Exorcisme de la synagogue de Capharnaüm. Fresque romane du 11e siècle de l’ancien clocher de l’abbaye de Lambach en Autriche (Wikimedia).

Jésus enseigne et agit avec autorité

Béatrice BérubéBéatrice Bérubé | 4e dimanche du Temps ordinaire (B) – 31 janvier 2021

La prédication de Jean : Marc 1, 21-28
Les lectures : Deutéronome 18, 15-20 ; Psaume 94 (95) ; 1 Corintiens 7, 32-35
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Le passage de l’évangile de Marc met au centre de la scène le Nazaréen puissant en paroles et en actes. Le texte, qui constitue la première intervention d’autorité de Jésus, correspond à la forme littéraire du récit de miracle. Il comporte une introduction, la venue de Jésus et son enseignement (vv. 21-22), et une conclusion, l’indication sur la renommée de Jésus (v. 28), qui encadrent le récit d’exorcisme (vv. 23-27). Celui-ci comprend quatre moments narratifs : l’intervention de l’adversaire (23-24), la riposte de Jésus (v. 25), son résultat (v. 26) et l’effet sur les témoins (v. 27).

La venue de Jésus et son enseignement (vv. 21-22)

Jésus s’introduit dans la synagogue de Capharnaüm avec ses quatre nouveaux compagnons (voir vv. 16-20) un jour de sabbat et il enseigne (v. 21). Le cadre spatio-temporel (Capharnaüm, la synagogue et un jour de sabbat) mérite quelques précisions. Capharnaüm, village de pêcheurs de la Galilée situé sur la rive nord-ouest du lac de Tibériade, devient le lieu de résidence de Jésus (voir Matthieu 4,13). À l’époque, Capharnaüm était un point de passage muni d’un poste militaire romain et d’un bureau de péage. Jésus y accomplit plusieurs miracles (2,1-13; voir Mt 8,5-13 ; Jean 4,46-54) et c’est aussi à cet endroit qu’il demande à Matthieu de le suivre (Mt 9,9-13).

La synagogue peut signifier, soit un groupement de personnes, soit un bâtiment. C’est lors de l’Exil que naquit la synagogue. Le terme désignait une assemblée :  les déportés se réunissaient à ciel ouvert sur le bord de l’Euphrate (voir Ézéchiel 1,1) pour prier et méditer sous la conduite d’Ézéchiel. Ici, le mot désigne l’édifice où les Galiléens se regroupaient pour intégrer les législations et coutumes développées à Jérusalem.

Chez les juifs, la semaine est rythmée par le sabbat, jour de repos absolu allant du vendredi soir au samedi soir, jour marqué par la lecture et l’explication des Écritures. En tant que prédicateur itinérant, Jésus enseigne. Son enseignement provoque une impression très forte sur la foule : son autorité étonne, stupéfie; elle n’est pas celle des scribes (v. 22). Marc précise rarement l’objet de l’enseignement de Jésus, mais il note souvent le fait qu’il enseigne ainsi que la forte impression auprès de ses auditeurs (6,2 ; 10,26 ; 11,18 ; après un miracle, 7,37). L’autorité désigne habituellement le pouvoir conféré par Dieu de faire des miracles. Ici, c’est l’enseignement de Jésus qui a autorité. Pour les témoins, elle permet d’identifier Jésus : il n’est pas comme les scribes ou légistes ou docteurs de la Loi, interprètes attitrés de la Loi et spécialistes des Écritures, appartenant à la secte des Pharisiens, qui se retranchaient derrière l’autorité des textes ou de la tradition : l’autorité de Jésus lui vient de Dieu (1,27 ; 2,10 ; 11,28-33).

L’intervention de l’adversaire (vv. 23-24)

Un homme possédé d’un esprit impur est présent dans la synagogue (v. 23). Il connaît le but de la venue de Jésus, pour les perdre, et son identité, le Saint de Dieu (v. 24).

L’expression esprit impur représente deux réalités. Connue du judaïsme, la formule désigne les démons (voir Zacharie 13,2), des esprits mauvais, êtres surnaturels opposés à la sainteté de Dieu et de son peuple (Lévitique 11,44). Pour le judaïsme contemporain du 1er siècle de notre ère, les démons sont au service de Satan et résistent aux anges qui servent Dieu. En leur malfaisance, les démons sont associés ou responsables des infirmités et des maladies, physiques et psychiques, qui rendaient les juifs impurs rituellement, donc impropres à prendre part au culte (Lv 21,17-21). Marc associe plusieurs fois maladie et influence d’un esprit mauvais, malades et démoniaques (1,32.34 ; 3,10-11 ; 6,13 ; voir Luc 6,18 ; Actes des apôtres 5,16 ; 8,7); par cette association, l’évangéliste désire présenter les guérisons de Jésus comme les signes de l’intervention décisive de Dieu pour la guérison et le salut des êtres humains.  

La question Que nous veux-tu? correspond à l’expression Qu’y a-t-il donc entre toi et moi? (Juges 11,12 ; 2 Samuel 16,10 ; 19,23 ; 1 Roi 17,18 ; Jn 2,4) pour repousser une intervention jugée inopportune ou manifester le refus de tout rapport avec quelqu’un. Ici, la formule exprime la méfiance et le rejet de toute relation avec Jésus.

La tournure pour nous perdre signifie que l’esprit impur, censé parler par la bouche du malade et non de ses congénères, comprend que son pouvoir sur l’homme touche à sa fin (voir Luc 10,18 ; Apocalypse 20,10). Il sait à qui il se soumet, au Saint de Dieu (voir Lc 4,34 ; Jn 6,69), appellation ayant une dimension christologique. En Psaume 106,16, l’expression désigne Aaron ; par ce titre, Jésus serait ainsi nommé comme grand prêtre messianique. L’expression pourrait aussi être une allusion à la figure messianique d’Élie puisqu’en 2 Rois 4,9, il est appelé Saint homme de Dieu.

La riposte de Jésus et son résultat (vv. 25-26)

Jésus contrecarre l’offensive de l’esprit impur en exerçant son propre pouvoir d’une manière vigoureuse Tais-toi! Si Jésus ordonne à l’esprit impur de se taire, c’est parce que le démon connaît l’identité du Nazaréen, il est le Saint de Dieu ou le Fils de Dieu, expressions équivalentes selon Jn 6,69 (voir Mt 16,16). Cette grandeur, quoique révélée par la voix divine en 1,11, échappe aux individus (1,27 ; 4,41 ; 6,14-16 ; 8,27-28) ; si Jésus veut la garder secrète (3,12), c’est parce qu’elle pouvait facilement être comprise dans un sens politique. La réaction de Jésus est suivie d’un effet immédiat : l’esprit impur obéit à son adversaire en sortant de l’homme (v. 26). Néanmoins, il ne quitte pas le terrain qu’il occupe sans pratiquer quelque ravage : convulsion, il agite l’homme, et clameurs inarticulées malgré l’injonction au silence, il crie d’une forte voix comme en 9,26.

L’effet sur les témoins (v. 27)

L’instruction et l’exorcisme de Jésus provoquent une grande impression chez les spectateurs, ce qui les amène à se questionner : Saisis, ils se demandent : Qu’est-ce que cela? Voilà un enseignement nouveau, plein d’autorité! Il commande même aux esprits impurs et ils lui obéissent! Contrairement à l’expression ils étaient frappés du v. 22, tournure désignant le sentiment d’étonnement, de stupéfaction, le qualificatif saisis, employé ici, a une connotation d’effroi (voir 9,15 ; 10,32), de crainte religieuse provoquée par la parole de Jésus qui vient à bout de l’esprit impur parce qu’elle est chargée de force et de puissance. Pour le moment, les gens ne voyaient en Jésus, que l’homme venu de Nazareth (voir 6,3), alors que l’esprit impur a découvert en Jésus, celui qui vit dans l’intimité de Dieu, celui qui dispose du pouvoir divin, le Saint de Dieu.

L’indication sur la renommée de Jésus (v. 28)

Jésus étonne les gens si bien que sa célébrité s’étend dans toute la Galilée, locution pouvant désigner, soit toute la région galiléenne autour de Capharnaüm, si l’on se réfère à 1,39.45, soit toute la Galilée environnante, si l’on s’appuie sur 3,7-8. Quoi qu’il en soit, la renommée de Jésus s’est répandue partout.

Que retenir de cette péricope?

Dans ce passage, deux personnages occupent la scène :  Jésus et l’esprit impur, ce qui invite les lecteurs d’aujourd’hui et de demain à reconnaître l’identité de Jésus et à s’interroger sur leur propre identité. La confession de l’esprit impur relative à la personne de Jésus, le Saint de Dieu, confirmée pour la troisième fois depuis le début de l’évangile (1,1.11), l’est à plusieurs reprises au cours du ministère de Jésus (2,10 ; 3,11 ; 5,7 ; 8,29.31 ; 9,7) et à sa mort (15,39). Par ces répétitions échelonnées tout au long de son document, l’évangéliste désire rappeler aux générations futures la filiation divine de Jésus. À l’instar de l’esprit impur qui tourmente l’homme, nous pouvons reconnaître que des esprits mauvais habitent encore l’être humain. Tels les inconduites et vices énumérées en 7,21-22, fornications, vols, meurtres, adultères, envies, injures, orgueil, sottise, ces comportements adoptés par certains individus ou défauts entretenus à l’intérieur d’eux-mêmes, qui parlent à leur place, entravent des relations honnêtes avec le prochain.  

Béatrice Bérubé a fait ses études à l’Université du Québec à Montréal où elle s’est spécialisée en études bibliques. Elle a obtenu son doctorat en 2014 et collabore au Feuillet biblique depuis 2015.

Source : Le Feuillet biblique, no 2694. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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