Jean le Baptiste. Titien, 1540. Huile sur toile, 201 x 134 cm. Galleries de l’Académie, Venise (Wikimedia).

S’effacer devant celui qui vient

Francis DaoustFrancis Daoust | 3e dimanche de l’avent (B) – 13 décembre 2020

Jean, témoin de la lumière : Jean 1, 6-8.19-28
Les lectures : Isaïe 61, 1-2a.10-11 ; Luc 1, 46-48.49-50.53-54 ; 1 Thessaloniciens 5, 16-24
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

La lecture de l’Évangile du troisième dimanche de l’Avent porte essentiellement sur Jean le Baptiste, son identité et le rôle qu’il joue dans le plan de Dieu. Alors que les synoptiques tiennent Jean en haute estime, le quatrième évangile réduit considérablement son importance et s’assure que toute l’attention soit portée vers Jésus.

Cette lecture est composée de deux parties, séparées l’une de l’autre dans la Bible par une dizaine de versets. La première (Jean 1,6-8), est tirée du célèbre prologue johannique, dans la section où il est question de Jean. On y aborde deux sujets : celui de l’identité de Jean, puis celui du rôle qu’il est venu remplir. La deuxième (Jean 1,19-28), suit immédiatement le prologue et développe les deux mêmes questions, par le biais de l’intervention de deux groupes venus interroger Jean : des prêtres et des lévites (Jean 1,19-23), puis des pharisiens (Jean 1,24-28). Si certaines traductions peuvent laisser croire qu’il s’agit d’un seul et même groupe, le texte grec indique clairement qu’ils sont distincts. La logique historique appuie cette observation, puisque sadducéens et pharisiens se sont toujours querellés pour l’obtention du pouvoir religieux, ce qui est bien représenté dans ce texte par l’envoi de deux groupes différents.

Un affrontement d’envoyés inégaux

Les deux parties de la lecture de l’Évangile du jour se jouent sous le signe de l’envoi. En effet, les vv. 6-8 s’amorcent avec l’affirmation selon laquelle Jean est envoyé par Dieu, puis les interventions des vv. 19-28 commencent en indiquant que le premier groupe de prêtres et de lévites est envoyé par les Juifs (v. 19) et que le deuxième est envoyé par les pharisiens (v. 24). Ainsi s’affrontent deux opposants mandatés par une autorité supérieure : d’un côté, un seul homme, Jean, mandaté par Dieu ; et de l’autre, deux groupes d’hommes, mandatés eux-mêmes par d’autres groupes d’hommes. Pour un observateur extérieur, Jean paraît désavantagé dans cet affrontement, car en nette infériorité numérique. Mais la personne qui connait l’identité des mandateurs de ces opposants sait que c’est exactement l’inverse qui se produit : Jean est en absolue position de supériorité, car il est envoyé par Dieu et non par un groupe d’hommes, si influents soient-ils.

L’identité de Jean

La première partie (vv. 6-8) révèle uniquement que Jean était envoyé de Dieu. L’indication selon laquelle Jean n’était pas la lumière ne nous apprend rien au sujet de son identité.  Il s’agit là d’une information qui porte en définitive sur l’identité de Jésus et qui n’est pertinente que pour la logique interne du prologue. Il faut donc regarder du côté de l’échange avec le premier groupe d’envoyé (vv. 19-23) pour savoir qui était Jean.

Il faut cependant être patient, car cette partie commence en indiquant elle aussi qui Jean n’est pas. Elle établit tout d’abord qu’il n’est pas le Christ. Il s’agit là de la principale hypothèse des prêtres et des lévites. La question est prévisible au point où ils n’ont pas besoin de la formuler explicitement. Ils demandent simplement « Qui es-tu? » et Jean répond : « Moi, je ne suis pas le Messie » (v. 20). La réponse négative de Jean est d’ailleurs la seule de ses trois réfutations qui génère une réaction de surprise – « Quoi donc? » (v. 21) – chez les envoyés des Juifs. Les deux autres hypothèses qu’ils avancent, à savoir s’il est Élie ou encore le prophète – ce personnage des temps de la fin qui serait semblable à Moïse (voir Deutéronome 18,15-18) –, semblent d’un moindre intérêt et Jean y répond d’ailleurs de plus en plus brièvement : « Je ne suis pas » et « Non » (v. 21).

À bout d’idées, ils supplient en quelque sorte Jean de leur donner une réponse, précisant qu’ils doivent remplir leur mission auprès de ceux qui les ont envoyés. C’est alors que Jean répond en citant le livre d’Isaïe : « Je suis une voix criant dans le désert : ‘Redressez le chemin du Seigneur’ » (v. 23 ; voir Isaïe 40,3). Cette affirmation contraste avec les grandes hypothèses des prêtres et des lévites. En effet, comparativement aux importants acteurs que sont le Messie, Élie et le prophète, cette voix anonyme qui crie au désert est une bien humble figure. Elle annonce cependant un événement grandiose et l’arrivée d’un personnage bien plus important que ne pourrait l’être le Messie, Élie ou le prophète.

Et c’est bien là le sens de la réponse de Jean. Celui-ci s’efface entièrement pour laisser place à celui qui vient, dans toute sa grandeur et toute sa gloire. La suite du récit, qui raconte le baptême de Jésus (vv. 29-34), va d’ailleurs dans le même sens : aucune information n’y est fournie au sujet de l’identité de Jean et toute l’attention est portée sur Jésus qui est qualifié d’Agneau de Dieu (v. 29) et le Fils de Dieu (v. 34).

Le rôle de Jean

La question du rôle joué par Jean, quant à elle, est abordée dans la confrontation avec le deuxième groupe, formé cette fois de pharisiens (vv. 25-28). Ceux-ci se demandent pourquoi Jean baptise s’il n’est ni le Messie, ni Élie, ni le prophète. À nouveau, la réplique de Jean souligne son insignifiance par rapport à Jésus : « Je ne suis pas digne, moi, de délier la courroie de sa chaussure » (v. 27). Mais il ne répond pas entièrement à la question de ce deuxième groupe d’envoyé, mentionnant simplement qu’il baptise dans l’eau (v. 26). Il faut poursuivre la lecture jusqu’au récit du baptême de Jésus pour comprendre ce que Jean entendait par là. Il explique : « pour qu’il fût manifesté à Israël, voilà pourquoi je suis venu, moi, baptisant dans l’eau » (v. 31). Encore une fois, Jean s’efface complètement devant celui qui vient et toute l’attention est dirigée vers celui sur lequel l’Esprit descend et qui baptise dans l’Esprit Saint (v. 32-33).

Le rôle de Jean se limite donc à celui de témoin. Les trois versets tirés du prologue l’indiquent à trois reprises : Il est venu comme témoin, pour rendre témoignage à la Lumière (v. 7) ; il était là pour rendre témoignage à la Lumière (v. 8). De plus, l’ensemble de la grande section qui traite de Jean au premier chapitre (vv. 19-34) est délimitée par ce thème ; elle commence en effet en mentionnant Et tel est le témoignage de Jean (v. 19) et se termine par l’affirmation « J’ai témoigné que c’est lui le Fils de Dieu » (v. 34).

L’effacement progressif de Jean

Les synoptiques subordonnent Jean à Jésus, mais ne diminuent jamais l’importance du Baptiste. L’évangile de Matthieu est particulièrement révérencieux à l’endroit de Jean. Jésus y reconnaît sa valeur : « Il n’a jamais existé personne de plus grand que Jean-Baptiste » (Matthieu 11,11) ainsi que son identification à Élie (Matthieu 11,14). Le quatrième évangile ne se contente pas de subordonner Jean à Jésus, mais tente de gommer son importance. Contrairement aux synoptiques, il ne mentionne pas son exécution et, après le chapitre 3, ne parle de lui qu’au passé et le fait toujours afin d’établir la supériorité de Jésus (Jean 4,1 ; 5,31-38 ; 10,40-41).

La communauté chrétienne qui est derrière la rédaction du quatrième évangile réserve donc un traitement plutôt rude au Baptiste. Si elle souhaitait se rallier ainsi les disciples de Jean toujours actifs à la fin du 1er siècle, elle le fait sans ménagement. Alors que la présentation positive de Jean dans les synoptiques semble témoigner d’un souci d’unité entre deux mouvements qui avaient beaucoup en commun, le traitement du quatrième évangile semble avoir davantage pour but d’atténuer considérablement l’importance de Jean et de clore cette question une fois pour toute.

Il ne faudrait cependant pas considérer la lecture d’aujourd’hui comme étant seulement d’intérêt historique. En effet, le but ultime de ces versets n’est pas de diminuer l’importance de Jean, mais de mettre l’accent sur l’événement extraordinaire qui se prépare : l’intervention décisive de Dieu dans l’histoire humaine. Nous sommes d’ailleurs tous appelés, comme Jean, à annoncer cette heureuse nouvelle, sans que l’attention ne soit portée sur nous, mais sur la joie de savoir que le Seigneur arrive et que le salut est imminent.

Francis Daoust est bibliste et directeur de la Société catholique de la Bible (SOCABI).

Source : Le Feuillet biblique, no 2685. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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