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Cap sur le monde

Rodolfo Felices LunaRodolfo Felices Luna | 5e dimanche de Pâques (C) – 15 mai 2022

Introduction au discours d’adieu : Jean 13, 31-33a.34-35
Les lectures : Actes 14, 21b-27 ; Psaume 144 (145), 8-9, 10-11, 12-13b ; Apocalypse 21, 1-5a
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Si l’amour mutuel est le signe des disciples du Christ, l’Église a encore beaucoup à faire pour que son témoignage soit crédible aux yeux du monde. Les deux guerres mondiales déclenchées en Europe au cours du XXe siècle ont été des plus meurtrières, un affreux contre-témoignage au cœur des pays « de souche » chrétienne. Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres (Jean 13,35). Le monde a été témoin, au moins à deux reprises au cours du XXe siècle, combien fragile était cet amour dans le cœur des disciples du Christ : captif des frontières nationales, des identités ethniques ou culturelles, ainsi que des agendas politiques. Du moins, il est devenu clair que, même deux mille ans après, la leçon n’est pas apprise, et que mieux vaudrait faire preuve de modestie lors des efforts d’évangélisation d’autres nations et cultures…

Ouverture d’Esprit

Pourtant, l’ouverture aux autres peuples et cultures fut l’une des toutes premières intuitions de l’Église d’après Pâques. Dès la fin de son premier voyage missionnaire, dans ce qui est aujourd’hui l’île de Chypre et le Sud-Est de la Turquie, Paul et Barnabé constatent tout ce que Dieu avait fait avec eux, et comment il avait ouvert aux nations païennes la porte de la foi (Actes 14,27). Partis initialement d’Antioche en Syrie pour visiter les synagogues de la région et y annoncer le Christ Jésus aux sœurs et frères juifs, les apôtres sont surpris par l’étonnant accueil que leur réservent des personnes non-juives attirées par le judaïsme (prosélytes ou craignant-Dieu). La première lecture de ce dimanche montre l’Église missionnaire d’Antioche prendre acte de ces développements imprévus. La lecture qui est faite des événements est que Dieu en personne se trouve à être responsable de ce revirement de situation. Paul et Barnabé sont convaincus : Dieu veut que la bonne nouvelle de la résurrection du Christ et le salut par lui obtenu soient offerts au-delà des cercles strictement juifs, transgressant les tabous ethniques, culturels et même religieux! Imaginons un peu le défi : présenter un Messie juif aux non-juifs comme étant leur Seigneur à eux aussi… Cela exige une ouverture d’esprit des deux côtés de la « frontière » religieuse et culturelle. La grâce de Dieu a travaillé fort pour ouvrir les esprits des uns et des autres après Pâques. Elle a empêché l’Église naissante de se refermer sur elle-même comme s’il s’agissait d’une simple secte juive minoritaire. L’Esprit de Dieu a soufflé fort du courage et de l’audace pour imaginer une Église trans-nationale, translinguistique, trans-ethnique, bref : à vocation universelle. Du coup, l’amour mutuel chrétien est aussi appelé à aller au-delà des conforts du « même », devant désormais s’étendre aux gens avec qui on pourrait avoir si peu en commun, des gens qui pourraient nous paraître étranges dans leur façon de penser, de croire et d’agir.

Ouverture d’esprit

Si nous devons nous aimer les uns les autres « comme » le Christ nous a aimés (Jean 13,34), la barre est résolument haute! Dans l’Évangile de Jean, Jésus décide de retourner en Judée voir son ami Lazare malade, alors qu’on lui prévient des risques (Jean 11,7-8.16). Il prend le rôle du serviteur et lave les pieds de ses disciples le soir de la Dernière Cène, les enjoignant de faire comme lui (Jean 13,4-15). Il déclare que personne n’a plus grand amour que celui qui offre sa vie pour ceux et celles qu’il aime (Jean 15,13). De fait, en bon berger, Jésus donne sa vie pour ses brebis (Jean 10,11-18), dont certaines ne sont pas du troupeau d’origine. Et dans sa première lettre, saint Jean nous interpelle à offrir notre vie pour nos frères et sœurs, comme le Seigneur Jésus l’a fait avant nous (1 Jean 3,16).

Saint Paul est très réaliste lorsqu’il considère le défi d’offrir sa propre vie pour les autres :

Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile ; peut-être donnerait-on sa vie pour un homme de bien. Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs (Romains 5,7-8).

Bien sûr, comme saint Augustin le souligne, si nous ne sommes pas prêts encore à offrir notre vie pour nos frères et sœurs, nous pouvons commencer par apprendre à « mourir » quelque peu à nous-mêmes en partageant nos biens et nos vivres avec eux (5e Homélie sur la Première lettre de saint Jean, paragraphe 12). Chaque petit pas que nous faisons en renonçant à nous-mêmes pour autrui compte : ouvrir notre esprit à d’autres façons de penser et de vivre, rencontrer l’autre en acceptant sa différence, ouvrir notre cœur aux besoins pressants de notre prochain, offrir de notre temps et notre attention, rendre service, céder notre place…

Le commandement nouveau laissé par Jésus est redoutable : s’aimer les uns les autres « comme » il nous a aimés (Jean 13,34). La nouveauté du commandement requiert de nouveaux moyens, puisque laissés à nous-mêmes, nous échouerons sans doute. Nous avons besoin d’accueillir l’Esprit du Christ ressuscité pour qu’il nous renouvelle de l’intérieur et nous rende capables de ce qui nous paraît impossible ou inatteignable pour le moment. Puis au-delà de nous-mêmes, combien de disciples de Jésus ont-elles et ils besoin d’accueillir cette grâce vivifiante, ce même Esprit de résurrection, pour qu’ensemble comme Église soyons-nous capables de témoigner de son amour? Un tel projet de transformation intérieure à si grande échelle est une fois de plus dans les mains de la Divine Providence.

La deuxième lecture nous laisse entrevoir que déjà au début de l’ère chrétienne, les disciples percevaient ce besoin impérieux de renouvellement radical, sans lequel tous leurs efforts missionnaires ne mèneraient à rien. L’Apocalypse dévoile à quel point le renouvellement espéré va au-delà des frontières : ils seront son peuple (Apocalypse 21,3) étend le privilège de l’élection d’Israël à tous les peuples de la terre ; la cité accueillante qu’il nous faut descend du ciel en fait (Apocalypse 21,2) ; même la terre et le ciel sont nouveaux (Apocalypse 21,1). Il nous faut réapprendre à voir nos voisins, nos villes et notre planète comme un environnement différent, nouveau, régi par de nouvelles lois venant du ciel, si nous désirons participer par nos propres gestes d’amour à la grande consolation : Dieu essuiera toute larme de leurs yeux (Apocalypse 21,4). Soyons de cette audacieuse vision pour nous et notre monde, accueillons l’Esprit de Pâques.

Rodolfo Felices Luna est professeur à l’Oblate School of Theology (San Antonio, Texas).

Source : Le Feuillet biblique, no 2758. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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