Tentation. © Rosetta Ceesay (avec l’autorisation de l’artiste).

Le désert, le jeûne et les tentations de Jésus

Jean-Chrysostome ZoloshiLorraine Caza | 1er dimanche du carême (C) – 6 mars 2022

La tentation de Jésus : Luc 4, 1-13
Les lectures : Deutéronome 26, 4-10 ; Psaume 90 (91) ; Romains 10, 8-13
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Les évangiles synoptiques – Marc, Matthieu et Luc nous – offrent, tous trois, le récit du baptême de Jésus par Jean, dans le Jourdain, et tous trois font suivre ce récit d’un mystérieux dialogue entre Jésus et le démon. En cette année C du cycle liturgique, c’est le récit de Luc qui nous est proposé. Alors que la présentation par Marc est très succincte, celle de Luc comme celle de Matthieu est plus développée.

Les trois évangélistes précisent que c’est l’Esprit Saint qui pousse Jésus au désert. À noter que Luc, chez qui la présence de l’Esprit est davantage mise en évidence, avait déjà souligné qu’après son baptême, Jésus était rempli d’Esprit Saint. Puis, au verset qui suit immédiatement l’épisode des tentations, en introduisant le ministère de Jésus, Luc dit encore : Jésus retourna en Galilée, avec la puissance de l’Esprit. Pour Matthieu et Luc, l’heure des tentations est aussi un temps de jeûne où il s’abstient de toute nourriture pendant 40 jours (Matthieu ajoute : et 40 nuits). On n’est pas surpris lorsque Luc précise qu’après cette période de jeûne strict, Jésus eut faim. La première sollicitation du démon est d’autant plus attirante : Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. Jésus a reçu du Père la mission de Serviteur, et voilà que le diable lui propose d’agir en maître. Face à chacune des trois tentations mentionnées dans le récit, Jésus répliquera toujours en citant le Deutéronome. À la première, il répond : Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre (Dt 8,3).

La deuxième tentation veut engager Jésus dans une mission où il se manifesterait comme roi de l’univers : Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car cela m’appartient et je le donnerai à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela. À cette proposition du Malin, Jésus répond par un autre verset du Deutéronome : Il est écrit : Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu et c’est lui seul que tu adoreras. Il est particulièrement étonnant de voir que, dans cette seconde tentation, le démon est présenté comme citant l’Écriture, soit le Psaume 91,11-12.

La troisième tentation, dans l’ordre où Luc situe les sollicitations du démon, nous conduit à Jérusalem, au pinacle du temple. Ici le diable invite Jésus à montrer sa puissance en déjouant les lois de la nature, en performant un miracle qui déjoue en quelque sorte la logique du Verbe fait chair, la logique de l’Incarnation. La réponse de Jésus reprend encore le Deutéronome : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu (Dt 6,16).

40 dans l’histoire d’Israël, chez Moïse, chez Élie

Ces 40 jours de Jésus au désert, plongé dans un jeûne complet, testé par le malin, nous renvoie aux 40 années du peuple d’Israël, dans le désert. C’est encore au livre du Deutéronome que nous sommes invités à retourner pour nous souvenir : Souviens-toi de tout le chemin que ton Dieu t’a fait faire pendant 40 ans dans le désert, afin de t’humilier, de t’éprouver et de connaître le fond de ton cœur. Allais-tu ou non garder ses commandements? Il t’a humilié, il t’a fait sentir la faim, il t’a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères n’aviez connue, pour te montrer que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais que l’homme vit de tout ce qui sort de la bouche de Dieu (Dt 8,2-3). N’est-il pas intéressant aussi de nous rappeler que les 40 jours où Jésus a épuisé toutes les formes de tentation nous renvoient aux 40 jours et 40 nuits de jeûne de Moïse (Dt 9,9.18 ; Exode 34,28)? et encore aux 40 jours et 40 nuits d’Élie jusqu’à l’Horeb (1 Rois 19,8)? Et nous savons bien que ce sont Moïse et Élie qui entoureront Jésus au jour de la Transfiguration.

Notre Carême 2022 et la synodalité

En ces mois de la première phase du Synode sur la synodalité, pouvons-nous laisser l’expérience de Jésus sur laquelle nous avons médité inspirer notre écoute les uns des autres? Le pape François ne cesse de nous répéter que nous avons un changement de mentalité à introduire dans l’Église. Il nous faut tous et toutes penser communion, participation, mission. Nous devons tout faire pour nous développer en personnes de rencontre, d’écoute et de discernement. Dans cette perspective, prenons le temps de nous demander : Qu’est-ce qui nous fait vivre? Est-ce surtout notre faim et notre soif des biens matériels? Est-ce notre désir plus ou moins dissimulé d’un pouvoir, d’une domination sur les personnes? Est-ce que nous sommes touchés par cette sécularisation radicale qui frappe tellement fort dans notre société et qui fait qu’on n’ose plus faire référence à Dieu, à son existence, à son agir dans l’histoire? Permettons-nous aux gens avec qui nous sommes en contact de nous partager où ils en sont par rapport à ces questions fondamentales?

Quelle est dans ma vie l’attitude, la parole, la pensée qui exprime que, pour moi, l’être humain ne vit pas seulement de pain? Qu’est-ce qui permet aux gens de mon entourage d’être conscients que c’est Dieu que j’adore, à qui je rends un culte? Comment est-ce que je confesse dans ma vie que Dieu est Dieu? Et si je visitais mes déserts, mes jeûnes, mes tentations!

L’histoire d’une alliance

Quelle merveilleuse synthèse des grands pans de l’histoire de l’Alliance de Dieu avec l’humanité nous est offerte dans l’ensemble des textes de la liturgie de la Parole de ce premier dimanche du carême, de ce temps privilégié de conversion! Nous avons vu comment le récit lucanien des tentations de Jésus témoigne de la fidélité inconditionnelle de Jésus à la volonté de son Père, alors qu’il épuise toutes les formes de tentations. Et cette fidélité absolue, elle est exprimée à l’aide de paroles du Deutéronome mises sur les lèvres de Jésus.

Première lecture

Mais n’oublions pas que, dès la première lecture de cette liturgie, nous trouvons un texte fameux de ce deuxième livre de la Loi où est résumé le destin d’Israël : « Mon Père était un Araméen vagabond… » qui descend en Égypte, y vit en immigré, y devient une grande nation, puissante et nombreuse, y est persécuté par les Égyptiens, crie vers Dieu avec des lamentations que le Ps 90 rejoint en ce dimanche, est entendu du Très-Haut qui le libère de l’esclavage d’Égypte par la force de sa main , la vigueur de son bras, des actions terrifiantes, des signes et des prodiges, et lui donne un pays où ruisselle le lait et le miel. Le peuple offre alors à Dieu les prémices de ce qu’il a reçu de lui.

Deuxième lecture

Avec un passage de sa lettre aux Romains, Paul insiste sur la centralité de la foi en la résurrection du Christ dans cet insondable dessein de Dieu : « Si tu affirmes de ta bouche que Jésus est Seigneur, si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé. » Croire au fond de son cœur, affirmer cette foi de sa bouche est la clef : Il n’y a pas de différence entre Juifs et païens : tous ont le même Seigneur… tous ceux qui l’invoquent seront sauvés. 

Et le psaume

À la fin du seul récit lucanien des tentations, se trouve la remarque qu’ayant épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au temps fixé. Mais, de quel temps est-il question? Nous savons qu’au moment d’introduire la trahison de Judas, Luc mentionne la présence du Malin (Lc 22,3.53). Cet émouvant psaume 90 que nous retrouvons entre les deux premières lectures a-t-il pu être crié par Jésus en son expérience au désert, à l’heure de la trahison par Judas, à l’heure de la croix? Peut-on penser qu’un cri semblable ait été poussé par le peuple au désert du Sinaï? Nous, dans nos déserts, nos jeûnes, nos tentations, savons-nous professer notre conviction que nous sommes à l’abri, près du Très-Haut, à l’ombre du Puissant, que Dieu est notre refuge, notre rempart, notre Dieu dont nous sommes sûrs? Dans notre prière, entendons-nous ce Dieu qui nous dit : « Le malheur ne pourra te toucher ni le danger approcher de ta demeure; (il) Je donne mission à (ses) mes anges de te garder sur tous tes chemins… tu m’appelles et je suis avec toi dans ton épreuve ». 

Que ce carême soit pour chacun, chacune de nous un temps particulièrement favorable pour apprendre à mieux marcher ensemble, à mieux nous écouter les uns les autres, à mieux discerner ce que Dieu veut pour son Église, aujourd’hui, en un mot un temps privilégié pour apprendre la synodalité.

Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Lorraine Caza est bibliste et professeure honoraire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa).

Source : Le Feuillet biblique, no 2746. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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