L’appel des premiers disciples (détails). James Tissot, 1886-1896. Aquarelle opaque et graphite, 24,4 x 16,8 cm. Brooklyn Museum, New York.

Devenir disciple, une décision sérieuse

Julienne CôtéJulienne Côté | 23e dimanche du Temps ordinaire (C) – 4 septembre 2022

Renoncer à tout pour suivre Jésus : Luc 14, 25-33
Les lectures : Sagesse 9, 13-18 ; Psaume 89 (90) ; Billet à Philémon, versets 9b-10.12-17
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Le chapitre 14 de l’évangile de Luc présente un ensemble d’épisodes où se juxtaposent une guérison (vv. 1-6), une parabole (vv. 7-11), une instruction quant au choix des invités à un repas (vv. 12-14) et une autre parabole sur des invités sans courtoisie qui refusent l’invitation au festin et qui sont remplacés par des convives inhabituels (15-24). Inséré dans la longue montée de Jésus vers Jérusalem (9, 51–19, 28), ce chapitre conjugue donc deux thèmes, celui des invités au festin du Royaume et celui des exigences qu’impose l’état de disciple. La péricope de ce dimanche (vv. 25-33) expose ce dernier thème (voir aussi l’enseignement esquissé en 6,27-38 ; 9,23-26) en une série de sentences qui présentent trois centres d’intérêt :

  • le renoncement exigé pour être disciple (vv. 25-27) ;
  • les nécessaires conditions à respecter avant d’entreprendre une œuvre (vv. 28-32) ;
  • la radicalité de l’engagement (v. 33).

Les traits de visage du disciple

La péricope met en scène Jésus et de grandes foules. De grandes foules de gens pauvres et de gens humbles. Ils entourent Jésus, avec au cœur une certitude, une attente. L’évangéliste ne s’attarde pas à décrire leurs dispositions, mais fixant son attention sur Jésus, d’un trait, il informe le lecteur que Jésus va donner un enseignement. Jésus se retourna (v. 25). Que dit-il aux foules, et non pas uniquement aux apôtres?

« Si quelqu’un vient à moi
sans me préférer à son père, sa mère, sa femme,
ses enfants, ses frères et sœurs,
et même à sa propre vie,
il ne peut pas être mon disciple. » (v. 26)

Jésus, dans cette sentence, rappelle les exigences inhérentes à la vocation de disciple, ce disciple invité gratuitement au festin du Royaume. D’emblée, elles peuvent apparaître dures, voire décourageantes. Et alors… nous sommes peut-être tentés d’estomper la dimension de radicalité qu’elles expriment. Aussi scrutons davantage quelques mots.

Matthieu emploie la tournure comparative « aimer… plus que » (Mt 10,37) alors que Luc, en référence à l’Ancien Testament (Genèse 29,31.33 ; Deutéronome 21,15ss), retient le verbe « haïr » qui rend littéralement l’expression araméenne. Dans cette langue, on pense plutôt par couple de contraires, sans s’attarder aux nuances intermédiaires. Haïr! Cela n’implique pas l’abandon de nos relations familiales et humaines mais « une relativisation voulue qui fait passer les choses de ce monde au second rang dès que l’intérêt de Dieu se trouve en jeu. Jésus exige une loyauté totale et, au sens étymologique du terme latin, une dévotion à sa personne sans partage ni conditions » (J. Seyaeneve, Exigences de la condition chrétienne). En fait, la traduction liturgique, en employant sans me préférer…, met en évidence le fait que Jésus ne récuse pas les relations ni l’amour de sa propre vie, mais plutôt qu’il demande de subordonner ses affections les plus chères à l’amour absolu qu’on doit lui vouer et, si nécessaire, de rompre avec les liens familiaux les plus étroits pour marcher à sa suite.

Suivre Jésus implique de porter sa croix (v. 27). La souffrance est au cœur de toute vie humaine et nous savons combien certains êtres connaissent plus que d’autres des souffrances dans leur cœur et dans leur corps. Nous pouvons penser entre autres à ceux et celles qu’on torture physiquement ou moralement, qu’on abandonne ou rejette. La croix est là. Quant au disciple du Christ qui prend à cœur les intérêts du Royaume, son engagement pourra être vécu, un jour ou l’autre, dans des situations douloureuses et crucifiantes. Suivre le Christ comporte fondamentalement l’acceptation de la croix. Le chapitre 14, comme il a été dit, s’insère dans le long développement de la montée de Jésus vers sa mort-résurrection. À Jérusalem, Jésus connaît l’hostilité des siens, la trahison et le reniement et, à la fin, le crucifiement. Il nous dévoile son acceptation amoureuse de la volonté du Père, son engagement total, sans restrictions et sans réserve, son amour sans calcul et sans limites pour ses frères et sœurs en humanité. Cette radicalité vécue par Jésus montre le sérieux d’une option, et nous rappelle à quelle profondeur et à quelle radicalité se situe l’adhésion du vrai disciple.

Deux paraboles qui illustrent le sérieux d’une décision.

Deux paraboles viennent illustrer la nécessité pour le bâtisseur de la tour de calculer la dépense (v. 28), et pour le roi qui part en guerre d’évaluer les effectifs des armées en présence. Dans la première image, le constructeur peut abandonner le projet ; ainsi il fera l’économie de railleries déplaisantes. Dans la seconde, le roi peut éviter une défaite coûteuse et humiliante, à la condition d’accepter certains sacrifices. Dans l’un et l’autre cas, une période de réflexion et de discernement s’impose avant l’engagement. Une période de lucidité, de prudence et de sagesse. N’utilisons-nous pas couramment le proverbe Il faut réfléchir avant d’agir? Ainsi en est-il pour celui ou celle qui veut devenir disciple du Christ : avant de s’engager, il réfléchit aux implications que sous-entend sa décision.

Le disciple conduit son engagement jusqu’au bout

De même, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tous ses biens, ne peut pas être mon disciple. Le verset 33, dans une sentence généralisatrice, reformule le v. 27 avec lequel il forme une inclusion. Il affirme que le disciple qui, face au Christ, a pris la décision de s’engager ne regarde pas en arrière. Dans sa marche quotidienne à la suite de Jésus, il développe un état d’esprit, un style de vie où le renoncement a sa place ; un état d’esprit qui le fait s’appuyer sur Dieu avant de compter sur ses richesses et ses talents ; un style de vie où il consent à renoncer à un certain confort ; une manière d’être qui le pousse effectivement et concrètement au partage et à la justice. Progressivement une parenté de pratique et destin avec Jésus s’établit et se renforce.

Si quelqu’un vient à moi… (v. 26)

On aura remarqué, dans cette courte péricope, l’emploi répété du pronom « mon » et de l’expression « à moi ». Avec Jésus, il s’agit toujours d’une relation personnalisée. Nous comprenons qu’à l’amour du Seigneur nous pouvons répondre par un amour qui s’exprime, se renouvelle et s’invente au rythme des circonstances et des événements, à l’intérieur d’engagements qui font advenir un monde plus humain. Radicalité il y a, oui! Mais cette radicalité est toute orientée vers le Christ et vers le prochain.

Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Julienne Côté a fait ses études supérieures en théologie et en études bibliques à l’Institut catholique de Paris. Elle a écrit pour la revue Vie liturgique de 1985 à 1990 et collabore au Feuillet biblique depuis 1987.

Source : Le Feuillet biblique, no 2765. Première parution dans le Feuillet biblique no 1196. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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