La Transfiguration. Enluminure d’un manuscrit du 13e siècle. Ms Ludwig II 5, folio 45V, Getty Center, Los Angeles (Wikimedia).

Expérience déterminante pour une nouvelle étape de vie!

Jean-Chrysostome ZoloshiJean-Chrysostome Zoloshi | 2e dimanche du Carême (B) – 28 févier 2021

La Transfiguration : Marc 9, 2-10
Les lectures : Genèse 22, 1-2.9-13.15-18 ; Psaume 115 (116b) ; Romains 8, 31b-34
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

En ce deuxième dimanche de carême, l’extrait de Marc 9,2-10 occupe une place stratégique dans cet évangile. Il nous offre un contenu significatif, tout désigné pour nous aider à vivre un tournant dans notre marche vers Pâques, et donner un sens, dans notre quotidien, à des expériences spirituelles déterminantes.

Un texte central pour un temps fort

Il suffit de porter un regard attentif sur le plan d’ensemble de l’évangile de Marc, pour se rendre clairement compte que l’extrait de Mc 9,2-10 se situe dans une position stratégique par sa forme et son contenu. Au plan de la forme, l’évangile de Marc compte 16 chapitres. Les chapitres 8 et 9, d’où est tiré l’extrait, constituent le milieu de la structure littéraire ou le sommet de la montée : sept chapitres avant et sept après le bloc central. Au plan du contenu, en considérant le dévoilement progressif de l’identité de Jésus comme le fil conducteur de l’ensemble de l’évangile selon Marc, il apparaît que le cœur de l’affirmation de cette identité se trouve dans le bloc formé par Mc 9,2-10 où il est affirmé que Jésus est le « Fils bien-aimé de Dieu » tandis que dans Mc 8,27-30 Pierre témoigne de Jésus : « Tu es le Messie… ». Ainsi placé au cœur de cet évangile, les récits de la profession de foi de Pierre et celui de la transfiguration (9,2-10) permettent aux disciples-marcheurs que nous sommes d’amorcer avec le Seigneur la deuxième moitié du chemin qui conduit à Jérusalem, lieu de la mort-résurrection.

Une expérience faite sur mesure

D’entrée de jeu, en lisant le premier verset (Mc 9,2) du passage évangélique de ce dimanche, nous pressentons que Marc nous met sur la piste d’une expérience spirituelle fondamentale, une expérience voulue par Jésus lui-même. On le découvre dans les détails du déroulement du récit, du choix des acteurs et du lieu de l’action. Pour s’en convaincre, il suffit de porter attention aux mots utilisés et aux actions des verbes : En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmena, eux seuls, à l’écart sur une haute montagne. Dans ce verset, l’évangéliste Marc a une façon de présenter les choses qui nous laisse facilement comprendre que l’attention accordée aussi bien aux différents personnages qu’au lieu où ils s’arrêtent, est toute entière tournée vers Jésus.

D’abord, on voit que Jésus prend l’initiative de la démarche : Jésus prit avec lui… et les emmena. Les verbes utilisés (prendre et emmener) expriment des actions très précises posées par Jésus. Ils mettent en valeur sa force intérieure et extérieure d’entraînement. Ils traduisent un mouvement explicite vers le haut, un déplacement qui permet de passer d’un lieu à un autre, d’une étape à une autre ou d’un niveau à un autre. Son choix se porte sur les trois disciples Pierre, Jacques et Jean pour des raisons qui lui sont propres, sans êtres mentionnées dans le récit. Marc prend soin d’ajouter eux seuls. Notons que Jésus choisit de son propre chef le lieu où il les emmène: une haute montagne. Ce lieu est revêtu d’une riche symbolique dans l’univers biblique. Jésus a librement décidé d’emmener ces trois disciples sur la montagne, un lieu privilégié de rencontre avec Dieu. Il leur fera vivre une expérience forte, semblable à celle des patriarches et des prophètes bibliques. En effet, c’est sur la montagne que Abraham, Moïse, Élie et d’autres chercheurs et chercheuses de Dieu ont vécu l’étape déterminante de leur vie. Sur la montagne, au pays de Moriah, Abraham témoigne de sa fidélité à Dieu (Genèse 22,1-2.9-13.15-18) et reçoit la promesse d’abondantes bénédictions. Sur la montagne du Sinaï, Moïse fait alliance avec Dieu et reçoit la Torah. Sur la montagne, Élie rencontre Dieu alors qu’il connaît une grande détresse intérieure (1 Rois 19,1-3). On le voit bien, pour ces chercheurs de Dieu, le pèlerinage à la montagne est une expérience qui les fait passer à une nouvelle étape de leur vie et de leur mission. Un temps de purification et de formation.

Cette expérience spéciale survient après un certain temps de vie avec Jésus. Lorsqu’il a appelé Pierre, Jacques et Jean à le suivre, Jésus connaissait leur potentiel. Aussi, les ayant vu cheminer avec lui depuis près de trois ans déjà et les ayant formés par des enseignements, en paroles et en actes, il connaît leurs forces et leurs faiblesses. Il connaît leurs talents, leur zèle missionnaire et leur quête de sens, leurs capacités à la fois d’aimer et de renier, leur recherche de grandeur et leur capacité de s’humilier, leur sens du service et leur aptitude à être des leaders… Lui, le Maître, sait ce dont ils ont besoin, à présent, pour la suite du chemin, afin de parfaire leur formation.

De fait, parmi les disciples choisis, chacun a, comme nous, son histoire personnelle et familiale, qui fait de lui un être particulier, qui aspire à vivre une expérience déterminante avec Jésus, une expérience faite sur mesure, pour ajuster son cheminement à sa propre réalité. Nous connaissons Pierre, le premier appelé, avec son frère André. Il lui offre sa demeure de Capharnaüm qui deviendra le quartier général de Jésus. C’est lui qui de manière solennelle reconnait Jésus comme Messie, ouvrant ainsi la voie à la révélation par Jésus de l’orientation de sa mission comme Messie libérateur, mais souffrant. Quant aux deux fils de Zébédée, Jacques et Jean, ils forment le deuxième duo de disciples, après Pierre et André, à être arrachés à leurs filets pour suivre Jésus (Mc 1,19-20). Ce sont eux aussi qui, plus tard, demandent de siéger à droite et à gauche du Maître, dans sa gloire (Mc 10,35-40), alors que Pierre le reniera (Mc 14,66-72).

Malgré les hauts et les bas de leur cheminement, Jésus choisit de faire vivre à ces trois apôtres, sur la montagne, une expérience à la fois forte et déterminante pour la suite de leur vie : il leur offre de découvrir son identité de Fils de Dieu et sa mission d’enseigner. Du même coup, il les a accouchés à leur propre identité et les a formés à leur mission.

La Transfiguration

Au cœur de l’expérience

La suite du récit nous présente le contenu de l’expérience unique vécue par ces trois disciples sur la montagne. En effet, au cœur de l’expérience, il y a cette courte affirmation : Et il fut transfiguré devant eux. Voilà la raison pour laquelle Jésus les a emmenés à l’écart. Les phrases qui précèdent conduisent à cette affirmation ; toutes celles qui la suivent en sont une explicitation : le déploiement de la transfiguration, les réactions à cet évènement étonnant, les recommandations de Jésus à la suite de l’expérience…

Et il fut transfiguré devant eux. L’expression « devant eux » nous fait comprendre que la transfiguration est offerte aux trois disciples comme un don à saisir là où ils sont rendus dans leur cheminement. Par sa transfiguration devant eux, Jésus se « déballe » et se donne à eux... pour qu’ils voient de leurs propres yeux ce qu’ils n’ont jamais vu auparavant. Cette expérience va inévitablement changer leur vision du monde et de Dieu et elle va apporter une dimension nouvelle à leur vie de disciple, comme va le confirmer la suite du texte.

Dans l’affirmation Et il fut transfiguré devant eux, le verbe grec évoque l’idée d’un passage « au-delà de la forme », d’un regard au-delà des apparences ; il évoque l’idée d’une manifestation de la totalité de l’être de Jésus auparavant voilé. Le sens du verbe « transfiguré » comporte une réelle transformation vécue par Jésus, permettant aux trois disciples de jeter un regard plus intérieur, plus profond sur l’identité du Maître. Jésus se laisse voir tel qu’il est, dans son identité de Fils de Dieu. Pierre, Jacques et Jean sont rendus capables d’entrer au cœur de Jésus, de voir son être intime, dépouillé de tous les artifices, comme dans la belle chanson : « Aujourd’hui, je vois la vie avec les yeux du cœur, je suis sensible à l’invisible, à tout ce qu’il y a à l’intérieur » (Gerry Boulet).

Le phénomène de la transfiguration est explicité par des manifestations visibles et audibles fort connues de la tradition biblique : les vêtements resplendissants de Jésus, la présence d’Élie et de Moïse suivie d’un entretien avec les deux hommes, la nuée et la voix céleste. Ce sont là des signes de la présence de Dieu, comme pour Moïse dans la tente de la rencontre au Sinaï, comme pour le peuple de Dieu lors de la traversée au désert. On peut comprendre la présence de ces manifestations, lors de la transfiguration de Jésus, comme une invitation lancée aux trois disciples à entrer dans le mystère de Dieu mais aussi à susciter leur adhésion. D’où la réponse maladroite de Pierre pour dire son adhésion à l’évènement qui se passe devant eux : Rabbi, il est bon que nous soyons ici! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. Cette adhésion a été préparée par la déclaration de la voix céleste : Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le! Écouter le Fils bien-aimé, lui faire confiance, obéir à ce qu’il enseigne, en paroles et en actes. Écouter Jésus, se laisser guider par lui pour déballer le cadeau de la vie de Dieu qu’il nous offre gratuitement. L’écouter, accepter d’être transfigurés nous aussi, pour descendre dans la plaine de notre quotidien, pour travailler à la transformation du monde et en faire une merveille, grâce au don de sa vie, même si nous ne comprenons pas tout, à cause de nos résistances et de nos lourdeurs.

L’expérience de descendre de la montagne

Après l’expérience inattendue de la transfiguration, ils descendirent de la montagne... Ils retournent à la vie quotidienne, avec leurs multiples préoccupations humaines. Descendre de la montagne, pour retrouver la vallée, lieu de notre habitation et de notre travail, lieu de nos relations humaines constructives, mais aussi de nos divisions… Descendre pour retrouver toute notre humanité, nos forces intérieures, nos faiblesses autant que nos talents. Descendre de la montagne pour retrouver toute notre identité humaine et la densité de notre histoire personnelle et familiale, avec ses hauts et ses bas, ses ténèbres et ses lumières. Retrouver notre mission et nos rêves d’un monde à bâtir ; peut-être aussi y reconnaitre des espoirs déçus et des doutes face à l’avenir. Mais, dans cette vallée de notre humanité, à quoi peut bien servir cette expérience de la transfiguration? Oui, à quoi bon puisque, entre temps, Marc affirme que Jésus leur ordonna de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts.

Un cadeau à déballer!

En leur faisant expérimenter la transfiguration, Jésus n’a-t-il pas voulu qu’ils vivent une étape déterminante de leur vie à sa suite? Il leur donne de découvrir la gloire dont il est revêtu. Mais, ce trésor extraordinaire, Pierre, Jacques et Jean auront à le découvrir au fur et à mesure de leur avancée sur la route avec Jésus.

Cette injonction de Jésus scelle la transfiguration comme un beau cadeau offert à Pierre Jacques et Jean mais qu’ils ne peuvent déballer d’un seul coup. L’utilisation qu’ils en feront impliquera des choix à faire, des voies à suivre, des remises en question.

Lorsque le Fils de Dieu lui-même se révèle à Pierre, Jacques et Jean, comme à nous, dans son intimité la plus profonde, il se donne comme un cadeau emballé. Il met à la portée de toute personne un privilège inouï, celui d’entrer dans le cœur de sa relation avec son Père. Trésor inestimable qu’il faut apprendre à déballer avec précaution car il en va de la réalisation de notre identité et de notre mission, à sa suite.

De ce passage, nous apprenons que le cadeau emballé, offert à Pierre, Jacques et Jean par Jésus, leur révélait tout le mystère du Fils de Dieu, ses idéaux, son projet de sauver l’humanité, en paroles et actions. Les trois disciples ont découvert, au fil du déballage de ce cadeau, que le don reçu annonçait aussi la passion et la résurrection. D’ailleurs n’ont-ils pas travaillé à façonner leur identité et leur vie de missionnaire, au fil du temps, avec Lui, dans le mystère de sa passion et sa résurrection. Et ils restèrent fermement attachés à cette parole, tout en se demandant entre eux ce que voulait dire « ressusciter d’entre les morts ».

En conclusion

L’itinéraire de Pierre, Jacques et Jean est aussi celui de chacun d’entre nous. Jésus prend l’initiative de nous emmener à l’écart, sur la montagne de notre monde quotidien, dans des lieux ou dans la vie des gens... là où nous pouvons faire des expériences fortes et déterminantes de rencontre avec Dieu. Pour nous, ces expériences peuvent se vivre de tant de manières, dans l’émerveillement d’une remarquable œuvre d’art, dans l’admiration de la vie de toute personne ou d’un couple qui traverse joies et peines avec espérance, dans la tendresse de la naissance d’un beau bébé, dans la splendeur d’un lever ou d’un coucher du soleil, dans l’entraide et le dévouement des uns pour les autres, dans la musique et tous ses atouts de calme et de sérénité, etc. Plein d’expériences à travers lesquelles Dieu nous offre son amour et nous permet de contempler son visage si proche de nous. Quelle réponse donner sinon manifester notre accueil, en faisant de notre mieux, pour passer d’une certaine morosité à une capacité d’émerveillement, du repliement sur soi à la solidarité, du gaspillage au partage, de l’agression contre la nature à la préservation de sa beauté... Travailler à la transformation du monde et en faire une merveille, grâce au don de la vie belle et gratuite malgré nos déceptions et résistances. Accepter de nous laisser conduire et de vivre ce court passage d’une rive à l’autre. Nous inspirer de l’expérience de la transfiguration pour nous habiliter à être plus sensible à l’invisible, à tout ce qu’il y a à l’intérieur, à voir la vie et toutes choses avec les yeux du cœur, les yeux de Dieu…

Jean-Chrysostome Zoloshi est prêtre du diocèse de Montréal, animateur de groupes bibliques et professeur associé à la Faculté de théologie et de sciences religieuses (Université Laval).

Source : Le Feuillet biblique, no 2698. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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