Ecce homo. Antonio Ciseri, c. 1860-1880. Huile sur toile, Musée cantonal d’art de Lugano (Wikimedia).

Une royauté qui ne sera pas détruite

Yvan MathieuYvan Mathieu | Le Christ, roi de l'univers (B) – 21 novembre 2021

Jésus devant le tribunal romain : Jean 18, 33b-37
Les lectures : Daniel 7, 13-14 ; Psaume 92 (93) ; Apocalypse 1, 5-8
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Chaque fois que se conclut une année liturgique, au trente-quatrième dimanche, nous célébrons la solennité du Christ roi de l’univers. En cette année B, nous avons fait une lecture suivie de l’Évangile selon saint Marc, avec quelques incursions dans l’Évangile selon saint Jean. Souligner la royauté du Christ marque l’aboutissement naturel du message de Jésus en Marc. Après avoir été baptisé par Jean, Jésus a été poussé par l’Esprit au désert, où il resta quarante jours, tenté par Satan (Mc 1,13). Puis, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : “Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile” (Mc 1,14b-15). Au terme du parcours, le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, déclara : “Vraiment, cet homme était Fils de Dieu!” (Mc 15,39).

La royauté de Jésus en Jean

On se serait donc attendu, en ce dernier dimanche de l’année, à entendre un texte de saint Marc proclamant la royauté de Jésus ressuscité. Mais voilà que le lectionnaire nous ramène à l’évangile de Jean. Cela surprend du fait que le mot « royaume » n’apparaît que cinq fois en Jean, alors que Marc l’utilise vingt fois, dont seize pour parler du royaume de Dieu. Quand Jésus parle à Nicodème, il lui parle d’abord de « voir le royaume de Dieu » (Jn 3,3), puis d’y entrer (Jn 3,5). Pendant sa comparution devant Pilate lors de son procès, Jésus mentionne trois fois « sa royauté ». « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » (Jn 18,36) De quelle royauté s’agit-il?

La passion selon saint Jean

Pour entrer dans le mystère du Christ roi, nous sommes invités à revivre avec lui sa passion en nous laissant guider par Jean. Celle-ci commence au moment où Jésus sortit avec ses disciples et traversa le torrent du Cédron ; il y avait là un jardin, dans lequel il entra avec ses disciples (Jn 18,1). On assiste d’abord à son arrestation (18,1-12), puis à sa comparution chez Hanne, le beau-père de Caïphe (18,13-23). Hanne l’envoya [ensuite], toujours ligoté, au grand prêtre Caïphe (18,24). Une fois que Pierre eut renié Jésus une deuxième, puis une troisième fois (18,25-27), on emmène Jésus de chez Caïphe au Prétoire (18,28a). On assiste alors à sept allées et venues entre l’extérieur du Prétoire, où se trouvent réunis les accusateurs de Jésus pour éviter une souillure et pouvoir manger l’agneau pascal (18,28b), et l’intérieur du Prétoire, où Pilate s’entretient avec Jésus. Nous assistons ce dimanche au premier de ces entretiens.

« Es-tu le roi des Juifs ? »

L’accusation des Juifs à l’endroit de Jésus n’est pas très claire. Il est un « malfaiteur » qui mérite la mort (18,29-31). Pilate cherche à préciser la nature de cette accusation. Seul avec Jésus, il lui demande : « Es-tu le roi des Juifs? » (Jn 18,33) Mais qu’entend-il par là? « Aux yeux de Pilate, l’appellation “le roi des Juifs” pouvait désigner soit un chef de bande cherchant à se substituer aux autorités locales admises par Rome, soit un révolutionnaire zélote voulant bouter les païens hors de la Terre sainte. » [1]

Un roi refusé par les autorités de son peuple

Chose certaine, les grands prêtres, qui attendent Pilate en dehors du Prétoire, refusent de voir en Jésus « le roi des Juifs ». Plus loin, Pilate leur dira : « Voyez, je vous l’amène dehors pour que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » (Jn 19,4) Plus tard encore, Pilate leur dit : “Vais-je crucifier votre roi?” Les grands prêtres répondirent : “Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur”. (Jn 19,15) Pourtant, tel est le motif de condamnation qui sera retenu par le procurateur. Pilate avait rédigé un écriteau qu’il fit placer sur la croix ; il était écrit : “Jésus le Nazaréen, roi des Juifs” (Jn 19,19).

Une royauté qui n’a rien de terrestre

Dans sa réponse à Pilate, Jésus renverse les rôles. Il est maintenant celui qui pose les questions : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet? » (Jn 18,34) Pilate risque d’être manipulé par les grands prêtres, mais il ne perçoit pas l’avertissement implicite. « Il manifeste de l’indifférence, et probablement du mépris. » [2] « Est-ce que je suis juif, moi? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait? » (Jn 18,35) Entendons « qu’as-tu fait de mal? » Jésus ne répond pas à la question, mais il précise d’où vient sa royauté. « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » (Jn 18,36)

« Alors tu es roi ? »

Oui, Jésus est roi. Mais pas à notre manière. Après la multiplication des pains, les gens voulaient l’enlever pour faire de lui leur roi ; alors de nouveau il se retira dans la montagne, lui seul (Jn 6,15). Après le retour de Lazare à la vie, lors de l’entrée de Jésus à Jérusalem, Les gens prirent des branches de palmiers et sortirent à sa rencontre. Ils criaient : “Hosanna! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur! Béni soit le roi d’Israël!” (Jn 12,13). « Il avait alors montré son profond désaccord et dénoncé l’ambiguïté de cet accueil en se choisissant un ânon pour monture. » [3] Sa royauté n’est pas d’ici. Elle vient d’en haut et n’est pas synonyme de pouvoir. Plus que « roi des Juifs », Jésus est « roi » tout court. « Ce qui rend compte de sa dignité royale est la mission d’attester la vérité, mission de portée universelle. » [4]

Rendre témoignage à la vérité

Jésus conclut sa réponse à Pilate en déclarant : « Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » (Jn 18,37) Écouter la voix est bien plus que tendre l’oreille : « il s’agit non pas simplement d’apprendre quelque chose, mais de “s’engager” » [5]. « Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. » (Jn 8,31-32) Depuis que Jésus a été élevé de terre, cet appel s’adresse à « quiconque ». La portée de son appel est universelle.

« À vous la grâce et la paix »

Célébrer la royauté universelle de notre Seigneur Jésus Christ nous invite donc à l’engagement à sa suite. Jésus Christ [est] le témoin fidèle, le premier-né des morts, le prince des rois de la terre. [… Il] nous aime, [… il] nous a délivrés de nos péchés par son sang, [… il] fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père. » (Apocalypse 1,5-6) Accueillons son témoignage et engageons-nous à sa suite. Nous serons alors véritablement libres. Nous goûterons à la Vérité et nous pourrons continuer à cheminer vers l’accomplissement plénier de son royaume. À lui, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Amen. (Ap 1,6)

Père mariste, Yvan Mathieu est professeur à l’Université Saint-Paul (Ottawa).

[1] Xavier Léon-Dufour, Lecture de l’Évangile selon Jean, Tome IV : L’heure de la glorification (chapitres 18–21). Paris, Cerf (Parole de Dieu), 1996, p. 82.
[2] Léon-Dufour, Lecture IV, p. 83.
[3] Léon-Dufour, Lecture IV, p. 82.
[4] Léon-Dufour, Lecture IV, p. 85.
[5] Léon-Dufour, Lecture IV, p. 88.

Source : Le Feuillet biblique, no 2729. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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