Le malfaiteur repentant. Vitrail du musée de la Cathédrale, Milan (Wikiwand).

Quel roi !

Yves Guillemette Yves Guillemette | Le Christ roi (C) – 20 novembre 2022

Jésus en croix est insulté : Luc 23, 35-43
Les lectures : 2 Samuel 5, 1-3 ; Psaume 121 (122) ; Colossiens 1, 12-20
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

La mission de Jésus s’est déroulée à une époque de l’histoire du peuple juif fortement marquée par un esprit nationaliste s’exprimant à travers l’attente d’un roi-messie qui viendrait libérer son peuple du joug romain. À plusieurs reprises, tel que nous le rapportent tous les évangélistes, Jésus est interrogé par les autorités religieuses sur ses prétentions à la royauté. C’est justement sous l’inculpation de « roi des Juifs » que Jésus sera finalement condamné, comme l’indique l’écriteau placé sur la croix.

La scène du Calvaire, sous la plume de Luc, regroupe tous les traits royaux dispersés dans la tradition synoptique : les moqueries de chefs défiant le Messie de Dieu (v. 35), celles des soldats romains sur le roi des Juifs (v. 37), l’ironie du mauvais larron sur le Messie (v. 39). L’étude de ce récit nous permettra de cerner d’un peu plus près la nature de la royauté de Jésus. Pour cela, il faut situer notre passage dans un contexte plus vaste, tant celui de l’Évangile de Luc que celui du récit de la Passion.

Une triple tentation

Luc reconnaît à la mort de Jésus une efficacité salvifique, mais il la présente aussi comme l’effort ultime des forces du mal contre le dessein divin. Pour lui, la mort de Jésus est provoquée par l’Adversaire, qui mobilise à son service tant les Juifs que les païens. En suivant cette interprétation de Luc, la scène du Calvaire nous renvoie à celle des tentations au désert (Luc 4,1-13). À la fin de cette épreuve-là , Luc écrit que ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé (v. 13). Ce temps fixé, nous y voilà donc arrivés.

Les moqueries adressées à Jésus en croix, tout comme les tentations au désert, font références à trois thèmes majeurs : le don de la vie, le pouvoir politique et l’autorité religieuse.
• Le don de la vie : le pouvoir de changer les pierres en pain (4,3-4) et le pouvoir de se sauver et de sauver les autres (23,35) ;
• Le pouvoir politique : l’offre de tous les royaumes de la terre (4,5-8) et la dérision du « roi des Juifs » par les soldats (23,36-37) ;
• L’autorité religieuse : la chute du haut du Temple (4,9-12) et la moquerie des autorités religieuses à l’égard du Messie (23, 35).

Ces moqueries provenant des différents « spectateurs » sont d’autres formes de tentations mettant Jésus à l’épreuve. On lui demande de prouver aux yeux du peuple qu’il est vraiment le Roi-Messie ; ce que contredisent les souffrances et l’échec de la condamnation, car le messie est sensé être un personnage victorieux. C’est plutôt la réponse de Jésus au malfaiteur repentant qui révélera sa véritable identité de Messie.

Le dialogue de Jésus avec le malfaiteur repentant

Alors que Pilate avait reconnu l’innocence de Jésus, le malfaiteur repentant, – traditionnellement appelé le bon larron –, s’en fait l’écho. Il ouvre son cœur à l’innocent placé au rang des malfaiteurs : Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume (v. 42). Cet appel au « souvenir » est une référence à la présence de Dieu qui agit avec miséricorde envers son peuple, en raison de son engagement à demeurer fidèle à l’alliance :

            Il se souvint pour eux de son alliance,
            il s’émut selon son grand amour (Psaume 106,45).

La supplication du malfaiteur fait inclusion avec la finale du Magnificat, où Marie chante les merveilles de Dieu :

            Il relève Israël son serviteur,
            il se souvient de sa miséricorde,
            de la promesse faite à nos pères,
            en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais (Luc 1,54-55).

La prière du malfaiteur est exaucée et comblée au-delà de toute espérance : Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis (v. 43). La réponse de Jésus, appuyée par un Amen solennel, énonce une grande vérité. De plus, le mot « aujourd’hui » (sèmeron), placé en évidence, accentue le caractère actuel et immédiat de la venue de Jésus comme Sauveur. Cet « aujourd’hui » est l’ultime d’une série d’autres « aujourd’hui » qui sont toujours en rapport avec la réalité présente du salut à l’œuvre pour quelqu’un et dans un lieu précis :

  • La Bonne nouvelle de la naissance de Jésus à Bethléem : Aujourd’hui vous est né un sauveur (2,11) ;
  • La prédication inaugurale de Jésus à Nazareth : Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre (4,21) ;
  • La décision d’entrer dans la maison et la vie de Zachée à Jéricho : Aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison (19,5-6).

Le salut accordé au malfaiteur repentant le fait entrer au moment même dans la condition de disciple comme le souligne le avec moi. Alors que les spectateurs mettent Jésus au défi de se sauver lui-même, ou de descendre de la croix pour prouver qu’il est le Messie, Jésus accorde le salut au malfaiteur repentant. C’est le dernier acte du ministère de Jésus tel que rapporté par Luc dans son évangile ; et par le fait même, le récit de la passion se termine par un acte de miséricorde.

La royauté de Jésus

Quand on parcourt les évangiles, on s’aperçoit que Jésus parlait volontiers du royaume ou du règne de Dieu. Mais il a évité de parler de sa royauté tout comme il évitait, et refusait même, toute référence au fait qu’il soit le messie. Si quelqu’un faisait allusion au roi ou au messie, Jésus s’empressait de le faire taire, ou d’y opposer ses souffrances à venir. Chose étonnante toutefois, Jésus parlera volontiers de sa royauté dans le récit de la passion selon saint Luc. Quel sens alors Jésus donne-t-il à sa royauté?

Au cours de la dernière Cène, Jésus oppose son comportement, fait de service et de don de soi, à celui des rois païens qui font sentir leur pouvoir sur leurs sujets (Luc 22,25-27). Après le repas, Jésus révèle qu’il détient sa royauté de son Père qui en a disposé en sa faveur et que lui-même en disposera pour ses disciples. La royauté de Jésus est donc liée à celle de Dieu, il la reçoit du Père car il en est le Fils (22,28-30)

Pendant l’interrogatoire des membres du Grand Conseil (le Sanhédrin), Jésus proclame qu’il siégera à la droite de Dieu (22,66-71). Un élément nouveau apparaît ici. L’intronisation messianique de Jésus a lieu dès maintenant et non dans un temps eschatologique. Elle s’accomplit dans la résurrection glorieuse. Cette conception est sous-jacente à la réponse de Jésus au malfaiteur repentant.

À lire le récit de la passion, nous constatons que la royauté de Jésus est à l’opposé des royautés du monde. Elle est incomprise des Juifs qui espèrent la venue d’un chef puissant et victorieux qui répondra à leur attente messianique, tout comme elle est incomprise des autorités romaines qui craignent la montée en puissance d’un rival de l’empereur. La royauté de Jésus s’affirme dans le service et le salut. En cette fête du Christ roi, retenons que Jésus accomplit sa royauté non pas en se sauvant lui-même, mais en sauvant ceux qui croient en lui. Enfin, la royauté de Jésus trouve son accomplissement dans la résurrection.

Yves Guillemette est curé de la paroisse Saint-Léon de Westmount et directeur du site interBible.org.

Source : Le Feuillet biblique, no 2776. Le présent texte est une réécriture et contient plusieurs additions par rapport à sa première édition (Feuillet biblique 1207, 23 novembre 1986). Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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