Saintes femmes au tombeau. Denis Maurice, 1894. Huile (Wikioo).

Se souvenir des paroles du Vivant

Francine Robert Francine Robert | Résurrection du Seigneur (C) – 17 avril 2022

Le tombeau vide : Luc 24, 1-12, évangile de la Vigile pascale
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Les récits de femmes venues au tombeau vide et y recevant l’annonce de la résurrection de Jésus reflètent une tradition déjà ancienne avant que nos Évangiles soient écrits. Il est donc enrichissant pour nous d’observer comment chaque évangéliste a retravaillé cette tradition pour proposer une catéchèse originale, pour nourrir l’expérience chrétienne. Le récit de Luc est vraiment stimulant, car il me paraît le mieux adapté à ce que nous vivons aujourd’hui.

Des femmes au tombeau

Luc a étoffé le personnage des femmes. En vue de leur devoir d’embaumement, elles ont observé le corps placé au tombeau et préparé à l’avance les aromates. Luc souligne ainsi leur fidélité à Jésus, et à la Torah : elles observent le sabbat (23,55-56). Un bien sombre sabbat pour tous les disciples endeuillés et consternés.

Arrivées avant le lever du jour, les trois femmes constatent l’absence du corps de Jésus. Elles sont ‘déroutées’ ; le chemin prévu est une impasse, selon le mot grec ici, racine du français aporie. Leur projet est un cul-de-sac. La brusque apparition de deux hommes, dont les vêtements éblouissants sont un code qui évoque les anges, remplit les femmes de crainte, la crainte suscitée par tout phénomène qui suggère la présence du divin.

Alors arrive, sous forme de question, la proclamation de l’imprévisible, l’inouï qui les oriente complètement ailleurs : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? » Cette parole propre à Luc construit une forte opposition mort-vie : vous êtes tournées vers un mort, mais celui que vous cherchez est LE Vivant! La formulation est radicale, car Luc utilise le mot Vivant comme un nom, avec un article défini. Jésus n’est pas qualifié de vivant, il est proclamé Le Vivant par excellence. L’événement de la résurrection n’est pas mis en priorité ici, mais dit en second : il est réveillé.

L’interpellation par une question est une invitation à réfléchir. Les messagers situent les femmes comme des sujets, plutôt que de simples porte-parole. La suite du récit va accentuer cet aspect.

Souvenez-vous !

L’appel à la mémoire est une intervention majeure de Luc. Alors qu’en Marc le messager rappelle la promesse de Jésus d’une future rencontre en Galilée, ici les femmes sont appelées à se souvenir des paroles dites en Galilée. Une raison pratique à ce changement est que Luc regroupe ses récits d’apparition à Jérusalem, là où tout a commencé (1,5ss), et là d’où partira la mission (Actes 1,4.8). Il évite donc l’appel à retourner en Galilée.

Mais il y a bien plus, ici, comme effet de sens. D’abord le jeu de mots très évocateur : on passe du tombeau (mnèmeion), mémorial d’un mort, à la mémoire des paroles d’un vivant. Se souvenir : verbe grec venant de mneia souvenir, mémoire. Ne vous fixez plus sur un mort, et ne soyez surtout pas a-mnésiques ! Au-delà de l’impasse du tombeau vide, le nouveau chemin ouvert aux femmes est enraciné dans le passé qu’elles ont vécu comme disciples avec Jésus. Elles le trouveront en elles-mêmes si elles savent puiser dans leur mémoire de cette vie pour éclairer ce qu’elles vivent maintenant.

Le principal avantage de cet appel à la mémoire est de faire de cette parole aux femmes une parole pour tout lecteur : il ne s’agit plus de ‘voir’ le Ressuscité mais de ‘se souvenir’ de Jésus et de ses paroles, afin de découvrir la nouvelle présence actuelle du Vivant. Les lecteurs de Luc, comme nous, ne vivront pas d’apparition, et n’en auront pas besoin. Le récit suivant, sur le chemin d’Emmaüs, conduira vers le consentement à ne plus ‘voir’ Jésus, pour découvrir sa présence dans les Écritures, le pain partagé et la vie communautaire.

Il disait...

La parole de Jésus rappelée par les ‘anges’ est l’annonce qu’il sera rejeté, tué et ressuscité. La foi juive avait déjà intégré cette confiance au Dieu qui relèvera les morts quand son Règne viendra. L’expression ‘le troisième jour’ symbolisait la venue du Jour de Dieu. En entendant ces annonces que Jésus leur disait, aucun disciple n’a pensé que Jésus serait relevé le surlendemain de sa mort. Dans les quatre Évangiles, leurs difficultés à croire au Ressuscité montrent bien que personne ne s’y attend.

Le “Il faut” qui ouvre chaque annonce de la Passion est souvent compris comme un destin décidé d’avance par Dieu, dont le but est l’expiation des fautes. C’est le sens que suggère surtout Matthieu 26,28, que la liturgie eucharistique a choisi. Mais en Luc le sens de la mort de Jésus n’est pas relié à l’idée d’expiation. Les autres contextes où Jésus utilise ce même « Il faut » sont très révélateurs : Il faut que j’annonce la Bonne Nouvelle du Règne de Dieu ; il faut libérer la femme courbée le jour du sabbat ; il faut se réjouir pour le fils retrouvé ; Zachée, il faut que je loge chez toi ! (4,43 ; 13,16 ; 15,32 ; 19,5) Ce « Il faut » ne concerne pas d’abord sa mort mais le sens même de sa vie : proclamer à tous et toutes le Dieu accueillant et miséricordieux (4,18-19 ; 6,36), prêt à tout pour nous révéler son amour et sa compassion. « En Jésus, Dieu ne pouvait aller plus loin : il a accompli tout ce qu’il lui fallait accomplir pour que nos yeux se dessillent » [1]. C’est le « Il faut » non pas de la mort, mais de la Bonne Nouvelle du Dieu des vivants [2]. Il relève Jésus de la mort, manifestant ainsi qu’Il se reconnaît dans ce que les actes et les paroles de Jésus ont révélé de Lui. Pâques est le dernier mot du Dieu Vivant qui se donne à connaître en Jésus ; ce dernier mot est celui de la Vie en plénitude ouverte à tous.

Elles annoncèrent cela...

Comme Marie et Élisabeth au début du livre de Luc, les femmes prennent le relais des anges pour dire leur expérience du Dieu de la Vie. Luc reporte à la fin le nom de ces porteuses de bonne nouvelle, comme une signature qui les instaure dans le rôle de premiers témoins du message pascal. Aux deux Marie de Marc 16,1 Luc ajoute Jeanne, présente en 8,2-3 parmi les nombreuses femmes disciples [3]. Au livre des Actes, il soulignera leur présence dans les rassemblements de croyants et leur rôle dans les Églises fondées par Paul [4].

Leur témoignage reste malheureusement sans effet sur les Onze et leurs compagnons, qui considèrent leur parole comme du délire. Pourtant les autres femmes du groupe semblent les croire et insister. Mais les disciples d’Emmaüs confirmeront ce non-croire : « des femmes qui sont des nôtres (...) disent avoir vu des anges qui le déclarent vivant. Certains des nôtres sont allés au tombeau et ont trouvé tout comme les femmes avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu » (24,22-24). Ils rentrent chez eux : c’est fini, Jésus est mort. On lit aussi cette difficulté à croire dans le récit d’apparition au groupe large des disciples (24,37.41).

‘Le Vivant’ aujourd’hui

Celui qui parlait en Galilée est maintenant « Le Vivant ». Le message aux femmes donne aux paroles de Jésus une valeur permanente. C'est bien la confirmation de notre intérêt à lire et relire les Évangiles, puisqu’à travers eux, c’est Le Vivant qui nous parle. C'est déjà beaucoup! Ouvrons une autre piste de réflexion.

Dans le Nouveau Testament et la tradition, on croit à ce que Jésus enseigne parce qu’on croit que Dieu l’a ressuscité. Par cet acte étonnant, Il manifeste son accord avec lui et le révèle Fils de Dieu et Sauveur. C’est la résurrection qui fonde la crédibilité de Jésus. Cette base de la foi chrétienne est pourtant, au plan missionnaire, le point le plus difficile aujourd’hui. Pour plusieurs c’est du délire, comme jadis pour les disciples.

Le chemin inverse est possible aussi, et a été dans ma propre expérience le plus pertinent. J’aime beaucoup ce que Jésus révèle de Dieu. Mieux : j’ai envie de croire que si Dieu existe, il est ce Dieu auquel Jésus a cru. Je peux alors accepter de croire que Dieu l’a ressuscité, car ça engage Dieu dans une révélation qui me parle.

On dit souvent qu’une personne décédée vit encore à travers ses écrits ou son œuvre. Même si le message pascal va beaucoup plus loin, on constate que bien des gens athées ou agnostiques sont d’accord avec l’essentiel des Évangiles. Les paroles de Jésus résonnent encore avec force, comme ses actes de libération, son souci de la dignité des exclus et des mal pris, son appel à aimer sans limite, comme le Dieu qui nous aime (Luc 6,36). C’est encore une influence stimulante aujourd’hui, en société post-chrétienne.

La perception qu’on peut avoir de Dieu est étroitement reliée à notre manière de penser le sens de la vie humaine. Or la vision de l’humanité que Jésus incarne interpelle le meilleur de nous-mêmes. Mais “si c’était vrai”, comme le chante Brel, ça signifierait que cette humanité à son meilleur est le rêve même de Dieu pour nous, et qu’Il travaille encore et toujours à nous y amener. Cela aussi me donne envie de croire au Dieu de Jésus, puisque ça m’aide à croire en nous. Même si parfois, après le bulletin de nouvelles, j’ai l’impression d’espérer contre toute espérance... Ce désir, nous sommes nombreux à le ressentir au fond du cœur, incroyants comme croyants. La seule présence de ce désir n’est-elle pas un signe éloquent de la présence du Vivant parmi nous encore aujourd’hui?

Diplômée en études bibliques, Francine Robert est professeure retraitée de l’Institut de pastorale des Dominicains (Montréal).

[1] J.N. Aletti, L'art de raconter Jésus Christ. L'écriture narrative de l'évangile de Luc, Seuil, 1989, p. 209.
[2] Lc 20,38 : « Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Car pour Lui, tous vivent » dit Jésus.
[3] Les Douze étaient avec lui, et aussi des femmes qui avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladies : Marie de Magdala, Jeanne, épouse de Chouza, intendant d’Hérode, Suzanne et beaucoup d’autres qui les aidaient de leurs biens.
[4] Voir Ac 1,14 ; 5,14 ; 8,3.12 ; 9,2 ; 16,13-15.40 ; 17,4.12.34 ; 18,2 ; 21,5.

Source : Le Feuillet biblique, no 2754. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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