Christ.
Veillez : en toutes circonstances, même lorsque c’est difficile!
Ce n’est pas pour rien que la nécessité de veiller est suivie de la mention qu’il ne faudrait pas être trouvé endormis par le maître. En effet, entre la première venue et la dernière venue, il y a un temps d’attente et de veille, un temps de préparation et de travail pour les disciples, pour les serviteurs et les portiers. Et, comme le suggère la péricope, c’est un temps durant lequel, pour toutes sortes de raisons, la tentation de s’endormir, la distraction et le divertissement peuvent prendre le dessus sur le travail pour l’irruption du règne de Dieu. C’est un temps où les épreuves de la vie peuvent prendre le dessus sur la volonté de veiller… C’est un temps où la maladie et toutes les pandémies de ce monde, peuvent entamer la foi en la venue du moment qui correspond à l’intervention de Dieu. Il faut d’ailleurs se rappeler la présence, chez Marc, de l’annonce des douleurs (13,5-13) et des tribulations (13,14-23) qui précédent l’avènement du Fils de l’homme.
Le témoignage d’une amie décédée récemment d’un cancer ovarien virulent m’a laissé comprendre que le sommeil et les distractions ou les sollicitations multiples ainsi que les douleurs et les tribulations de la vie sont autant d’obstacles qui peuvent empêcher les serviteurs et les portiers d’assumer leurs tâches, de laisser s’éteindre la lampe de la foi. À quelques semaines de la mort, alors qu’elle souffrait terriblement, elle a écrit, dans le journal intime laissé à son mari, cette phrase révélatrice de son état de veille : « C ’est dans la souffrance que notre foi et notre marche avec Jésus sont testées. » Elle exprimait ainsi d’une manière extraordinaire sa capacité de veiller, d’être sur ses gardes, malgré la souffrance qui pouvait la révolter et l’écarter de sa foi. Ses douleurs ne sont-elles pas comparables aux peurs, aux angoisses, au stress et aux souffrances multiformes occasionnés par les maux de ce monde et par la pandémie de la Covid-19?
En conclusion. Au début de cette nouvelle année liturgique, qui commence avec le premier dimanche de l’Avent, je nous souhaite d’entendre sonner la cloche d’un nouveau départ pour une course, celle de notre vie. Souhaitons-nous d’entendre sonner la cloche qui nous permet de relancer notre entrée dans une période d’attente et de veille. Souhaitons-nous d’entendre le cri de ralliement pour relancer le travail de préparation et de rénovation par l’amour, en vue de l’avènement ultime du Christ. Souhaitons-nous « Noël »!
Jean-Chrysostome Zoloshi est prêtre du diocèse de Montréal, animateur de groupes bibliques et professeur associé à la Faculté de théologie et de sciences religieuses (Université Laval).
Source : Le Feuillet biblique, no 2683. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.