Le Christ et la femme adultère. Titien, c. 1512-1515. Huile sur toile, 82,5 x 136,5 cm. Musée d’histoire de l’art, Vienne (Wikimedia).

La justice venant de Dieu

Yvan MathieuYvan Mathieu | 5e dimanche du Carême (C) – 3 avril 2022

La femme adultère : Jean 8, 1-11
Les lectures : Isaïe 43, 16-21 ; Psaume 125 (126) ; Philippiens 3, 8-14
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

En ce premier dimanche d’avril, nous franchissons la cinquième étape de notre marche vers Pâques. Depuis quatre semaines, l’évangéliste Luc a été notre guide. Aujourd’hui, nous lisons plutôt une page de l’Évangile selon saint Jean. De l’avis de nombreux commentateurs, « le vocabulaire de la péricope comme sa tendance théologique marquée donnent à penser qu’elle est l’œuvre de Luc [1] ». Sans entrer dans ce débat, disons que ce petit récit arrive à point dans notre démarche du carême. Après la parabole du père prodigue de miséricorde envers ses fils, nous allons maintenant contempler la miséricorde à l’œuvre.

Jésus, maître contesté de la Loi

La scène se déroule pendant la troisième visite de Jésus à Jérusalem dans l’évangile de Jean. Il y est monté une première fois pour la Pâque (Jn 2,13–3,36). Il y est revenu pour une deuxième fête (Jn 5) pendant laquelle il a guéri un malade à la piscine de Bethzatha. Cette fois, il y est monté pour la fête des Tentes, « non pas ostensiblement, mais en secret » (Jn 7,10). Sa présence au Temple donne lieu à un grand débat. Comment est-il instruit sans avoir étudié? » (Jn 7,15). « C’est vraiment lui, le Prophète annoncé! (Jn 7,40) Jamais un homme n’a parlé de la sorte! (Jn 7,46) Mais les pharisiens, à l’exception de Nicodème, ne reconnaissent pas son autorité.

Jésus, maître que rien n’arrête

Mais cela n’empêche pas Jésus d’accomplir sa mission. Fidèle à son habitude (voir Lc 21,37-38), il s’en alla au mont des Oliviers. Dès l’aurore, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner (Jn 8,1-2). Si les chefs du peuple et les pharisiens ne croient pas en lui (voir Jn 7,48), « tout le peuple », c’est à dire « les pauvres gens et les cœurs simples qui sont ouverts à la Parole de Dieu [2] », ont faim et soif de la parole de Jésus. Celui-ci interprète pour eux la Loi avec sagesse. Mais sa sagesse et sa fidélité à la Loi seront mises à rude épreuve.

Scribes et pharisiens amènent à Jésus une adultère

Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. Ils la mettent au milieu, et disent à Jésus : “Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu?” (Jn 8,3-5). Observons d’abord cette malheureuse femme adultère, maintenant exposée en public, bien en vue. En lisant entre les lignes, on devine une femme qui cherchait à être aimée sans jamais trouver le véritable amour. Nul ne peut commettre l’adultère seul! Où était donc passé l’homme avec qui elle s’était commise? Courait-il donc plus vite qu’elle? Chose certaine, cet homme ne l’aimait pas. Autrement, il ne l’aurait pas abandonnée, seule, aux mains des scribes et des pharisiens.

Le véritable accusé : Jésus !

Le sort de cette femme était déjà décidé. Selon la Loi de Moïse, elle méritait la mort par lapidation (voir Lv 20,10 ; Dt 22,22-24). La seule raison pour laquelle la femme adultère était encore en vie était qu’elle pouvait servir à tendre un piège à Jésus.  Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser (Jn 8,6a). De fait Jésus se trouve dans une impasse. « Si Jésus ne prend pas parti pour la Loi, il sera accusé de la transgresser. S’il tranche en faveur de la Loi, sa réputation et sa doctrine sur la miséricorde seront gravement compromises. […] “Toi qui prêches le pardon de Dieu, toi qui prétends être venu chercher les pécheurs (voir Lc 15), que dis-tu de ce cas qu’on te présente?” [3] ».

Un geste inusité

Jésus répond d’abord par un silence accompagné d’un geste difficile à comprendre. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre (Jn 8,6b). Qu’écrivait-il au juste? « Une tradition qui remonte à saint Jérôme a imaginé qu’il déclinait les péchés de ses accusateurs. […] Mieux vaut respecter l’imprécision du texte [4] ». Jésus refuse simplement d’émettre un jugement. Il n’a rien contre la Loi de Moïse. Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir (Mt 5,17). Or, l’accomplissement de la Loi et des Prophètes passe par l’amour, qui se fait miséricorde. C’est ce que montrera le reste du récit.

Une parole miroir

Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : “Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre” (Jn 8,7). À l’insistance de ses adversaires, qui ont déjà condamné cette femme à la lapidation, Jésus oppose une parole pleine de « sagesse, empreinte tout à la fois de justice et de miséricorde [5] ». Jésus est fidèle à la Loi, qui prescrit « que le témoin soit le premier à lapider le coupable (Deutéronome 13,9-10 ; 17,7[6] ». Il renvoie les accusateurs à leur conscience. Quelle est leur véritable intention?

Qui peut prétendre être sans péché?

Jésus semble confiant que sa réponse changera les cœurs. Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre (Jn 8,8). Saint Augustin commente avec justesse. « Oui, c’était la justice même qui s’exprimait par la bouche de Jésus ; aussi, frappés par ces paroles comme par un trait énorme, ils se regardèrent mutuellement, et se reconnaissant coupables, “ils se retirèrent tous l’un après l’autre”, et il ne resta que la misérable pécheresse en face de la bonté miséricordieuse [7] » (voir Jn 8,9).

Seule face à l’amour

Après le départ des accusateurs, Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu (Jn 8,9b). « Jésus a regardé cette femme dans les yeux et il a lu dans son cœur : il y a trouvé le désir d’être comprise, pardonnée, et libérée. La misère du péché a été recouverte par la miséricorde de l’amour [8] ». Il se redressa et lui demanda : “Femme, où sont-ils donc? Personne ne t’a condamnée?” Elle répondit : “Personne, Seigne ur”. Et Jésus lui dit : “Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus” (Jn 8,10-11).

Se laisser revêtir par l’amour

En revivant la rencontre entre Jésus et la femme adultère, nous sommes appelés, nous aussi, à nous laisser regarder par le Seigneur. Il veut nous revêtir de son amour miséricordieux. Moi, je ne juge personne (Jn 8,15), dira-t-il. Il reconnaît qu’il y a péché. Mais son pardon ouvre un avenir où notre liberté peut s’engager : Va, et désormais ne pèche plus (Jn 8,11b). Ainsi peut s’accomplir la prophétie : Le Seigneur dit : Ne faites plus mémoire des événements passés, ne songez plus aux choses d’autrefois. Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas? (Isaïe 43,17b-19). Avec Paul, nous pourrons dire : Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus (Philippiens 3,13b-14).

Père mariste, Yvan Mathieu est professeur à l’Université Saint-Paul (Ottawa).

[1] Domingo Muños León, « Jésus pardonne à la femme adultère (Jn 8,1-11) », dans Assemblées du Seigneur, NS 18 (1971), p. 55-65 (57).
[2] Muños León, « Jésus pardonne à la femme adultère (Jn 8,1-11) », p. 61.
[3] Muños León, « Jésus pardonne à la femme adultère (Jn 8,1-11) », p. 61.
[4] Alain Marchadour, L’évangile de Jean. Commentaire pastoral, Paris-Outremont, Centurion-Novalis, 1992, p. 124.
[5] Muños León, « Jésus pardonne à la femme adultère (Jn 8,1-11) », p. 63.
[6] Muños León, « Jésus pardonne à la femme adultère (Jn 8,1-11) », p. 63.
[7] Saint Augustin, Tractatus in Ioannem, 33, 5. (https://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Staugustin/jean/tr31-40/tr33.htm). Relicti sunt duo : misera et misericordia.
[8] Pape François, Lettre apostolique Misericodia et misera (20 novembre 2016), § 1.

Source : Le Feuillet biblique, no 2750. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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