Pierre et Jean guérissent un infirme au Temple (détails). Nicolas Poussin, 1655. Huile sur toile, 125,7 x 165,1 cm. MET Museum, New York.

La sainte bergerie de Jésus Christ

Alain FaucherRodolfo Felices Luna | 4e dimanche de Pâques (B) – 25 avril 2021

Le pasteur véritable et le mercenaire : Jean 10, 11-18
Les lectures :  Actes 4, 8-12 ; Psaume 117 (118) ; 1 Jean 3, 1-2
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Depuis que Dieu parle au monde par l’intermédiaire de prophètes humains, le problème à la source des disputes religieuses en a été un de reconnaissance : À qui Dieu a-t-il vraiment parlé? Qu’est-ce que Dieu a vraiment dit? En quoi cela nous concerne? Reconnaître la voix et la volonté de Dieu à la suite de la crucifixion de Jésus de Nazareth devient le défi des disciples du Christ, chrétiennes et chrétiens.

Le grand conseil d’Israël (le Sanhédrin) pensait en avoir fini avec le cas du Nazaréen après son procès expéditif et son exécution aux mains de Ponce Pilate, le gouverneur romain. Le récit des Actes des apôtres nous montre qu’il n’en est rien. Selon Luc, auteur des Actes, Pierre et Jean montent au Temple, relèvent un infirme et attribuent la guérison à leur foi au nom de Jésus, le Christ ressuscité (Ac 3,16). Appréhendés par les gardes du Temple et sommés de s’expliquer devant le grand conseil d’Israël, Pierre et Jean récidivent dans leur confession publique de foi en Jésus, objet de la première lecture de ce dimanche.

Jésus, la pierre d’angle

La déclaration des apôtres comporte une charge contre la décision du Sanhédrin de condamner Jésus : « crucifié par vous, ressuscité par Dieu » (Ac 4,10). Le contraste est frappant, brutal, sans appel : Dieu – le juge suprême – a  renversé la décision mal avisée des juges d’Israël. Dieu a désavoué le grand conseil et s’est placé du côté du soi-disant coupable, injustement condamné. Citant le Psaume 117 et l’appliquant au cas en dispute, les apôtres renchérissent : « Ce Jésus, il est la pierre que vous aviez rejetée, vous les bâtisseurs, et il est devenu la pierre d’angle. » (Ps 117,22 ; Ac 4,11) Comme des maçons de métier qui auraient laissé de côté la meilleure des pierres disponibles, les prêtres et maîtres des Saintes Écritures n’ont pas su reconnaître en Jésus de Nazareth le Messie envoyé par Dieu. Cette charge, fondée sur les Écritures mêmes (Ps 117,22), conteste l’autorité des chefs religieux – des théologiens professionnels – au nom de l’expérience de foi des croyants, validée par la guérison qui s’est produite. Pierre et Jean invitent à la reconnaissance – même tardive – de Jésus ressuscité, Messie choisi par Dieu, à la vue de la vie qui déborde et guérit en son nom. La première des reconnaissances est venue de Dieu lui-même, qui a fait de la pierre rejetée la pierre d’angle, c’est-à-dire qui a ressuscité le crucifié, qui a innocenté le condamné, et qui lui a reconnu le rôle de sauveur de tous (Ac 4,12).

Jésus, le bon pasteur

L’Évangile de Jean nomme Jésus le vrai, le bon berger d’Israël (Jn 10,11). En Israël et dans le Proche-Orient ancien, des sociétés basées sur l’agriculture et l’élevage, le peuple faisait figure de troupeau et son guide faisait figure de « berger ». Le prophète Ézéchiel avait déjà tonné contre les faux bergers d’Israël, qui se souciaient davantage de leurs propres intérêts que du bien-être du troupeau (Ez 34). Des siècles plus tard, saint Jean applique cette accusation aux guides d’Israël de son temps, en particulier aux Pharisiens. Jean avance deux critères de discernement du vrai berger : 1) il est reconnu de ses brebis (Jn 10,14), qui écoutent sa voix (Jn 10,16) ; puis 2) il donne sa vie pour protéger ses brebis (Jn 10,15.17-18). Saint Jean réinterprète ainsi l’exécution de Jésus sur une croix romaine comme étant en fait le sacrifice du berger pour sauver ses brebis. L’évangéliste interprète aussi la foule de disciples reconnaissant la voix du Christ ressuscité et se montrant prêts à le suivre comme un autre signe que Jésus est vraiment le bon berger qu’Israël attendait.

Des brebis venant d’ailleurs

Qui a raison? Pierre et Jean ou le Sanhédrin? Israël ne savait plus où tourner la tête… Entre temps, grâce à la prédication des apôtres, même des non-juifs se faisaient chrétiens, baptisés au nom de Jésus Christ. L’entrée des peuples (dits les Gentils) dans les rangs des disciples du Christ a compliqué davantage la polémique avec les autorités juives. Saint Jean les appelle les brebis d’une autre bergerie, que le Christ doit conduire aussi (Jn 10,16). Il faut comprendre qu’Israël répondait à l’appel à la sainteté lancé par Dieu (Lévitique 11,45 ; 19,2) par des lois qui le séparaient des autres nations ou peuples. « Il y aura un seul troupeau et un seul pasteur » (Jn 10,16) n’était pas une bonne nouvelle pour la sainteté d’Israël dans ce contexte. Le succès des apôtres auprès des autres peuples et la volonté de l’Église de devenir un seul peuple de Dieu où tous ses enfants sont réunis, sans distinction d’origine, poussa le débat dans une impasse. Dans un repli identitaire, Israël expulsa de ses rangs tous ceux et celles qui confessaient Jésus le Christ. Alors que Jésus, Paul, Pierre et Jean étaient nés juifs, désormais il fallait choisir : juif ou chrétien, mais plus les deux en même temps. Des mêmes Écritures Saintes, deux religions antagonistes étaient nées…

Qu’il est difficile de discerner la voix de Dieu chez les prophètes et dans les Écritures! Qui dit vrai? Qui interprète correctement? Comment s’assurer de ne pas rejeter la pierre d’angle, celle sur laquelle Dieu voudrait que nous bâtissions? Israël et l’Église s’entendent sur une chose : nous sommes appelés à correspondre à l’amour et à la sainteté de Dieu déployés à notre égard.

Vous serez saints car je suis saint (Lévitique 11,45 ; 19,2).
Nous serons semblables à lui (1 Jean 3, 2).

Dans sa première lettre, saint Jean laisse la porte ouverte à l’inédit de Dieu. Tout en reconnaissant que nous sommes déjà enfants de Dieu par amour (1 Jn 3,1-2), il affirme que ce que nous serons ne paraît pas encore clairement. Interprétation et discernement font partie de notre quotidien dans la foi. Pour que nous puissions parfaitement correspondre à l’appel de Dieu, nous devons nous tourner vers sa manifestation ultime et la désirer ardemment. Il nous appartient de désirer entendre la voix du Dieu vivant et le voir enfin face à face, comme nous le dit saint Paul :

Nous voyons actuellement une image obscure dans un miroir; ce jour-là, nous verrons face à face. Actuellement, ma connaissance est partielle; ce jour-là, je connaîtrai vraiment, comme Dieu m’a connu (1 Corinthiens 13,12).

C’est dire que nous devons accepter avec humilité nos faiblesses et nos possibles erreurs d’interprétation de la volonté de Dieu en chemin, en dialogue les uns avec les autres. D’ici là, le Fils ressuscité nous est offert comme guide et comme cadeau, comme icône de ce que nous deviendrons par la grâce miséricordieuse du Père.

Rodolfo Felices Luna est professeur à l’Oblate School of Theology (San Antonio, Texas).

Source : Le Feuillet biblique, no 2708. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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