Le lavement des pieds. Disciple de Rubens. Huile sur panneau, 55 x 52 cm. Marché des antiquités.

« En mémoire de moi »

Jean-Chrysostome ZoloshiLorraine Caza | Jeudi saint (B) – 1er avril 2021

Le signe du lavement des pieds : Jean 13, 1-15
Les lectures pour la messe du soir en mémoire de la Cène du Seigneur : Exode 12, 1-8.11-14 ; Psaume 115 (116) ; 1 Corinthiens 11, 23-26
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Au cœur de la célébration de notre foi, le Triduum pascal : ces jours qui nous donnent de pénétrer, chaque année, un peu plus, dans l’indicible mystère de la Passion, de la Mort et de la Résurrection du Christ Jésus. Au seuil du Triduum, l’émouvante liturgie du soir du Jeudi saint, avec son ensemble de trois lectures bibliques , nous offre une merveilleuse synthèse du mystère du salut de l’humanité : le récit tiré du livre de l’Exode (12,1-8.11-14), racontant la libération du peuple choisi, du pénible esclavage d’Égypte ; le récit le plus ancien que nous ayons de l’Institution de l’Eucharistie, tel que l’apôtre Paul nous l’a transmis dans la Première lettre aux Corinthiens (11,23-26) ; la réflexion pénétrante touchant le dernier repas de Jésus avec les siens qui nous vient de Jean 13,1-15. Que d’aspects du mystère pascal et de ses fruits, réunis dans ce court épisode évangélique! Que de lumières nous sont ici offertes sur le Père, sur Jésus, sur les douze et tout spécialement sur Judas Iscariote, fils de Simon, et sur Simon-Pierre!

L’amour du Père et du Fils pour le monde

Jean nous présente le Père comme Celui vers lequel Jésus se prépare à passer en quittant ce monde, comme Celui qui a tout remis entre les mains de Jésus, comme Celui de qui Jésus sait qu’il vient et vers qui il retourne. Prendrons-nous le temps de contempler cette intimité incommensurable entre le Père et son Fils unique?

Jésus, lui, est celui dont l’heure est venue de passer de ce monde au Père, Celui qui a aimé les siens qui étaient dans le monde et les a aimés jusqu’au bout. Cet amour jusqu’au bout physiquement, moralement… Toutes ces souffrances de la passion, tout le supplice de la crucifixion jusqu’à l’ultime cri d’abandon que Marc et Matthieu ont retenu dans leur témoignage : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » Quel amour! Tout a été remis en ses mains par le Père ; il est venu du Père et retourne à Lui. Jean a une façon tout à fait inattendue de nous parler de ce dernier repas de Jésus avec les siens : pas un mot au sujet de la nourriture. Jésus se lève de table, enlève son vêtement, comme le serviteur ferait, attache un linge à sa ceinture, verse de l’eau dans un bassin, se met à laver les pieds des gens à table avec lui, essuie leurs pieds avec le linge pendu à sa ceinture.

Deux figures contrastées

Ici, deux figures de disciples sont mises en relief : la figure de qui trahira Jésus et celle de qui le reniera trois fois. De Judas Iscariote, il est dit que le démon lui a déjà inspiré de livrer Jésus ; on ajoute que Jésus savait bien qui allait le livrer. Quant à Simon-Pierre, un dialogue s’engage entre lui et Jésus. Il ne peut croire que Jésus va lui laver les pieds, lui le Maître et le Seigneur : « Non, jamais », réplique-t-il. Jésus rétorque : « Pierre, présentement, tu ne peux comprendre ce que je fais ; plus tard, tu comprendras ». À quoi pourrait-on attribuer, selon vous, le fait que Pierre en arrivera à comprendre? Dans l’immédiat, cependant, ce qui modifie complètement l’attitude de Pierre, et le conduit même à désirer que Jésus amplifie son service aux mains et à la tête, c’est la déclaration du Maître que si Pierre n’accepte pas le service que Jésus lui offre, il n’aura pas part avec lui.

Jésus, le Serviteur

Le dernier repas de Jésus avec les siens, selon l’évangile de Jean, est donc présenté comme le lieu, l’occasion pour Jésus de se montrer, en sa passion et dans sa mort imminente, comme le Serviteur, celui dont le service doit être un exemple à suivre pour ceux et celles qui seront ses disciples. « Vous m’appelez Maître et Seigneur et vous avez raison, parce que je le suis. Si donc moi, Jésus, j’agis ainsi, c’est afin que vous fassiez les uns aux autres comme j’ai fait pour vous. »

L’Eucharistie, mémoire du salut

Dans sa Première lettre aux Corinthiens, Paul, comme les trois évangiles synoptiques après lui, évoquera les gestes du dernier repas. Il ne reprendra pas la scène du lavement des pieds, mais bien celle du partage du pain et de la coupe qu’accompagnent les mystérieuses paroles sur le pain rompu et le vin versé. Selon le texte paulinien, particulièrement proche de celui de Luc : « Ceci est mon Corps qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi » ; « Cette coupe est la Nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. Chaque fois que vous mangez ce pain et buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne ».

Le récit paulinien ne fait pas que nous permettre de faire mémoire de l’action de Jésus, quelques heures avant sa mort. Il exprime très clairement la responsabilité que Jésus laisse aux disciples qui viendront, de refaire les gestes de Jésus en mémoire de Lui. Refaire les gestes de Jésus, non pas au sens tout simple de rappeler un événement passé, mais rejoindre l’efficacité de l’événement de salut opéré dans la vie, la passion et la mort de Jésus, de telle sorte que chaque fois que nous mangeons ce pain et que nous buvons à cette coupe, nous proclamons la mort de Jésus. Et jusqu’à quand, Jésus nous demande-t-il de refaire ces gestes de son dernier repas?  Jusqu’à ce qu’Il vienne, et donc jusqu’à son retour dans la gloire. Quel grand mystère que l’Eucharistie de l’Église. Il s’agit de la présence efficace dans notre aujourd’hui du grand événement de salut opéré dans la passion, la mort et la Résurrection de Jésus.

Le repas pascal, mémoire de la libération pour les Juifs

Le repas pascal pris par Jésus avec ses disciples commémorait la manducation de l’agneau par les Juifs au seuil de la nuit de leur libération. La première lecture de notre liturgie situe donc tout le triduum chrétien dans une atmosphère de libération. « Cette nuit-là, je traverserai le pays d’Égypte, je frapperai tout premier-né au pays d’Égypte, depuis les hommes jusqu’au bétail… Le sang sera pour vous un signe, sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang et je passerai : vous ne serez pas atteints par le fléau dont je frapperai le pays d’Égypte. » Oh! Cet amour libérateur de Dieu pour son peuple.

L’Eucharistie, l’amour au quotidien

En ce Jeudi saint, c’est l’amour pour l’humanité entière de Celui entre les mains de qui le Père a tout remis que nous célébrons, c’est l’amour jusqu’au bout de Jésus pour les siens, l’amour de Celui qui est venu du Père et qui retourne au Père, c’est l’amour en service que chacun, chacune de nous réalise pour ses frères et sœurs, à la manière de Jésus. En cette année 2021 où l’on parle encore de pandémie, notre Jeudi saint revêtira-t-il une teinte particulière? Notre Maître et Seigneur nous a dit sa proximité-distanciation de façon si mystérieuse en sa passion, sa mort et sa résurrection. Il nous l’a dit dans la façon de perpétuer à jamais son sacrifice. Il nous fortifie et nous purifie par cette présence incomparable dans le don de son Corps et de son Sang. Oui, nous ne cesserons de refaire les gestes du dernier repas de Jésus jusqu’à son retour.

La préface de la messe du Jeudi saint l’exprime si bien :

« C’est lui, le prêtre éternel et véritable qui apprit à ses disciples comment perpétuer son sacrifice ;
     il s’est offert à toi en victime pour notre salut ;
     il nous a prescrit d’accomplir après lui cette offrande
     pour célébrer son mémorial.
Quand nous mangeons sa chair immolée pour nous,
     nous sommes fortifiés ;
quand nous buvons le sang qu’il a versé pour nous,
     nous sommes purifiés. »

Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Lorraine Caza est bibliste et professeure honoraire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa).

Source : Le Feuillet biblique, no 2703. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

Célébrer

Célébrer la Parole

Depuis l’automne 2017, le Feuillet biblique n’est disponible qu’en version électronique et est publié ici sous la rubrique Célébrer la Parole. Avant cette période, les archives donnent des extraits du feuillet publiés par le Centre biblique de Montréal.